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Nuit debout : quand les vieux routiers du militantisme rencontrent les apprentis manifestants

Plusieurs centaines de manifestants ont occupé, pour la cinquième nuit, la place de la République à Paris. Tous disent leur défiance envers la classe politique.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des manifestants occupent la place de la République à Paris, le 1er avril 2016, dans le cadre du mouvement "Nuit debout".  (MAXPPP)

"Viens là, Pikachu !" Un petit groupe de manifestants, qui défile sur la place de la République d'un pas rapide, attrape par le bras le jeune homme déguisé en Pokémon. "Attendez deux minutes et j'arrive", répond-il. Sa voix est éraillée. On la devine usée par les nombreuses heures passées à s'égosiller. Le jeune manifestant s'apprête à passer, lundi 4 avril, sa cinquième Nuit debout sur la place parisienne. 

Ce sans domicile fixe, âgé de 19 ans, est déjà un militant confirmé. "Je suis anti-raciste, et depuis que j'ai 14 ans, j'enchaîne les mobilisations." Le garçon, aux longs cheveux blonds, raconte fièrement être parti en Allemagne pour manifester contre le NPD, le parti d'extrême droite. "Ici, tout le monde me connaît. Je suis le Pikachu antifa", dit-il, sourire aux lèvres.

Un militant déguisé en Pikachu, lors du rassemblement Nuit debout sur la place de la République (Paris), le 4 avril 2016.  (KOCILA MAKDECHE / FRANCETV INFO)

Une première mobilisation pour les lycéens

En cinq jours, le mouvement Nuit debout s'est créé des mascottes. Et un langage propre. Lors des votes, pendant les assemblées générales, les manifestants agitent les mains en l'air pour dire leur approbation. Dans les groupes de paroles, intermittents du spectacle et agriculteurs, militants féministes et défenseurs des migrants se relaient au mégaphone pour évoquer leurs combats. Les routiers du militantisme côtoient des jeunes qui vivent leur première mobilisation.

C'est le cas de Céline. A 16 ans, elle a manifesté pour la première fois ces dernières semaines contre la loi Travail. C'est ainsi qu'elle a atterri sur la place de la République. "Je suis venue ici parce que la police agresse les lycéens, s'indigne la jeune fille, en faisant référence à la vidéo d'un lycéen frappé par un policier, le 24 mars. Mais maintenant, ce n'est plus possible, on est trop nombreux. Qu'ils viennent les flics, ils vont voir."

"La violence, ça fait peur aux gens"

Henri, 54 ans, prend Céline en aparté. "Ne dis pas ça sur la police. Il faut faire attention à ce que tu dis devant les journalistes", prévient-il. Ce militant altermondialiste de longue date est un habitué des mobilisations. Il partage son expérience avec la lycéenne. "Moi, je me suis déjà battu avec les flics un paquet de fois après les manifs, mais la violence ça fait peur aux gens. Et ce n'est pas comme ça qu'on va amplifier le mouvement. Ce n'est pas cette image qu'il faut renvoyer."

Hormis une brève bousculade entre les CRS et les manifestants, qui tentaient d'interpeller Manuel Valls dans le théâtre Déjazet voisin, le rassemblement de la Nuit debout se déroule dans le plus grand calme.

L'ambiance y est bon enfant. Les centaines de manifestants discutent, dansent et chantent au son des groupes venus réchauffer l'ambiance nocturne. 

"Là, j'ai l'impression qu'il se passe vraiment quelque chose"

"C'est génial ce qu'il se passe, s'extasie Samia, serveuse de 27 ans. Je ne suis pas du tout une habituée des manifestations, mais là, j'ai l'impression qu'il se passe vraiment quelque chose. Que ce n'est pas récupéré par les politiques." Ici, on refuse toute affiliation à un parti. Jean-Christophe Cambadélis est venu sur la place, mais n'a pas été reconnu, a-t-il avoué à L'Opinion. Julien Dray, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon sont aussi passés brièvement ces derniers jours, mais n'ont pas eu le droit à une tribune. 

S'il accorde une certaine sympathie à Jean-Luc Mélenchon, Jean reste très critique envers l'ensemble de la classe politique. "La démocratie ce n'est pas l'élection, c'est le tirage au sort", peut-on lire sur la pancarte de cet étudiant en philosophie politique. Un homme d'une quarantaine d'années, portant un sticker avec une étoile rouge, le reprend : "Tu ne devrais pas écrire ça, c'est pas du tout consensuel ici. Mais bon, c'est ton point de vue et tu peux t'exprimer à titre individuel." Sur la place de la République, on débat. Constamment. Et on vote. Comme dans les organisations d'extrême-gauche, on vote même le fait de voter. 

"Je ne suis pas là contre la loi Travail, mais pour changer le système"

A 24 ans, Jean connaît les débats perpétuels des mobilisations. Il y a deux ans, il a participé au début de la contestation de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Pour lui, la continuité entre la mobilisation dans la ZAD et l'occupation de la place République est évidente : "on nous parle de loi Travail, de Notre-Dame-des-Landes, mais tout va ensemble. Les gens n'en peuvent juste plus de ce système."

Si le mouvement est né de la contestation de la loi Travail, il est désormais bien plus global. "Je ne suis pas là pour remplacer Hollande par quelqu'un d'autre, je ne suis pas là pour remplacer un patron par un autre, s'exclame un jeune homme au mégaphone. Je ne suis pas là contre la loi Travail, mais pour changer le système tout entier." 

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