Houellebecq : les ingrédients d'une polémique
L'écrivain est l'invité du journal de 20 heures de France 2, mardi 6 janvier, à la veille de la sortie de son dernier roman, "Soumission". Voici pourquoi le livre déchaîne déjà tant de passions.
On ne parle que de lui. Quelques semaines après la polémique autour du livre d'Eric Zemmour, voici que les passions se déchaînent autour de Soumission, le dernier livre de Michel Houellebecq. L'écrivain est l'invité du journal de 20 heures sur France 2, mardi 6 janvier, à la veille de la sortie du livre en librairie. En attendant, francetv info revient sur un mois de polémique.
Un marketing efficace
Tout débute par une page de publicité, lundi 5 décembre, dans la revue Livres Hebdo. L'éditeur Flammarion annonce la sortie du sixième roman de Michel Houellebecq, intitulé Soumission. Le livre est épais de 300 pages, mais le thème n'est pas encore dévoilé. Ce titre est la traduction du mot "islam", rappellent Les Inrocks. Simple hasard ? C'est aussi le nom du dernier film polémique du cinéaste néerlandais Theo Van Gogh, assassiné en 2004 par un islamiste.
L'éditeur Flammarion distribue "beaucoup" d'ouvrages à la presse, elle-même très demandeuse. Un jeu d'épreuves est adressé aux journalistes le 15 décembre, puis la version définitive, le 22. Un journaliste indélicat prend même le soin de scanner un exemplaire et de le diffuser en ligne. Pour la première fois en France, un livre est piraté avant sa parution. Les bonnes feuilles sont vite commentées sur les réseaux sociaux.
#Houellebecq veut-il faire peur en imaginant l'islam au pouvoir en France ? Rdv le 7/1 sur @franceinter #Soumission pic.twitter.com/EEbUxrG8TX
— christine siméone (@Chrissim2) 22 Décembre 2014
Une histoire à l'odeur de soufre
L'histoire, donc, se déroule en 2022, après un second mandat de François Hollande. Alors que le FN est tout proche de l'emporter, les électeurs français finissent par voter en majorité pour la Fraternité musulmane – un parti imaginaire qui a noué une alliance avec le PS, l'UMP et l'UDI. Un certain Mohammed Ben Abbes devient président de la République et nomme François Bayrou Premier ministre. Il émane de l'ouvrage comme une odeur de soufre. Car en 2001, Michel Houellebecq s'était déjà lâché lors d'un entretien avec le magazine Lire : "Et la religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré !"
Treize ans plus tard, rebelote ? "J'ai essayé de me mettre dans la tête d'un musulman et j'ai réalisé qu'ils sont dans une position schizophrénique", explique Michel Houellebecq, interrogé début janvier par la revue The Paris Review (en anglais). "Sur les questions de société, ils sont très loin de la gauche (...) et on ne voit pas vraiment comment ils pourraient voter pour la droite et a fortiori l'extrême droite, qui les rejettent." Du coup, pourquoi ne pas imaginer un parti musulman ? Cette hypothèse fait sourire le politologue Philippe Braud, contacté par l'AFP. Selon lui, la victoire d'un tel parti "est un scénario tout à fait invraisemblable ! (...) En France, on a horreur du communautarisme."
Une bataille médiatique enflammée
Le 2 janvier, le quotidien Libération consacre sept pages au roman. Le directeur de la rédaction, Laurent Joffrin, signe une charge virulente contre l'ouvrage, dans un journal pourtant divisé. "La fable de Houellebecq (...) permet de chauffer la place de Marine Le Pen au café de Flore", écrit le journaliste, qui reproche en sus à l'écrivain de jouer avec la thèse du "grand remplacement", développée par le penseur d'extrême droite Renaud Camus. Dans le roman, ce dernier prépare d'ailleurs les discours de la présidente du FN. Interrogé par L'Obs, Michel Houellebecq réfute les accusations de Joffrin et assure que son livre ne parle "quasiment pas" d'immigration. "Je pose des questions auxquelles la gauche ne peut pas répondre. La droite non plus, d’ailleurs."
Michel Houellebecq est accusé de jouer avec le feu. Et même de s'y brûler les doigts. "Je suis de culture musulmane, je suis profondément laïc, ce livre m'a foutu la gerbe", lance Ali Baddou, sur Canal+. Avant de fustiger "l'islamophobie installée et diluée dans le livre d'un grand romancier français".
Spécialiste de l'écrivain, l'universitaire Bruno Viard "ignore les raisons de l'hostilité à l'islam qui semblent lui être personnelles". Mais selon lui, "il est certain qu'il existe un côté provocateur et cynique chez Michel Houellebecq. Mais il ne faut pas le lire au premier degré."
L'écrivain compte néanmoins de nombreux défenseurs. Tandis qu'Alain Finkielkraut salue "un grand romancier du possible", la romancière Solange Bied-Charreton résume les choses à sa manière, dans une tribune publiée par Le Figaro : "Davantage contemplateur que contempteur du nihilisme contemporain, Houellebecq ne donne pas son avis. On a toujours tort de prêter une opinion à un fabuliste." "Si Houellebecq rejoint Zemmour, c'est dans cet anti-féminisme radical, reprend Jean-Dominique Merchet, de L'Opinion (article payant). Il ne suscite pourtant qu'indifférence, alors que l'islam déclenche la fureur. Comme tout vrai roman, Soumission dit beaucoup du pays qui le lit."
Un succès de librairie écrit à l'avance
La polémique gronde jusqu'au sommet de l'Etat. Invité sur France Inter lundi, François Hollande indique qu'il va lire Soumission "parce qu'il fait débat". Au passage, le président invite les Français à ne pas se laisser "dévorer par la peur" et ajoute que "l'idée de la submersion, de la soumission, de l'invasion, c'est une vieille idée".
A la veille de la sortie de Soumission en librairie, Michel Houellebecq assure la promo de son livre tambour battant. Dans un entretien à L'Obs, où il juge que "l'athéisme est mort, la laïcité est morte, la République est morte", il constate "un puissant retour du religieux". Un autre entretien est publié le même jour dans Le Figaro. A peine le temps de souffler, le voici attendu au journal de 20 heures de France 2, mardi soir.
Pendant ce temps, quelque 150 000 exemplaires du roman sont installés sur les présentoirs des librairies. Le livre sera vendu dans une quarantaine de pays, dont l'Espagne. Là-bas aussi, la presse s'enflamme, comme dans cet édito de La Vanguardia cité par Courrier international : "[En Europe], ce sont les intellectuels eux-mêmes qui allument les incendies, et notamment les écrivains les plus doués."
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