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Bicentenaire de Waterloo : il ne joue pas à Napoléon, il l'incarne

Depuis dix ans, Frank Samson, avocat parisien passionné par l'épopée napoléonienne, incarne l'empereur lors de reconstitutions historiques. Francetv info l'a rencontré à l'occasion du bicentenaire de la bataille de Waterloo.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Frank Samson incarne Napoléon, le 1er mars 2015, sur la plage de Golfe-Juan, à Vallauris (Alpes-Maritimes), lors du bicentenaire du retour d'exil de l'île d'Elbe. (JEAN-CHRISTOPHE MAGNENET / AFP)

Napoléon est sur le pied de guerre, à deux semaines du bicentenaire de la bataille de Waterloo, son ultime combat, celui qui scella son épopée impériale. L'empereur est assailli de toute part par les journalistes. Certains voudraient le voir sur le plateau de leur émission, son célèbre bicorne sur la tête. "Non, je ne viendrai pas en uniforme, ça n’a pas de sens", tranche-t-il.

Habillé d'un costume de ville, sans cravate, il reçoit dans son bureau parisien de l’avenue Kléber, l’une de celles qui mènent à son Arc de Triomphe. Un hasard, assure-t-il. Kléber n'était "pas le meilleur" de ses généraux. A choisir, il aurait préféré la rue Duroc, "l'ombre de Napoléon".

"Comme lui, je vais abdiquer"

Napoléon, ou plutôt Frank Samson. Depuis dix ans, cet avocat réputé, spécialiste du permis à points, installé dans le 16e arrondissement de Paris, endosse le costume de l'empereur lors de reconstitutions historiques retraçant les grandes heures du Ier Empire, comme celle qui doit se dérouler à Waterloo (Belgique) pour les deux cents ans de la bataille, du 18 au 20 juin. Mais à 47 ans, son règne touche à sa fin.

"Je suis très maniaque. Je veux que tout soit parfaitement conforme. Nous sommes sur le bicentenaire de son abdication, eh bien, comme lui, je vais abdiquer", argumente-t-il. "En reconstitution, il faut faire pareil. Donc, je fais pareil. Il faut partir quand on est au sommet. C’est ce que Napoléon a fait. Il a construit sa légende comme ça." Il concède aussi que son rôle est "très lourd" à porter et qu'il subit "beaucoup de pression". Il ajoute pince-sans-rire  : "Je ne veux pas encourir le ridicule du : 'Samson, ce vieux machin, ça fait 25 ans qu’il fait l’empereur'."  Ses doigts retombent sur son sous-main en cuir frappé d'un discret aigle impérial doré.

Frank Samson, dans son cabinet d'avocats, à Paris, le 4 juin 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)
 

L'homme de loi ne joue pas à Napoléon, il l'incarne. Pour lui rester fidèle, il s'est documenté, a appris à monter à cheval et à parler corse. Il pousse le mimétisme jusqu'à porter son eau de Cologne, Farina 1709, lâcher ses jurons et reproduire ses tics. Il tire sur sa manche, tapote sa botte de sa cravache, passe sa main dans son gilet, accorde une oreille à ses soldats, piétine son bicorne dans un accès de colère - il en a un prévu à cet effet. "L’idée est de donner un tableau historique vivant. Il y a une obligation de crédibilité générale", explique-t-il.

Sa "ressemblance physique" avec l'empereur en fin de règne est un autre atout. "J’ai la fameuse petite fossette, le nez bien droit, les yeux gris de la bonne couleur. Et je fais 90 kilos, au désespoir de l’impératrice." Seul défaut : "Je suis beaucoup trop grand. J'ai deux centimètres de trop", fait-il mine de se lamenter. Quant à la coupe de cheveux, ce n'est pas un problème : le quadragénaire chauve enfile une perruque.

Frank Samson dans le rôle de Napoléon, le 20 avril 2014, à l'occasion des 200 ans des adieux de l'empereur à sa garde, au château de Fontainebleau (Seine-et-Marne). (FRANCK FIFE / AFP)

Enfin, il revêt "des uniformes impeccables", copies exactes de ceux portés par l'empereur deux cents ans plus tôt. "Je suis très méticuleux", relève-t-il. Une quête de la perfection onéreuse, mais dont il a les moyens. En 2011, il a dépensé quelque 10 000 euros dans la confection de son costume de sacre impérial, fait de fourrure d’hermine et de velours cramoisi et brodé à l’or à la main. "Le maître-mot de la reconstitution, c’est : 'Il faut faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux.'"

Dans la vitrine de son bureau parisien, les soldats de plomb napoléoniens jouxtent les maquettes de chars de la seconde guerre mondiale, mais aussi un Nautilus et un Goldorak. En Bretagne, dans l'ancienne ferme qu'il habite, il y a des mannequins en uniformes dans le couloir. Les habits impériaux, eux, sont suspendus dans la penderie.

"Napoléon a toujours été à mes côtés"

L'homme aime l'histoire - en particulier "celle des conflits". Il est aussi attiré par "la chose militaire" et fasciné par les uniformes - à ses yeux " à leur apogée sous le Ier Empire". Il est enfin passionné depuis l'enfance par Napoléon, "le plus grand personnage politique de tous les temps", et l'épopée napoléonienne, "sa trajectoire exceptionnelle""sa grandeur""Si vous mélangez tout ça, cela vous mène à la reconstitution historique", conclut-il. 

"Napoléon a toujours été à mes côtés", analyse Frank Samson. Pourtant, c'est un artisan costumier de Dinard qui fait de lui un empereur, en 2004. "J’habillais des mannequins à l’échelle réelle", raconte l'avocat qui cherche alors de nouveaux uniformes pour sa collection. La ville organise un événement dans le cadre d'une année impériale. Le costumier lui suggère d'y aller en uniforme. Samson se laisse tenter et s'y rend avec "un costume tout pourri". Sa femme Delphine joue l'impératrice. Il se prend au jeu. Le costumier est toujours le fournisseur officiel de l'avocat-empereur.

Frank Samson dans le rôle de Napoléon, le 20 avril 2014, à l'occasion des 200 ans des adieux de l'empereur à sa garde, au château de Fontainebleau (Seine-et-Marne). (FRANCK FIFE / AFP)

A cette époque, le monde de la reconstitution est orphelin de son Napoléon. Sa santé déclinant, le Corse Armand Frascuratti, premier du genre, a laissé le trône vacant. C'est l'occasion pour Frank Samson de se faire introniser. D'abord très remarqué, l'avocat finit par être adoubé, non sans mal, par la sourcilleuse communauté des reconstitueurs. Il est certes "un peu trop sophistiqué" avec "sa cour" et son état-major, aux yeux de certains, mais il reste "plausible".
 
A force de travailler son personnage et grâce à un luxe de costumes, Frank Samson réussit même à éclipser l'Américain Mark Schneider, sérieux concurrent au titre avec sa "gueule" de Bonaparte et ses talents équestres, mais handicapé par son accent. Victoire suprême, il s'impose pour les grandioses célébrations du bicentenaire de Waterloo, alors que les reconstitutions historiques autrefois confidentielles deviennent à la mode et attirent des dizaines de milliers de spectateurs. 

Pour être sacré, il n'y a ni élection, ni coup d'Etat, souligne l'avocat-empereur. "C’est une cooptation des 8 000 à 10 000 personnes qui composent le monde de la reconstitution en Europe. Au cours des reconstitutions, il y a une espèce de plébiscite implicite où on se dit : 'Tiens, c’est lui l’empereur.'"  

"J’ai tendance à mettre tout le monde en uniforme"

Pour régner sur le monde de la reconstitution, Frank Samson s'est entouré. Son fils aîné, Victor, est lieutenant des carabiniers. Son cadet, Octave, est page impérial. Et quand il a fallu, son épouse "s’est transformée de Joséphine en Marie-Louise". Il reconnaît qu'il n'aurait jamais pu aller aussi loin dans sa passion sans leur soutien. Dans son association, 1804, qui reconstitue l’empereur et son état-major, "beaucoup des officiers sont d’abord des copains". "J’ai tendance à mettre tout le monde en uniforme", s'amuse-t-il.

Après sa future abdication, le Belge Jean-Gérald Larcin, surnommé "la doublure" dans le milieu, "paraît assez bien placé pour remporter la couronne", juge-t-il. "Moi, ça ne me déplairait d’être enterré avec mon uniforme", sourit-il. D'ici là, il compte faire voyager sa collection d'une vingtaine de costumes et la présenter au public dans des expositions itinérantes.

"C’est prenant la vie d’empereur"

Du retour d'exil à Golfe-Juan, au bord de la Méditerranée, en mars, à la bataille d'Austerlitz, en République tchèque, en décembre, l'année est chargée. "C’est prenant la vie d’empereur", sourit-il, dénombrant presque une sortie par mois.

S'il est Napoléon, Frank Samson n'est ni un chef de guerre, ni le chef d'orchestre des reconstitutions historiques. "Je ne commande pas les soldats sur le terrain, même si parfois, ils me le demandent. Il m’arrive souvent que des chefs de corps viennent me voir pour prendre leurs ordres. Je leur dis : 'Faites comme vous le sentez'", rigole-t-il.

Ses plus beaux souvenirs sont "des instants d’histoire fugitifs" où il a eu l'impression d'avoir "réussi à remonter le temps". Il les vit au présent. "A Austerlitz, après la bataille, nous voilà repartis dans les champs couverts de neige avec mes chasseurs à cheval. On galope comme des cinglés. Il n’y a rien de moderne autour de nous et là on se dit : 'Tiens, on ne serait pas en 1805 ?'"

Frank Samson en Napoléon, le 1er mars 2015, sur la plage de Golfe-Juan, à Vallauris (Alpes-Maritimes). (JEAN-CHRISTOPHE MAGNENET / AFP)

Il se souvient aussi d’un moment "très personnel, voire égoïste". "Quand je monte dans la calèche en grande tenue de sacre et que j’y retrouve mon épouse, elle-même costumée. La calèche s’ébranle et nous voilà partis pour la cathédrale pour s’y faire sacrer. On se regarde en se disant : 'Là, c’est très fort'."

Frank Samson rejoue le sacre de Napoléon à la basilique de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), le 28 mai 2011. (ASSOCIATION EMPIRE 1804)

"Vous connaissez Groland ? C’est pareil !"

Tel son modèle, Frank Samson a créé un empire. Depuis bientôt 20 ans, il règne sur l'Empire de la Basse Chesnaie, une micronation qu'il a fondée à Saint-Thual (Ille-et-Vilaine), le petit village breton où il réside. Trône, couronne, drapeau frappé de l'initiale de son prénom, mais aussi sujets, constitution et décrets : rien ne manque.

Sa famille occupe les postes-clés, ses amis sont des ministres aux titres fantaisistes et deux oies président la cour de justice impériale. "Vous connaissez Groland ? C’est pareil !", lance l'homme de loi. "Même si l’inspiration napoléonienne est partout, c’est un empire de pacotille, un jeu intellectuel, parce que j’aime le droit constitutionnel et j’aime écrire du droit."

Ni démocrate, ni républicain, mais monocrate

Et comme Napoléon, il croit au pouvoir d'un seul. "Je suis convaincu que la construction constitutionnelle de notre pays n’est pas la bonne, que la république démocratique est le pire des systèmes, argue-t-il. La monocratie est bien meilleure, bien plus efficace pour respecter les droits de l’homme. Le bien du peuple n’est pas dans le cri de la masse mais dans le cœur du prince, j’en suis persuadé." 

L'avocat-empereur tire une leçon de vie de sa passion : "Je crois qu’on vit bien le présent quand on connaît le passé." Pour autant, il se défend de faire de la politique. "Les hommes politiques modernes ne m’intéressent pas. Je n’ai pas d’opinion sur eux, si ce n’est une opinion générale négative. J’ai l’impression que ces gens-là ne tirent pas les leçons du passé."

Frank Samson traverse la cour du Louvre à cheval, en costume de Napoléon, le 20 mars 2015, à Paris. (CHARLES PLATIAU / REUTERS)

Etre Napoléon, "c’est un loisir, strictement bénévole", insiste-t-il. "Je n’ai jamais touché un seul centime." L'avocat-empereur s’amuse de voir sa tête reproduite sur les tasses, aimants ou porte-clefs de la boutique de souvenirs de Waterloo 2015. Face à l’engouement du grand public, il plaisante. "A Golfe-Juan, je n’avais jamais vu ça. Quand je suis arrivé sur la plage, j’ai cru que j’étais les Beatles. C’était hallucinant. Si Napoléon revient, il reprend son trône les doigts dans le nez." 

A Waterloo, "on va essayer de frapper fort. Ça va être un déménagement. J’emmène tout : la tente impériale, tout son nécessaire, le lit, le cabinet..." Après, Frank Samson embarquera pour l'île d'Aix, où il fera ses adieux en juillet. L'avocat-empereur ne partira pas pour Sainte-Hélène. Mais en "vacances dans le Sud, comme d'habitude".

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