Cet article date de plus de dix ans.

Financement du cinéma : René Bonnell, auteur d'un rapport explosif, répond aux critiques

Fréquentation en baisse, déséquilibres financiers, stars trop payées... Son rapport sur le cinéma français ne cesse de susciter des débats. Interview. 

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Vue de la salle de projection du Forum des images, en novembre 2008, au Forum des Halles, à Paris. (PIERRE VERDY / AFP)

Le récent rapport Bonnell fait un constat clinique sur le cinéma français : baisse de la fréquentation, recul de la part des films hexagonaux, déséquilibres financiers dans la production, salaires excessifs de certains acteurs, prise en compte insuffisante du numérique. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas laissé indifférent. En 150 pages, ce rapport décrit de gros nuages menaçants sur l’économie du cinéma français. Pourtant, cinquante propositions pourraient, selon lui, préserver "ce modèle unique au monde". Pour francetv info, René Bonnell, ancien de Gaumont, Canal + et France Télévisions, revient sur son constat et ses préconisations.

Francetv info : Les stars de cinéma français sont-elles trop payées ?

René Bonnell : Le point précis du salaire des stars, que j’évoque en seulement quelques lignes, a fait de moi, si j'osais, "la reine d’un jour". La presse s’est focalisée là-dessus. Tout est parti du patron de la société de production Wild Bunch, Vincent Maraval, qui dans une tribune au Monde, en décembre 2012, s’était exclamé : "Les acteurs français sont trop payés !" Mais dans mon rapport, vous ne trouverez aucun nom d’interprète, de producteur ou de metteur en scène. J’ai voulu simplement attirer l’attention sur le déséquilibre existant entre le coût des films lié à l’ampleur du cachet de certains acteurs et leur capacité à s’amortir. Dans mon rapport, je parle de modérer les cachets excessifs… en incitant au partage du risque commercial. Malheureusement, l’année 2013 a lourdement démontré que j'avais raison.

Vous seriez favorable à une baisse des rémunérations ?

Il faut préciser que seule une toute petite partie des comédiens, réalisateurs et scénaristes est concernée. L’écrasante majorité des interprètes est loin d’atteindre ces cachets. Certains gagnent leur vie, mais beaucoup d’autres galèrent. Je ne suis pas du tout contre le fait de bien payer les stars, mais je pense qu’on devrait le faire de manières différentes, davantage axées sur les résultats. Les grands noms pourraient disposer d’une rémunération fixe de qualité et d'un intéressement lié au nombre d’entrées du film ou à son chiffre d’affaires à l’étranger. Pour moi, tout cela n’est pas une question de principe, mais de degré.

Il arrive un moment où l’on tend à surestimer l’impact du comédien ou du metteur en scène sur les résultats du film. Nul procès d’intention de ma part, je croise seulement les chiffres. Par exemple, la présence au générique de certains noms et les résultats en salle. Certains ont pu donner des succès, mais comme on les paye trop, il arrive que le film soit quand même en difficulté.

Comment faire pour qu'un film soit rentable ?

Le film d'Albert Dupontel, 9 mois ferme, qui a fait plus de deux millions d’entrées, est un modèle du genre. Son coût avoisine les 7 à 8 millions d’euros. Cela prouve que dès qu’on a un contenu un peu décalé, intéressant, les gens y vont. La "bonne affaire" se fait aussi avec des films dits "du milieu", à savoir entre 5 et 10 millions d’euros, et même plus proche de 5 que de 10, et pas à 15, 20 ou 25. Enfin, on voit que la rentabilité, ou simplement l’équilibre économique, bénéficie aux films qui se situent dans cette tranche de prix. Ce n’est pas la peine d’être un génie de l’économie pour oser l’affirmer : le cinéma a des débouchés, calmons les coûts ! C’est du bon sens.

Le cinéma français est une exception mondiale. C’est le deuxième cinéma au monde par son impact, de nombreux cinéastes du monde entier rêvent d’avoir ce dispositif… Il y a 120 000 emplois à la clé en France. Ce qu’il faut, c’est améliorer des choses pour garder le dispositif. Le fonds de soutien s’appuie sur des recettes qui fondent lentement, mais sûrement, les obligations des chaînes existent, mais les chiffres d’affaires de ces médias déclinent ou stagnent. Donc le miracle ne pourra pas perdurer ad vitam aeternam. Mettons-nous autour d’une table et voyons comment faire. 

Vous parlez de budget quand d’autres professionnels préfèrent dire : "Il n’y a pas de gros ou de petits films, il n’y a que des bons et des mauvais films !"

Chaque année, une trentaine de films attirent à eux seuls les deux tiers des investissements. Tous les autres, c’est-à-dire plus de 200, se partagent le solde. Alors ne me dites pas qu’il n’y a pas un déséquilibre dans le financement. Sur cette histoire de bons et de mauvais films, je peux vous donner plusieurs exemples cette année. De nombreux gros budgets n’ont pas rencontré leur public. Inversement, des films plus modestes ont percé. Donc, bons, mauvais, tout cela me semble très subjectif. Moi je croise les chiffres, je regarde comment sont mis les moyens à la disposition des producteurs et comment on peut tenter d’optimiser tout cela. 

Les chaînes de télévision sont-elles encore vraiment intéressées par le cinéma ?

Il y en a deux types. Canal+ et son concurrent OCS Orange, qui commence à être un véritable compétiteur avec 1 700 000 abonnés. Ces deux chaînes font du cinéma un des éléments majeurs de leurs programmes. Avec des obligations lourdes pour Canal+, par exemple : 12,5 % de son chiffre d’affaires est reversé au cinéma français et européen. C’est le prix qu’il a à payer, car il consomme beaucoup de cinéma. Inversement il y a les grandes chaînes généralistes, et je mets à part celles du service public (comme France 2, France 3 ou Arte) et leurs obligations de soutien aux premières œuvres, aux grandes signatures, qui remplissent d’ailleurs très bien leur rôle : elles ont remporté les deux dernières palmes de Cannes.

TF1 et M6, c’est un peu différent. C’est vrai qu’elles considèrent que le cinéma est un programme moins attrayant qu’il ne le fut, sauf quelques gros blockbusters. D’ailleurs, on leur reproche beaucoup de ne se jeter que sur ces films-là et donc de faire monter les prix des vedettes. Mais si on a une vision stratégique, c’est-à-dire au moins sur cinq ans, il va falloir que le cinéma maintienne ses volumes de financement, en gardant ses clients traditionnels que sont Canal+ et OCS, et en maintenant les obligations des chaînes généralistes.

En échange, il faut que les médias montants, comme la VOD [vidéo à la demande] et la SVOD [service mensuel par abonnement donnant accès à un catalogue de films à visionner], contribuent de plus en plus. Il faut déplacer le poids financier vers ces médias nouveaux. Et cela, la profession le comprend bien. On va dans le sens d’une coopération renouvelée. J’encourage ce mouvement qui consiste à alléger les médias qui consomment moins de cinéma et à aller vers ceux qui en ont vraiment besoin.

Précisément, le numérique chamboule tout. Certaines sociétés américaines, comme Netflix, proposent déjà des formules d’abonnement numérique à des flux de films ou de séries en continu…

Effectivement, Netflix, Amazon, etc, tous ceux dont on nous annonce l’arrivée dévastatrice en France dans l’année, tout cela a déjà des répercussions sur la fréquentation. Non pas en volume, mais dans la répartition démographique. Les jeunes de moins de 18 ans vont moins au cinéma qu’avant. Ce qu’on appelle "la population cinéma" vieillit. Alors qu'avant, plus de la moitié des entrées était le fait des moins de 24 ans, ce n’est plus le cas. Malgré tout, aujourd’hui encore, 40% des entrées sont constituées par les moins de 20 ans, donc restons calme. Mais il faut néanmoins retenir les jeunes dans les salles et c’est vrai qu’ils veulent une forte valeur ajoutée, du cinéma avec des effets spéciaux, un son sophistiqué… D’où peut-être le goût qu’ils ont pour le cinéma américain et quelques films français, des comédies en particulier.

Vous préconisez que certains films puissent trouver leur public en sortant directement en vidéo ou encore qu’il faudrait assouplir à trois mois le délai entre les sorties en salle et en VOD. Mais vous prêtez toujours au grand écran une vertu tout à fait particulière...

La salle, c’est ce qui donne sa valeur imaginaire au cinéma. Un film est ce que le public, par l’audience qu’il lui procure, désigne comme tel. Ce n’est pas la facture, le son, la largeur de l’image, c’est le plaisir d’être ensemble de manière un peu grégaire, de se projeter sur un écran, d’apprécier ou non une œuvre. Voilà ce qu’est le cinéma. Il y a vingt ans, il se situait autour de 113 millions d’entrées annuelles en France, actuellement il est à 193, il a été à 210 il y a deux ans. Sur une longue période, c’est un progrès. On est revenu en gros à ce qui se passait avant l’arrivée de Canal+. Donc la profession a très bien réagi aux concurrences de toutes formes, mais il faut protéger le film. Pour inciter les gens à aller au cinéma, il faut générer du désir. A partir de là, le cinéma, c’est cette chose qui meurt tous les soirs autour de minuit et qui renaît chaque jour vers midi.

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