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"Bananas (and Kings)" : du régime de bananes à la république bananière, la nouvelle pièce de Julie Timmerman

Une histoire de l'Amérique centrale, vue sous l'emprise de l'industrie agro-alimentaire de 1871 à nos jours : une succession de régimes bananiers.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Julie Timmerman dans sa pièce "Bananas (and Kings" (Pascal Gely)

Après la grande réussite de Un démocrate, sur le théoricien de la propagande, Edward Bernays (1891-1995), Julie Timmerman, autrice, metteuse en scène et comédienne, poursuit son travail sur les manipulations de masses. Sa nouvelle pièce, Bananas (and Kings), est jouée jusqu'au 1er novembre au Théâtre de la Reine blanche à Paris, puis partira en tournée. En raison du couvre-feu depuis le 17 octobre, les horaires ont changé (voir en bas de page).

Au cœur du sujet : le renversement en 1954 du président élu guatémaltèque Árbenz, suite à la propagande et l'intervention étatsunienne réclamée par l'industrie agro-alimentaire locale. Instructif et drôle, politique et engagé, historique et contemporain : Bananas rue dans les brancards.

République bananière

Si vous voulez connaître l’origine de l’expression "république bananière", qui désigne un régime politique corrompu, allez voir Bananas (and Kings). Vous saurez tout, en vous amusant, avec l’assurance d’un beau moment de théâtre. Durant ses recherches pour Un démocrate, Julie Timmerman avait découvert l’histoire du coup d’Etat de 1954 au Guatemala orchestré par la CIA pour renverser le président Jacobo Árbenz Guzmán. Edward Bernays y avait participé en sous-main, et elle a voulu creuser cet épisode qui pèse toujours sur le destin d’un pays, et de toute l’Amérique centrale, pris en otages par l’industrie bananière.

Anne Cressent, Julie Timmerman, Jean-Baptiste Verquin et Mathieu Desfemmes, dans "Bananas (and Kings)" de Julie Timmerman. (Pascal Gely)
Elle met au jour l’histoire d’un pays, et des ses voisins, manipulés par des intérêts économiques au détriment du peuple, depuis l’arrivée d’un colon aux dents longues en 1871, jusqu’au renversement d’Árbenz. Plus qu’une leçon d’histoire, une pièce enlevée, qui tient de bout en bout grâce à un texte fort et à des choix de mise en scène originaux, exigeants et prenants. Sur un sujet déduit de sa pièce précédente, Julie Timmerman se renouvelle tout en restant fidèle à elle-même, signe de sa créativité et de son talent, de conteuse et de dramaturge.

Minimaliste, sophistiqué et pour tous

Si Bananas ressuscite cette histoire peu connue, elle résonne avec le monde contemporain : corruption, lobbying, manipulation de masse, fake news, pesticides… sont toujours à l’œuvre aujourd’hui. La pièce vise ces "rois sans couronne" qui font le jour et la nuit des politiques. La grande force de Julie Timmerman est de transcrire sur scène ces enjeux avec un sens du récit épique qui emporte le spectateur au fil d’une fresque étendue sur une centaine d’année.

Le dispositif scénique minimaliste (budget oblige) est néanmoins sophistiqué, avec quatre comédiens et comédiennes aux prestations remarquables qui endossent à eux seuls 43 rôles ! Et l’on n’y voit goutte, tant la magie opère. Avec le choix de faire jouer des personnages masculins par des comédiennes, renouant ainsi, à l’envers, avec le théâtre élisabéthain ou Nô. L’on ne perd jamais le fil, grâce à la cohérence d’un texte qui dépasse le didactisme par une dramaturgie au souffle irrésistible. De rares vidéos, bruitages et musiques, totalement justifiés et envoûtants, participent du spectacle.

 Jean-Baptiste Verquin et Anne Cressent, dans "Bananas (and Kings)" de Julie Timmerman. (Pascal Gely)

Indispensable

Julie Timmerman, à la tête de la compagnie Idiomécanic Théâtre, éblouit par une telle maîtrise, où un texte dûment documenté et écrit, est transfiguré par des comédiens inspirés et sa mise en scène, épaulée par la dramaturge Pauline Thimonier, la scénographe Charlotte Villermet et le compositeur Benjamin Laurent. Au côté de l’autrice sur scène, Anne Cressent, Mathieu Desfemmes et Jean-Baptiste Verquin sont tour à tour machiavéliques, burlesques, clownesques, pathétiques, fantomatiques… Car des spectres et les mythes habitent aussi Bananas, tout comme le peuple indien, qu’ils invectivent en s'adressant au public, ainsi impliqué, interpellé par la scène.

Instructive, spectaculaire, rythmée et distractive, la pièce Bananas décrypte notre monde contemporain en revisitant le passé. Elle recoupe le propos du formidable documentaire d’Hubert Sauper, Epicentro, sur l'histoire propagandiste de Cuba, récemment sorti en salles. Une pièce remarquable qui arrive sur scène à un moment si difficile pour le spectacle vivant. Julie Timmerman comble tous les espoirs et vérifie sa nécessité vitale.

L'affiche de "Bananas (and Kings)" de Julie Timmerman au théâtre de la Reine blanche, à Paris, du 9 septembre au 31 octobre. (Dominique Hamot)

Bananas (and Kings)
De Julie Timmerman
Mise en scène : Julie Timmerman
Avec : Julie Timmerman, Anne Cressent, Mathieu Desfemmes et Jean-Baptiste Verquin
samedi 24 octobre à 16h
dimanche 25 octobre à 11h et 16h
lundi 26 octobre à 18h
samedi 31 octobre à 16h
dimanche 1er novembre à 11h et 16h
Théâtre de la Reine blanche
2bis passage Ruelle, 75018 Paris
réservations : 01 40 05 06 96

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