Faut-il se battre pour que "Le Journal d'Anne Frank" tombe dans le domaine public en 2016?
L'œuvre de la jeune Néerlandaise morte en déportation bénéficie d'un régime d'exception jusqu'en 2030, voire 2050, alors que la loi commune prévoit l'entrée d'une œuvre dans le domaine public soixante-dix ans après la mort de son auteur.
Non, Le Journal d'Anne Frank ne tombera pas en 2016 dans le domaine public. Livres Hebdo a signalé, mercredi 7 octobre, que les droits d'auteur du livre resteraient protégés, même si l'adolescente est morte déportée à l'âge de 15 ans en mars 1945, au camp de concentration de Bergen-Belsen (Allemagne).
En principe, un ouvrage tombe dans le domaine public soixante-dix ans après le décès de son auteur. Mais il y a des exceptions : Le Journal d'Anne Frank bénéficie ainsi du régime particulier des œuvres posthumes. Ses ayants droit, en particulier le Fonds Anne-Frank de Bâle (Suisse), continueront donc de gérer jusqu'à 2030 ou 2050 les droits de ce livre déjà vendu à quelque 30 millions d'exemplaires dans le monde.
Des blogueurs jugent cette protection "absurde"
Scandalisé par cette prolongation des droits, l'universitaire Olivier Ertzscheid a publié sur son blog un billet intitulé Chère Anne Frank. Il s'insurge que les ayants droit retardent l'accès au domaine public jusqu'à 2030, voire jusqu'à 2050 pour la version non expurgée. Contestant la loi sur le copyright, il donne accès, illégalement, à deux versions numériques du Journal d'Anne Frank.
Lui embrayant le pas, le juriste et blogueur Lionel Maurel analyse sur son blog S.I.LEX les deux lois empêchant l'œuvre d'appartenir librement à tous. Lui aussi publie des fichiers du journal. "Un tel acte est illégal, écrit-il, mais il arrive un point où l’absurdité de la règle de droit mérite qu’on lui oppose des actes de désobéissance civile." Et de rappeler que "la députée Isabelle Attard a essayé lors du récent débat sur la loi Création à l’Assemblée nationale d’obtenir la suppression des blocages ineptes qui empêchent encore les œuvres d’entrer dans le domaine, comme les prorogations de guerre affectant l’œuvre de Saint-Exupéry." En vain.
Eviter que le texte soit modifié par les négationnistes
Ce combat a aussi ses limites. La première est évoquée dans le billet d'Olivier Ertzscheid : le blogueur admet ne pas seulement léser les ayants droit d'Anne Frank, mais aussi ses traducteurs en français, Philippe Noble et Isabelle Rosselin-Bobulesco, dont les "droits d'auteur sont parfaitement justifiés".
Le journaliste Daniel Schneidermann, lui, explique longuement la seconde limite, sur le site Arrêt sur images : "Depuis sa publication, le journal d'Anne Frank (…) a dû subir tous les outrages des négationnistes, Faurisson en tête. Ils se sont acharnés à démolir cette pièce à conviction capitale contre la barbarie nazie."
Si les ayants droit d'Anne Frank refusent de voir l'œuvre tomber dans le domaine public, ce serait, rappelle le fondateur d'Arrêt sur images, pour combattre ces tentatives négationnistes. "Une entrée dans le domaine public, qui faciliterait éventuellement la publication d'éditions écrites annotées, critiques, tronquées, manipulées, modifierait-elle substantiellement le cadre de la controverse ?" La question reste ouverte.
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