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Réinsertion des détenus : pourquoi les conseillers pénitentiaires se mobilisent depuis trois mois

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, qui jouent un rôle primordial dans la lutte contre la récidive, mènent une nouvelle journée d'action, jeudi.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Manifestation du personnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), devant le ministère de la Justice, à Paris, le 10 mai 2016. (MAXPPP)

Spip. Ce sigle n'est pas forcément connu du grand public. Il désigne les services pénitentiaires d'insertion et de probation. Peu exposés, les agents de ces services jouent pourtant un rôle essentiel dans le suivi des détenus et la lutte contre la récidive.

Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), qui n'ont pas le droit de grève, se mobilisent depuis trois mois. Après une manifestation unitaire, le 10 mai, ils mènent une nouvelle journée d'actions un peu partout en France, jeudi 9 juin, à l'appel de trois syndicats : la CGT, la CFDT Interco-Justice et le Snepap-FSU. Francetv info vous explique pourquoi.

Que fait un conseiller d'insertion et de probation ?

Pour expliquer ce métier, Delphine Colin, secrétaire nationale de la CGT Insertion probation, utilise l'expression "éducateur pénitentiaire". Le CPIP accompagne les personnes placées "sous main de justice". Cela concerne à la fois les personnes en milieu fermé et en milieu ouvert. Dans le premier cas, les CPIP interviennent directement dans les prisons. Ils prennent en charge les détenus incarcérés en attente de leur procès, et les personnes déjà condamnées et emprisonnées. Dans le second cas, ils accompagnent les personnes condamnées qui ont bénéficié d'un aménagement de peine. Au total, cela concerne entre 240 000 et 250 000 personnes en France.

"Pour les personnes incarcérées, le CPIP est le lien relationnel entre le détenu, la famille, les associations externes, les activités socio-culturelles", relève Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral CFDT.

C'est une prise en charge qui n'a rien à voir avec le travail du personnel de surveillance.

Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral CFDT

à francetv info

"C'est parfois simple : c'est aider une personne incarcérée, qui a un logement et qui n'a pas de famille pour rendre le bail de ce logement, ou écrire à EDF ou GDF pour fermer les compteurs. Ou contacter les impôts pour dire 'je n'ai plus de logement', explique-t-il. Après ces petites choses, on aide les personnes à se prendre en charge en prison, à s'insérer dans la vie collective, prendre des cours d'alphabétisation ou suivre une formation pour passer des diplômes."

Pour les aménagements de peine, il s'agit d'aider les personnes à trouver un emploi ou une formation, un logement ou une solution d'hébergement, et de leur permettre d'accéder aux soins. Une question capitale lorsque ces derniers sont obligatoires, comme dans les affaires de mœurs ou les cas liés à la drogue ou à l'alcool. 

"Parfois, il faut aider les personnes à retrouver un loisir. Par ce biais, elles vont rompre leur isolement, se reconstituer un réseau amical. Ce sont des petites choses, explique Delphine Colin. Il n'y pas de formule miracle. Chaque conseiller est différent et tout se passe dans la relation qu'il a avec la personne. Et c'est un vrai accompagnement, on ne fait pas les choses à leur place." 

C'est tout un "travail d'approche sociale, d'approche psychologique, d'écoute", estime Jean-Philippe Guilloteau.

Souvent, les gens ne comprennent même pas leur jugement. Les termes sont techniques. A mon sens, notre rôle est de donner ou redonner de l'humanité et du sens à une action de justice.

Delphine Colin, secrétaire nationale CGT Insertion probation

à francetv info

Pourquoi ce mouvement de protestation ?

L'étincelle qui a mis le feu aux poudres date du 14 décembre 2015. Ce jour-là, des organisations syndicales et la ministre de la Justice d'alors, Christiane Taubira, signent un texte que cette dernière qualifie d'historique. En théorie, ce "relevé de conclusions" "devait concerner l'ensemble des personnels pénitentiaires, mais, sur le papier, tous les personnels sont concernés sauf les personnels d'insertion et de probation. Ils n'apparaissent pas dans le texte", explique Jean-Philippe Guilloteau.

En clair, les surveillants pénitentiaires bénéficient d'une augmentation du régime indemnitaire. Mais pas les personnels d'insertion et de probation. "Tant mieux pour ceux qui l'ont obtenue, c'est normal qu'ils l'aient eue. Mais ce n'est pas normal qu'une catégorie soit mise de côté (...). Cela a été perçu comme une forme de mépris", résume le secrétaire fédéral de la CFDT.

Derrière cet événement déclencheur, il existe d'autres raisons, plus profondes, à leur colère. La première d'entre elles est le manque criant de personnel. Le SPIP compte au total 4 000 personnes. Mais, selon Jean-Philippe Guilloteau, seules quelque 2 800 personnes sont vraiment sur le terrain. "En moyenne, on suit 100-120 personnes chacun", détaille Delphine Colin. Loin des 80 personnes par conseiller annoncées par la Chancellerie. "C'est un chiffre théorique qui ne correspond pas du tout à la réalité. Il y a beaucoup de temps partiels et beaucoup de personnes qui ne sont pas dans les services, qui sont en détachement, en disponibilité, en congés parentaux, et des collègues qui n'exercent pas à proprement parler des missions de suivi. Qui sont, par exemple, à l'administration centrale."

Pourtant, le chiffre officiel affiché par le ministère de la Justice est déjà bien au-dessus des 60 personnes par conseiller préconisées par le Conseil de l'Europe. Et encore plus loin des 30 personnes par agent au Canada ou des 25 en Suède.

On a montré qu'un entretien qui dure moins de quarante-cinq minutes n'est pas efficace. Mais, aujourd'hui, les entretiens ne dépassent pas vingt minutes. Quand vous avez 130 personnes à suivre, il est impossible de prendre ce temps.

Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral CFDT

à francetv info

Au manque de personnel s'ajoute un problème matériel. "Dans mon service, on fait la queue pour avoir un bureau libre pour recevoir les personnes", déplore Delphine Colin.

Jean-Philippe Guilloteau pointe la vétusté des locaux, "parce qu'il n'y a pas de maintenance". Il rapporte également que dans les départements ruraux, les conseillers se déplacent avec des voitures de fonction. Mais celles-ci datent de 2006, ne sont pas bien entretenues et affichent parfois 200 000 à 250 000 kilomètres au compteur. Résultat, "leur utilisation est très compliquée".

Autre problème : un "parc informatique très, très vieux" qui peine à faire tourner les "logiciels de pointe" utilisés par les CPIP. Du coup, "le personnel perd énormément de temps".

Que réclament-ils ?

Les conseillers d'insertion et de probation souhaitent une meilleure reconnaissance et bénéficier de la même revalorisation que les surveillants de prison. Mais ce n'est pas tout. Les CPIP sont recrutés à bac+2. Lorsqu'ils réussissent le concours, ils doivent ensuite suivre deux ans de scolarité. "Quand ils sortent de l'école et qu'ils prennent leur fonction de titulaire, ils ont un niveau bac+4 qui n'est pas reconnu. Ils n'ont que la reconnaissance bac+2", résume Jean-Philippe Guilloteau. Et d'ajouter : "La technicité de leur métier n'est pas reconnue. Il faut connaître le Code pénal, les condamnations. Ils sont en contact avec les juges, les juges de l'application des peines, les juges des libertés et de la détention. Le personnel des SPIP est en lien direct avec la magistrature."

Au sein de la fonction publique, les CPIP sont en catégorie B. "On estime que nos missions valent largement la catégorie A en termes de responsabilités. Et il y a aussi une dimension d'égalité professionnelle. Notre profession est extrêmement féminisée, à 75%, et on constate – même dans la fonction publique – qu'il y a des écarts de salaires entre les professions à forte dominante masculine et celles à forte dominante féminine", note Delphine Colin.

Les CPIP demandent également davantage de personnel et de moyens. Difficile de chiffrer le nombre de personnes à embaucher : la CGT estime qu'il en faudrait 1 000 de plus, la CFDT, elle, juge qu'il faudrait doubler les effectifs sur le terrain.

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