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Cinq handicaps de Pôle emploi pour lutter contre le chômage

Face à la progression du nombre de chômeurs en France, le service public de l'emploi est débordé. Francetv info revient sur ces principales difficultés.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une agence de Pôle emploi à Armentières (Nord), le 27 août 2014. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Pas d'embellie sur le front du chômage. Le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté de 0,8% en octobre, pour s'établir à 3,46 millions de personnes. Au total, toutes catégories confondues, les inscrits à Pôle emploi sont désormais 5,15 millions. 

Pour Pôle emploi, la prise en charge de ces chômeurs toujours plus nombreux s'avère difficile. Pourtant, depuis 2008, son budget a grimpé de 3 à 5 milliards d'euros et ses effectifs sont passés de 45 000 à 53 000. Comment expliquer ce paradoxe ?

1Moins de propositions d'emploi

Dans Pôle emploi, autopsie d'un naufrage, sorti en octobre, et coécrit avec Patrick Lelong, l'ex-directeur général adjoint de Pôle emploi Hervé Chapron ne mâche pas ses mots. Dans son viseur : l'échec de la fusion entre l'ANPE et les Assédic. "Aujourd'hui, l'agence assure principalement l'accueil des demandeurs d'emploi. Cela représente 40% de son activité. Et c'est le problème de base, car cela signifie que la recherche d'emploi n'est plus son activité principale", explique-t-il à francetv info.

Le Bon Coin, Indeed, Meteojob ou Monster : le site internet de Pôle emploi n'est pas seul à répertorier les propositions de travail. Le problème est qu'il n'arrive pas à les rassembler comme le font d'autres sites ou les agences d'intérims, car il n'est pas suffisamment ancré dans les territoires pour prendre des initiatives adaptées, dénonce Hervé Chapron. "Pôle emploi propose 30% d'offres inédites, le reste, ce ne sont que des reprises", estime-t-il. La rubrique emploi du Bon Coin, avec 2 millions de visiteurs uniques, s'impose comme le leader des sites privés derrière Pôle emploi, selon des chiffres de Mediametrie publiés en septembre.

Mais l'agence refuse de considérer ces sites comme une menace. "Loin d'être des concurrents, ils sont, au contraire, complémentaires de nos services pour offrir une meilleure visibilité aux demandeurs d'emploi", écrit l'organisme sur son site internet. Et pour éviter de perdre du terrain, et proposer davantage d'annonces, Pôle emploi a lancé des partenariats avec l'Apec, Jobijoba, ou RégionsJob, ainsi qu'avec des sites spécialisés dans certaines offres d'emploi.

2Des secteurs d'activité difficiles à connaître

"J'ai 30 ans d'activité dans cette branche, et je me retrouve devant un conseiller qui ne connaît même pas mon métier." Jacqueline Balsan entend souvent ce discours. Vice-présidente du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), elle est responsable d'une maison des chômeurs à Montpellier (Hérault). Elle reçoit demandeurs d'emploi et travailleurs précaires "du matin au soir", pour un CV, une lettre de motivation ou "un simple café".

"Les conseillers de Pôle emploi devraient davantage analyser les besoins des entreprises pour savoir pourquoi elles ne recrutent pas", explique-t-elle à francetv infoSa structure ne se substitue pas à Pôle emploi, mais elle est complémentaire, selon elle. "Si Pôle emploi assurait un réel accompagnement, on ne serait pas dans l'obligation de recevoir un demandeur d'emploi, on ferait simplement avancer leurs droits", regrette-t-elle toutefois.

Mais avec des "portefeuilles" de plus de 110 demandeurs d'emploi en moyenne, contre 60 prévus, les conseillers sont submergés. D'autant que certains postes ne se trouvent qu'à travers un réseau professionnel. "Comme c'est le cas dans l'imprimerie par exemple", cite Jacqueline Balsan.

3Des formations mal organisées

La formation professionnelle bénéficie de 32 milliards d'euros par an en France, dont 1,5 milliard pour les demandeurs d'emploi. Les formations éligibles au sein de Pôle emploi sont "achetées" par l'agence à travers la procédure d'appel d'offres qui doit respecter à la fois les marchés publics et les procédures.

En théorie, ces formations sont donc sélectionnées avec sérieux. Mais en pratique, elles réservent parfois quelques surprises. C'est ce qui est arrivé à Marianne K., créatrice d'entreprise tout juste inscrite à Pôle emploi. Dans un témoignage mis en ligne sur Rue89 en août, elle affirme que son conseiller l'a envoyée vers une formation... qui n'existait pas.

Dans Pôle emploi, ne quittez pas!, un documentaire de Nora Philippe tourné en immersion dans une agence de Seine-Saint-Denis, un chômeur voit sa formation annulée à cause d'un retard administratif, l'empêchant de partir travailler à l'étranger comme prévu. "Je suis de banlieue, je n'ai pas de vécu. Ça aurait été l'occasion de vivre quelque chose", se désole-t-il (à 1''30) dans ce film sorti en salles le 19 novembre.

"Si c'est Pôle emploi qui finance une formation, le conseiller peut avoir un regard sur son contenu et son organisation. Mais si c'est une autre structure qui s'en charge, un conseil régional par exemple, des difficultés peuvent se produire, reconnaît la direction de Pôle emploi, contactée par francetv info. Parfois, il y a aussi un décalage entre le souhait du demandeur d'emploi et la réalité du marché du travail. Lorsqu'il y a peu d'offres dans un secteur, on refuse de former quelqu'un dans ce domaine. On préfère l'orienter vers des formations courtes qui débouchent sur un emploi."

4Des chômeurs de longue durée mis de côté

La France compte de plus en plus de chômeurs de longue durée, c'est-à-dire à la recherche d'un emploi depuis au moins un an. Dans son rapport "France, portrait social", rendu public le 19 novembre, l'Insee recense 1,1 million de chômeurs de longue durée en 2013, dont 600 000 sans emploi depuis plus de deux ans. Parfois, ils n'ont plus accès aux allocations les plus courantes.

En principe, les chômeurs les plus en difficulté bénéficient d'un accompagnement renforcé de Pôle emploi, et d'allocations spécifiques, pour les aider à retrouver un travail plus efficacement. Pourtant, le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) estime que l'agence peut mieux faire. Cette instance d'expertise, placée auprès du Premier ministre, a émis plusieurs propositions le 2 octobre. Elle souhaite que l'établissement public détecte plus en amont les profils à "risque", accélère leur prise en charge et développe le système d'"accompagnement global".

"Nous sommes en phase avec ces propositions, assure la direction de Pôle emploi. Les chômeurs de longue durée sont notre cible principale. Parfois, ils sont autonomes, parfois c'est l'extrême opposé. Pour identifier d'éventuels problèmes sociaux, de logements ou de transports, nous avons signé des partenariats qui instaurent des modalités de suivi du demandeur d'emploi avec 16 conseils généraux, dès le mois de juin."

 

5Peu de relations individuelles

Un rendez-vous en huit mois, deux en quatre ans, des entrevues remplacées par des e-mails... La relation entre chômeurs et conseillers de Pôle emploi s'écrit en pointillés. Ces derniers ne manquent pas de volonté, mais ne peuvent guère individualiser les entretiens. "Mon rêve de conseillère, c'est de pouvoir passer tout un après-midi avec le même demandeur", confie à Rue89 Valérie, conseillère Pôle emploi en banlieue parisienne.

Son homologue Laurence Boulieu, qui exerce à Cergy (Val-d'Oise), défend, elle aussi, un accompagnement sur-mesure des chômeurs dans son livre L'emploi, j'y crois, publié début septembre. "Je travaille beaucoup sur le savoir-être, la valorisation de la personne", confie-t-elle. Pour appliquer sa méthode, elle reconnaît travailler dans des conditions favorables. "Je suis privilégiée, j'ai un 'portefeuille' de 70 demandeurs d'emploi seulement."

"Il manque un maillon entre les employeurs et les demandeurs d'emploi", observe Paul Landowski, contacté par francetv info. Ce constat l'a poussé à créer le concept du Café Contact de l'Emploi, en 2006, alors qu'il était lui-même au chômage. Comme son nom l'indique, cet événement permet à des demandeurs d'emploi de rencontrer des responsables d'entreprises qui cherchent à recruter, dans un lieu plus convivial.

"On pousse la porte d'un café, et on parle à une dizaine d'employeurs. Le lien est direct, sans intermédiaire, explique-t-il, fier de dire que Pôle emploi le recommande auprès des chômeurs. Maintenant, j'aimerais signer une convention avec eux." De son côté, l'agence assure que ce type d'initiatives est complémentaire avec son action, et se dit ouvert à la création de partenariats.

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