A Notre-Dame-des-Landes, boue, système D et solidarité
Des centaines d'opposants au futur aéroport du Grand Ouest occupent le site réservé au projet, parfois depuis des mois. La vie collective s'est organisée.
"Splotch, splotch." La gadoue, partout. A vous figer sur place et vous décoller les tendons. Sur la zone du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), des occupants résistent au milieu des bois, parfois depuis des mois. Mieux vaut récupérer des bottes au free shop, une grande tente verte et blanche installée près de l'accueil, au lieu-dit La Rolandière. Des centaines de vêtements y sont entreposés, en libre-service.
Par solidarité, des sympathisants arrivent de toute la région pour déposer des médicaments, des aliments, des habits ou du matériel. Ce matin-là, justement, un couple de promeneurs vient grossir le stock. "On les dépose où les pulls ?" Au fil des mois, la résistance s'est organisée sur la zone d'aménagement différé (ZAD) réservée par le constructeur Vinci. Où l'argent et la propriété sont jetés aux oubliettes.
Un logement pour tous !
La tête plongée dans un abri, la canne à la main, un grand-père congratule les zadistes, ceux qui occupent la ZAD. "On lâche rien !" Proche d'élus du sud de la Loire opposés au projet d'aéroport, il est venu avec son fils déposer des fenêtres. Autant dire la lune. Natif de Vertou (Loire-Atlantique), ce dernier affiche un large sourire : "Il n'est pas encore fait, cet aéroport !"
Partout, les zadistes ont investi les lieux avec ingéniosité. Cabane, cahute, abri ou barricade : ici, on bâtit un inventaire à la Prévert, sur une vingtaine de sites. Au campement du Sabot, la maison de bois a été conçue en Moselle, puis acheminée et assemblée sur place. Au Far Ouest, on a recyclé un "coffrage de balnéothérapie". A La Châtaigneraie, l'une des constructions dispose même d'une baie vitrée. Certains se contentent de tentes.
Parfois, il faut lever la tête. A cinq mètres au-dessus du sol, une cabane est perchée sur un arbre. Détruite lors des expulsions de novembre, elle a depuis été réhabilitée. Une échelle tremblante en métal permet d'y accéder. Au sommet, deux tentes sont posées sur le parquet dont quelques planches sont brisées, victimes du poids des occupants. A l'heure de la vaisselle, la locataire s'empresse de rassurer le visiteur : "Pas de risque, le corps ne peut pas passer au travers." La crise du logement s'est invitée dans les bois, où des panneaux affichent parfois "complet". Bâches, clous, planches, palettes, marteaux. Il faut construire, encore et encore.
Un lieu de vie collective
Dans la cantine collective autogérée, chacun se débrouille et s'affaire. On cuisine des lentilles, des pâtes, des carottes, du riz, du pain perdu, des confitures. Rien ne se perd. Les épluchures de pommes de terre sont transformées en chips, le pain perdu est délicieux. Quelques joints sont allumés. L'ambiance est bon enfant. La radio pirate du site crache des morceaux des Rolling Stones, Arthur H, Katerine, Jurassic 5 ou Fela Kuti. Pour gagner un autre site, il suffit d'enfourcher le premier vélo marqué de scotch orange. Une fois à destination, prière de le laisser à un autre zadiste.
Un père et son fils traversent un sentier qui surplombe la boue, un labrador en laisse. Ils présentent l'écran d'un iPhone aux camarades croisés sur la route. "Vous avez vu mon frère ?" Âgé de 21 ans, le jeune homme roux n'a plus donné de nouvelles depuis le festival où il s'est rendu avec un ami, le samedi précédent. "Mais qu'il donne au moins des nouvelles à sa mère." A l'accueil, une feuille A4 est scotchée avec le portrait d’une jeune femme, elle aussi "invitée à donner des nouvelles à sa famille". Pour beaucoup, la ZAD est une seconde famille, solidaire et collective.
C'est aussi un refuge, sans contraintes matérielles. "Ici, l'argent n'a pas sa place", explique l'occupant d'une baraque en préparant le café. Seule exception : un petit seau bleu, suspendu à un comptoir, qui recueille quelques pièces pour des courses en commun. Le travail, lui, ne manque pas : nettoyer un champ, rapporter du matériel, construire une extension... A l'occasion d'une pause, on plaisante : "Et si on le construisait en bois, cet aéroport ?"
Résister à l'hiver
La nuit, le froid vient hanter le sommeil des zadistes. "T'es au courant ? Les pompiers ont emmené un mec pour une embolie pulmonaire ce matin. Il n’était là que depuis deux jours." Bronchites, toux sèches, fièvres, angines… A La Sécherie, une feuille consigne des recettes de grand-mères, à base d'huiles essentielles et de baume du tigre. Des médicaments sont disponibles à l'accueil, un référent médical est nommé pour chaque site.
Au Far Ouest, de cinq à 20 personnes logent dans une cahute insalubre. Quelques paillasses boueuses, où se succèdent les chiens et les hommes. Le teint blafard et une capuche sur la tête, un jeune homme toussote. C'est promis, il ira voir le médecin. "Je lui dirai que j’étais trop malade pour le voir avant." Son amie plaisante : "Ben ouais, tu ne vas pas lui dire que tu étais dans la forêt avec des anarchistes autonomes."
La fatigue, la météo, l'usure. Parfois, les esprits s’échauffent. Accusé de vol, un grand gaillard à dreadlocks répond par un coup de poing. Quelques secondes plus tard, un pot de moutarde vient ricocher sur son arcade sourcilière et s'éclater sur le bidon qui fait office de poêle. Groggy, il a le visage couvert de sang et un trait de sauce jaune sur les cheveux. "Ketchup moutarde !", plaisante un autre.
Les zadistes et leurs voisins
Les zadistes ne sont pas les seuls occupants des lieux. Chaque matin, un habitant doit emprunter le chemin de Suez pour emmener ses enfants. Au passage, il doit passer une barricade : "L'accès pour les habitants à maintenir. Problèmes avec les services sociaux par rapport à l'école." En deux temps, trois mouvements, les occupants se replient et laissent filer le véhicule. Avec les agriculteurs aussi, il faut apprendre cohabiter. Un matin, le producteur de lait a perdu le produit de sa traite. Deux camions barraient la route, la collecte a été reportée.
Les paysans du réseau Copain, qui regroupe six structures, sont pourtant des amis. Une quinzaine d'entre eux débarquent pour vérifier le fonctionnement des cinquante tracteurs stationnés fin novembre pour défendre La Châtaigneraie. Ça toussote, parfois ça cale, mais ça fonctionne. Dimanche, ils les ont déplacés sur un autre site, "pour être plus mobiles, au cas où". Ils s'entretiennent parfois avec les zadistes, pour évoquer l'avenir, en cas de victoire contre Vinci. "Ce qu'il faudrait ensuite, c'est créer un village collectif", explique un jeune homme. Vivre ici à tout jamais.
Cette série de reportages a été réalisée sous couvert d'anonymat.
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