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Ces occasions manquées de sauver Marina

Enseignants, médecins, enquêteurs, assistantes sociales… De nombreux professionnels ont été alertés de l’état de la fillette, dont les parents comparaissent au Mans pour l’avoir torturée à mort. FTVi revient sur ces loupés en chaîne.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La mort de Marina, une fillette de 8 ans battue à mort par ses parents, avait été dissimulée en disparition. (DENIS LAMBERT / MAXPPP / LE MAINE LIBRE)

Marina Sabatier est née sous X le 27 février 2001. Un mois plus tard, sa mère reprend la garde de sa fille. Elle ne bénéficie alors d’aucun suivi. Selon La Voix de l’enfant, partie civile au procès des parents tortionnaires de la fillette, c’est la première erreur d’une longue chaîne de dysfonctionnements qui ont conduit à la mort de l’enfant à l’âge de 8 ans, en août 2009. Alors que la cour examine mardi 19 juin les faits qui ont mené à cette mort, FTVi revient sur l’échec des institutions dans cette affaire.

•  2006, Nanterre (Hauts-de-Seine) : la tante de Marina appelle le 119

Julie, 17 ans à l’époque, séjourne chez les parents de Marina à Nanterre (Hauts-de-Seine). Elle les voit administrer des douches froides à la fillette âgée de 5 ans, lui donner des coups de poings sur le genou et le percer avec une aiguille pour faire dégonfler l’œdème. Avec sa mère, elle décide d'appeler le 119, le numéro d’urgence de la protection de l'enfance.

Conclusion : "On nous a dit qu'on mentait, qu'on voulait récupérer les enfants", a-t-elle rapporté à la barre. Les services du 119 ne seront pas entendus pendant le procès.

• 2007-2008, Parennes (Sarthe) : la médecin scolaire examine deux fois Marina

Marina n'est scolarisée qu'à partir de 6 ans. Très vite, deux institutrices remarquent les bleus, les absences et les fringales de leur élève. Elles alertent la médecin scolaire, qui la rencontre à deux reprises, en octobre puis en janvier 2008.

Conclusion : la première fois, la médecin trouve le père "tout à fait charmant" et juge l'état de Marina "normal". La seconde fois, la fillette a le visage boursouflé, recouvert de crème blanche et les yeux suintants. Une conjonctivite liée à une maladie immunitaire, répond le père. La médecin s'en tiendra à cette version, peu ou prou. 

• Mi-2008, Saint-Denis-d’Orques (Sarthe) : l'école et un autre médecin scolaire saisissent le parquet et les services sociaux

La famille a déménagé. Mi-juin, la directrice de l'école, prévenue par les collègues de Parennes des suspicions de maltraitance, fait aussitôt un signalement aux services sociaux du département et au parquet. Le 1er juillet 2008, Marina présente des bleus profonds dans le dos. La médecin scolaire de l’école fait un deuxième signalement auprès de l’Aide sociale à l’enfance du département. 

Une enquête judiciaire est ouverte. Le 15 juillet 2008, un médecin légiste examine Marina en présence de son père. Il relève 19 cicatrices et indique dans son rapport que des actes de violence ne peuvent être exclus. Le 23 juillet, Marina est entendue par deux gendarmes dans le cadre d’une audition filmée. Elle n’avoue rien et fournit la même explication que son père pour chacune des cicatrices.

Conclusion : malgré le rapport préoccupant du légiste, le jeune gendarme en charge de l’enquête, qui reconnaît à la barre n’avoir jamais été formé à la maltraitance, ne va pas plus loin car "l’audition n’a rien révélé". Ni les parents, ni les enseignants et la médecin à l’origine du signalement ne sont entendus. Le parquet classe le dossier sans suite à l'automne et n'en informe le conseil général - à sa demande - que cinq mois plus tard. Bizarrerie de la procédure, les services sociaux n'ont pas œuvré de leur côté, pour ne pas interférer dans l'enquête judiciaire. 

• Avril 2009, Coulans-sur-Gée (Sarthe) :  Marina est hospitalisée un mois et demi, deux nouveaux signalements 

La famille redéménage à Coulans-sur-Gée. Là encore, les équipes enseignantes se passent le relais et ses nouveaux instituteurs sont vigilants. Le 27 avril, la médecin scolaire - celle qui a déjà fait un signalement - est appelée en urgence par le directeur de l'école qui a découvert les pieds en sang de la fillette. Lors du procès, les parents expliquent l’avoir fait marcher pendant des heures sur un carrelage anti-dérapant, son cartable sur le dos. Marina est hospitalisée et un nouveau signalement est fait aux services sociaux du conseil général.

Conclusion : pendant cinq semaines, le centre hospitalier du Mans, qui ignore l'enquête de 2008, cherche une cause médicale à l'état physique de Marina. Dans le doute, il fait un signalement auprès des services sociaux et non du parquet, faute d'éléments caractérisés. Le 28 mai, la petite est renvoyée chez ses parents.

• Eté 2009, Ecommoy (Sarthe) : les services sociaux entament une "évaluation sociale"

Début juin, le service de l'aide sociale à l'enfance est le seul à disposer de tous les éléments du dossier Marina, de 2008 à 2009. La responsable du secteur des Sabatier prend néanmoins la décision de ne pas saisir le parquet mais de lancer une "évaluation sociale" sur les conditions de vie de l'enfant. Evaluation qui prend jusqu'à trois mois et qui intervient en plein été. A la barre, elle assume cette décision, prise seule à l'époque. Selon elle, la loi de 2007 sur la protection de l'enfance n'autorise à saisir la justice qu'en cas de danger imminent ou de refus de collaborer des parents. 

Conclusion : Lors de leur trois visites, annoncées à chaque fois à la famille, l'assistante sociale et la puéricultrice ne remarquent rien de suffisamment significatif. Le 17 juin, Marina est là, habillée flambant neuf. Le 19 août, tous les volets sont clos, les parents mettent du temps à répondre. Ils affirment que la fillette, déjà morte, est au parc Astérix avec son grand frère. Début septembre, quelques jours avant l'annonce de la disparition, la mère parle rentrée scolaire et alimentation de Marina avec la puéricultrice.

Dans cette affaire, le système compliqué de la protection de l'enfance, avec sa multiplicité d'acteurs, son cloisonnement et sa lourdeur administrative semble ne pas avoir résisté à un couple parental passé maître dans l'art de la dissimulation. Pour les associations, le doute devrait désormais suffire pour agir.

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