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Expo d'Arles : pourquoi le noir et blanc intéresse-t-il encore les photographes ?

Pour leur 44e édition, les rencontres photographiques cherchent à comprendre pourquoi ce genre a longtemps régné sur la discipline, et garde aujourd'hui ses lettres de noblesse.

Article rédigé par Elodie Ratsimbazafy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Gilbert Garcin, "Le funambule", 2002. (GILBERT GARCIN / GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE)

C'est l'histoire d'un règne long, presque sans partage, qui s'est achevé il y a une trentaine d'années. Dès sa création, la photo a été dominée par le noir et blanc. D'abord pour des raisons techniques : la toute première "héliographie" de Nicéphore Niépce (conservée au Harry Ransom Center, aux Etats-Unis), sur plaque d'étain, capte des dégradations de teintes du noir au blanc. Pour ajouter de la couleur, il faut peindre les clichés à l'aquarelle ou ajouter des pigments en poudre... ce qui donne des résultats souvent artificiels dans lesquels les teintes "bavent".

Après des années de tâtonnements, les frères Lumière déposent, en 1903, le brevet de l'autochrome, qui donne des résultats satisfaisants (voir ces quelques exemples de l'Institut Lumière). Les Lumière prédisent la fin du noir et blanc, mais l'histoire les contredit. Malgré des progrès techniques (la percée du Kodachrome puis de l'Agfacolor), les photographes continuent très majoritairement d'utiliser le noir et blanc pendant près d'un siècle. Les grands photoreportages (publiés dans Life, Paris Match...), les maîtres (Doisneau, Brassaï, Man Ray...) ont toujours recours à cette technique. Et souvenez-vous que même les photographes amateurs "sérieux" développaient des clichés noir et blanc.

Dans les années 1980, la tendance commence à s'inverser. Photographes et plasticiens commencent à utiliser la couleur, voir à saturer les chromes en utilisant le Polaroid. Ensuite, le numérique renforce encore ces nouvelles habitudes.

Pourquoi continuer à utiliser du noir et blanc ? Réponse aux Rencontres d'Arles (Bouches-du-Rhône) qui, du 1er juillet au 22 septembre, à rebours de l'histoire de l'art, s'intéressent à ce genre désormais passé de mode.

Intemporel et poétique

Ce qui séduit dans le noir et blanc, c'est qu'il produit des images hors du temps. Comme ces clichés d'un jeune homme de 84 ans, le Marseillais Gilbert Garcin, qui a commencé la photo... lorsqu'il était à la retraite.

Gilbert Garcin, "Lorsque le vent viendra", 2007. (GILBERT GARCIN / GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE)

 

Gilbert Garcin, "Le funambule", 2002. (GILBERT GARCIN / GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE)

Ces images ne sont pas des montages photoshopés, mais des bricolages : Gilbert Garcin se prend en photo, découpe ses clichés et les met en scène dans un univers aussi sobre que métaphorique (au pied d'un pissenlit, symbole de la connaissance, ou en funambule sur le fil de la vie). Ici, le noir et blanc contribue à dépouiller l'image pour ne retenir que l'essentiel.

Photo engagée

La technique est aussi privilégiée par certains photographes "militants", comme le Français Jean-Louis Courtinat. Ancien assistant de Robert Doisneau (un des papes de la photographie humaniste, un courant qui dénonçait les injustices, la misère), il a réalisé des reportages poignants dans les orphelinats de Roumanie ou auprès des SDF de Nanterre (Hauts-de-Seine).

Jean-Louis Courtinat, "Angélique et David". Foyer de vie de Faugeras, 2006. (JEAN-LOUIS COURTINAT)

Il fait ici le portrait sans artifice d'"Angélique et David", des pensionnaires du foyer de vie du château de Faugeras, à Uzerche (Corrèze), pour adultes handicapés. Le noir et blanc est encore souvent privilégié pour témoigner des réalités sociales, sans doute parce que l'influence de la photographie humaniste, justement, est encore forte sur les contemporains. L'image, frontale, rappelle aussi certains travaux de l'Américaine Diane Arbus, sans couleur.

Un artiste plus jeune, le Sud-Africain Pieter Hugo, 37 ans, utilise le noir et blanc dans une série très politique.

Pieter Hugo, 2011. (PIETER HUGO)

Le cliché ci-dessus est un autoportrait couleur... converti en noir et blanc selon un procédé qui accentue la présence des pigments de la peau. Le photographe entend ainsi dénoncer les contradictions de ceux qui distinguent des races en se basant sur la teinte de l'épiderme. Il prouve que les "Blancs" sont en réalité des êtres plus ou moins jaunes, rouges, marrons. Bref, colorés.

Un écrin pour la lumière et la forme

Si le noir et blanc garde les faveurs de certains artistes, c'est surtout parce qu'il permet d'accentuer les contrastes, de valoriser les volumes et les formes, de se concentrer sur le cadrage et la lumière.

C'est le cas par exemple du Britannique John Davies, qui photographie presque exclusivement des paysages. Ci-dessous, le noir et blanc lui permet de faire ressortir le découpage très géométrique de cette station-service du Nord-Pas-de-Calais, et crée une image proche de l'abstraction.

 

John Davies. Station Elf, autoroute A26, Nord-Pas-de-Calais, 1988. (JOHN DAVIES / CENTRE REGIONAL DE LA PHOTOGRAPHIE)

C'est ce qui explique également l'intérêt du Japonais Daido Moriyama pour le noir et blanc. Ici, le contraste fort entre les teintes lui permet de créer une image hypnotique, qui évoque les expérimentations hallucinatoires de l'Op art (voir l'article que nous consacrons à l'exposition Dynamo).

Daido Moriyama. Papier peint "Mesh" (détail) (1986/2013). (DAIDO MORIYAMA / POLKA GALERIE)

On voit que les recherches des photographes ne sont jamais très loin de celles des plasticiens... Même si les artistes des deux camps se sont longtemps opposés (aux peintres la couleur, aux photographes... le reste). En noir et blanc, en utilisant des papiers spéciaux, des filtres, des procédés artisanaux, nombre de photographes cherchent pourtant à reproduire les effets de la peinture ou du dessin, un courant qu'on appelle le "pictorialisme". Parmi eux, la Française Sarah Moon, célèbre pour avoir collaboré aux campagnes de publicité Cacharel. Ses photos d'enfants évanescentes, comme celle ci-dessous, semblent grattées au couteau, passées au fusain.

  (SARAH MOON)

D'autres artistes revendiquent même une filiation esthétique avec les grands maîtres de la peinture. Comme Jean-Michel Fauquet dans cet étrange portrait qui est en fait une transposition en photographie du portrait du pape Innocent X, de Vélasquez (déjà repris par Francis Bacon).

Jean-Michel Fauquet. Sans titre. (JEAN-MICHEL FAUQUET)

Le noir et blanc permet donc de se rapprocher graphiquement de la peinture... tout en s'en distinguant.

Informations pratiques

Rencontres d'Arles (Bouches-du-Rhône)
du 1er juillet au 22 septembre
Tous les jours de 10 heures à 19h30
Forfaits : juillet-août, 29 à 36 euros
septembre : 26 à 31 euros
Une journée : 23 à 28 euros
Exposition à l'unité : entre 2 et 8 euros

A lire

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