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"Un Français", le film sur l'extrême droite, a-t-il vraiment été boycotté ?

Le réalisateur et sa société de distribution affirment que de nombreux cinemas ont renoncé à diffuser le film par "peur". Mais celui-ci sort finalement dans 65 salles mercredi, et a bénéficié d'une couverture médiatique importante.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'acteur Alban Lenoir incarne un skinhead d'extrême droite, dans le film "Un Français", réalisé par Diastème, sorti le 10 juin 2015. (MARS FILMS / AFP)

Un film "qui dérange"pour TF1, qui "fait peur", pour les Inrocks, et qui sort "malgré les menaces", salue France Info. Depuis quelques semaines, le sort d'Un Français, qui relate le parcours sur trente ans d'un jeune skinhead d'extrême droite, passionne les médias. A l'origine de cet emballement : un billet posté sur le blog du réalisateur, Diastème, le 25 mai, alertant sur la difficulté de son film à trouver des cinémas acceptant de le projeter.

Un nombre de salles divisé par deux, 50 avant-premières annulées, le constat est alarmiste : "Ils ont peur", lui aurait expliqué sa coproductrice. Le lendemain, le distributeur Mars Film nuance, mais dénonce de son côté une "campagne de haine" dont serait victime le film. Un Français sort finalement, mercredi 10 juin, dans 65 salles de l'Hexagone, après une dizaine d'avant-premières. Le film a-t-il vraiment souffert de la polémique ou, au contraire, a-t-il gagné une exposition médiatique non négligeable ? 

Une "campagne de haine" dont on trouve peu de traces

Le 26 mai, Mars Film publie un communiqué sur la "spectaculaire campagne de haine" dont serait victime son film sur les réseaux sociaux, à coups de commentaires menaçants sur sa bande-annonce. Mais difficile d'en trouver les traces. Sur YouTube, on découvre effectivement quelques critiques contre le film, qualifié par un internaute "d'anti-français", accusé par d'autres de faire un amalgame entre skinheads et racistes. Des accusations qui ne sont l'œuvre, cependant, que d'une dizaine d'individus, vite supplantés par des défenseurs du film. Quant à la page Facebook, Mars Film explique sur Twitter y avoir "beaucoup modéré les menaces et les insultes", qui ont effectivement disparues, même si on y trouve des commentaires plus récents de mauvais goût.

Du côté des sites d'extrême droite, l'emballement semble plutôt postérieur à la polémique. Buzzfeed n'a relevé que deux articles avant le 26 mai, une simple reprise de la bande-annonce par fdesouche, et une réaction d'un ancien eurodéputé FN sur lagauchematuer.fr, qui ne connaît manifestement du film que son synopsis.

En revanche, l'acteur principal d'Un Français, Alban Lenoir, assure à Allociné que lui et le réalisateur "reçoivent des menaces depuis quelque temps". Dans les Inrocks, Diastème assure lire "des trucs atroces" dans les commentaires de son blog : "Le même jour, on m’a traité de 'sioniste' et d’'islamo-gauchiste'. (...) Il y a un climat de terreur qui s'installe."

Une distribution faible, mais pas de boycott

Dans son premier billet de blog, Diastème explique qu'on lui a annoncé l'annulation des 50 avant-premières prévues en France, et une diffusion limitée à moins de 50 salles, alors qu'il en espérait plus de 100. Mais le soir du 26 mai, invité du "Grand Journal" de Canal+, il calme le jeu : il ne s'agit plus de 50 avant-premières "annulées", mais simplement "proposées" à des cinémas dont 42 auraient refusé. "Ce n'est pas de la censure", rassure-t-il le lendemain, à nouveau sur son blog. 

Quant à la centaine de copies du film prévues, selon Diastème, c'est le distributeur Mars Film qui assure, le lendemain, y avoir lui-même renoncé pour se concentrer sur 60 salles. Mais dans son communiqué, ci-dessous, Mars Distribution cite aussi quelques-unes des raisons "officielles" évoquées par les exploitants qui ont refusé les avant-premières : questions sur la sécurité, difficultés d'organisation avant le début du festival de Cannes. Sous-entendant ainsi que, censure ou pas, le sujet du film provoque une réelle frilosité de la part des exploitants.

Le propriétaire du cinéma parisien La Bastille, qui diffuse Un Français, confirme à francetv info les difficultés de Mars Film. "Ayant remarqué que toutes les salles d'art et d'essai avaient annulé, ils ont insisté pour que le film sorte chez nous", explique-t-il alors qu'il n'avait pas été contacté au départ pour diffuser ce long-métrage. Mais, loin d'être frileux, il est ravi de diffuser le film, une "volonté politique" de sa part. C'est aussi ce que dit, à demi-mot, la directrice du Cinéville d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), contactée par francetv info, qui pense que "c'est bien de sortir le film" dans cette ville dirigée par le Front national.

Reste une question : une sortie dans 65 salles est-elle si faible pour un film sans stars à l'affiche, et dont le réalisateur n'a produit que deux longs-métrages ? Les deux gérants de cinémas contactés par francetv info estiment qu'un film français peut raisonnablement viser une grosse centaine de salles. "Soixante-cinq salles, ça veut dire que les grandes villes sont couvertes, mais peut-être pas les plus petites", explique le propriétaire du Bastille. Une analyse que ne partage forcément  le critique du Monde Thomas Sotinel, qui estime que le nombre d'avant-premières n'est "pas honteux pour un film d'un réalisateur presque inconnu, sans vedettes".

Une belle campagne de promotion

"Presque inconnu" avant la polémique, Diastème l'est sans doute un peu moins aujourd'hui. Ces dernières semaines, on a pu lire ou entendre les propos du réalisateur dans le Monde, le Point, ou encore dans le "Grand Soir 3". Des médias qui accordent rarement autant de place à un réalisateur quasi-débutant. Surtout, ce dernier a réussi à décrocher ce que Thomas Sotinel décrit comme la "Palme d'or" de la promotion d'un film : l'interview au "Grand Journal", non pas une, mais deux fois, le soir même de la publication de son billet de blog, puis la veille de la sortie du film. Le fait que Diastème ait écrit le scénario de Coluche, l'histoire d'un mec, réalisé en 2008 par l'animateur Antoine de Caunes, n'est sans doute pas étranger à cette aubaine.

Pour certains critiques qui ont vu le film, il est clair que, sans cette polémique, son écho aurait été bien moindre. "On a encore du mal à comprendre toute la fébrilité que le film a pu provoquer", écrit Slate, quand le critique Vincent Malausa, sur le Plus, juge que "l'uppercut autoproclamé semble bien innocent". Le réalisateur et son acteur principal ne cessent, eux, de répéter en interview que leur film n'a rien de provocateur.

Du côté des salles, loin de faire fuir les spectateurs, le débat autour d'Un Français semble avoir attisé leur curiosité, témoigne un responsable du Cinéma Lux, à Caen (Calvados). Contrairement aux craintes de certains exploitants, la salle "n'a reçu aucun mail, aucun mot, rien", pour protester contre la programmation du film. Au contraire, "des gens nous disent : 'on va venir le voir', confie-t-il à francetv info. Si le film rencontre son public, il est même possible qu'il y ait plus de copies en deuxième semaine." De film "boycotté", Un Français deviendrait peut-être alors un des succès surprise de cette année.

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