Emmanuel Macron peut-il se dédouaner de la fermeture de l'usine Alstom de Belfort ?
L'ex-ministre de l'Economie a démissionné le 30 août du gouvernement. Une semaine plus tard, la direction d'Alstom annonçait la fermeture de son usine de Belfort. Mais Emmanuel Macron affirme n'avoir jamais été informé de ce plan qui menace 400 emplois.
L'effet boomerang. Fin août, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, claquait la porte du gouvernement pour "avoir les mains libres". Une semaine plus tard, la direction d'Alstom annonçait la fermeture de l'usine de Belfort (400 salariés) et le transfert d'ici 2018 de la production de locomotives à Reichshoffen, dans le Bas-Rhin.
Plusieurs candidats à la présidentielle en ont profité pour s'en prendre au bilan de l'ex-ministre. A commencer par Nicolas Sarkozy, qui a taclé le démissionnaire : "Il n'a rien fait, c'est désolant." Réponse d'Emmanuel Macron dans une interview à l'agence Reuters : "jamais", assure-t-il, il n'a été question d'une fermeture du site de production d'Alstom à Belfort lors des discussions entre les dirigeants du groupe et l'Etat actionnaire. Mais l'ex-banquier d'affaires peut-il vraiment se laver les mains de cette nouvelle chute d'un fleuron de l'industrie française ? Franceinfo répond aux deux principales questions qui se posent sur son action.
Emmanuel Macron savait-il que le site allait fermer ?
"La question du site de Belfort ne faisait pas partie de nos discussions avec Alstom en 2015, il n’en a pas été question une seconde. Le fermer n’était envisagé par personne, tout simplement", assure à L'Est républicain le chef de file du mouvement En marche !, qui évoque une décision "soudaine, brutale et condamnable". L'ex-ministre en rajoute, dans les colonnes du Monde : "Je ne peux m’empêcher d’y voir une décision opportuniste, prise à la faveur de mon départ du gouvernement."
Pourtant, cela fait deux ans que les syndicats alertent l'Etat sur un manque de commandes en France. Dès 2014, selon L'Express, des centrales syndicales ont sollicité Emmanuel Macron "pour lui faire part de la situation de la filière ferroviaire". Une importante fédération, poursuit l'hebdomadaire, écrivait au ministre : "A l'horizon 2017, la charge de la filière française sera de 0 caisse/wagons, avec seulement 300 en optionnel et 200 en prévisionnel. Les principales causes de ce déclin sont essentiellement liées à une mauvaise politique sur le volume TGV, une absence flagrante de schéma gouvernemental et l'abandon du fret ferroviaire."
Même écho du côté des élus locaux. Joint par franceinfo, le sénateur LR du Territoire de Belfort, Cédric Perrin, s'étrangle quand on lui demande si le gouvernement était au courant des difficultés de l'usine de Belfort.
Il faut arrêter de faire des carabistouilles ! Ça fait un an et demi qu'on alerte le gouvernement et Emmanuel Macron sur la situation !
Et de nous envoyer aussitôt copie d'une dizaine de lettres adressées en 2015 et 2016 à François Hollande, au ministre des Transports, Alain Vidalies, et au ministre de l'Economie, Emmanuel Macron. Le sénateur y fait part de son inquiétude sur la baisse des commandes d'Alstom et sur le maintien de l'activité des usines de la région de Belfort.
En août 2015, Emmanuel Macron a d'ailleurs accusé réception d'une lettre et a assuré Cédric Perrin de son "engagement pour l'avenir et le développement de la filière française". Une façon de réitérer ce qu'il avait dit trois mois plus tôt, le 28 mai 2015, lors d'une visite de l'usine de Belfort, où est fabriqué le TGV : "Votre activité a une importance stratégique pour la France et sera donc défendue. Depuis des semaines, nous nous battons pour qu’il n’y ait pas de plan social ni de licenciements, mais au contraire des perspectives de redémarrage."
La réponse d'Emmanuel Macron à Cédric Perrin
Agacée par cet hallali, l'équipe d'Emmanuel Macron contre-attaque. Elle rappelle que le ministre avait obtenu du groupe la promesse qu'il n'y aurait pas de suppression d'emplois. Formellement, la promesse a été tenue puisqu'Alstom s'engage à faire une "proposition de transfert" vers ses autres usines françaises aux 400 salariés de Belfort. Mais la suite, elle, n'était pas prévue :
On n'avait pas imaginé qu'Alstom se redéploie sans suppression d'emplois en fermant le site de Belfort, en le vidant de sa substance. Ça paraît baroque. C'est un jeu malsain.
Le ministre a-t-il fait assez pour sauver Alstom ?
Reste à savoir ce que pouvait faire Emmanuel Macron. A-t-il, comme le lui a reproché, dimanche 11 septembre, son prédécesseur Arnaud Montebourg, mal utilisé les 20% nationalisés d'Alstom pour "faire en sorte que l'équipe de France du ferroviaire, la SNCF, Alstom, la RATP, se serre les coudes ?"
Ce n'est pas si facile, souligne Eric Heyer, le directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques. Certes, l'Etat dispose de leviers, notamment via la SNCF, qui est une entreprise publique et le principal client d'Alstom. Mais avec un obstacle de taille, explique le chercheur à franceinfo, puisque "Bruxelles impose une concurrence libre et non faussée bien plus développée qu'aux Etats-Unis, par exemple, où prévaut le Buy Americain Act", une loi qui impose au gouvernement américain l'achat de biens produits sur le territoire national. Et l'obligation d'appel d'offres au sein de l'Union européenne n'a rien d'une plaisanterie : "Si vous ne la respectez pas, il y a sanction."
Or, pour sa filiale Akiem (codétenue avec la Deutsche Bank), la SNCF a choisi début septembre – après le départ de Macron – l'allemand Vossloh et non le français Alstom pour un contrat de 44 locomotives diesel. Ce qui a contribué à plomber les commandes du groupe.
A en croire L'Express, Emmanuel Macron, lui, aurait œuvré début 2016 en faveur d'une solution permettant d'accélérer le renouvellement de 30 trains Intercités en transformant le contrat des rames Régiolis, et non en négociant un nouveau contrat, ce qui aurait contraint à un nouvel appel d'offres. Or, toujours selon l'hebdomadaire, "cette solution s'est heurtée au refus du ministère des Transports". Résultat, selon Les Echos, "le gouvernement a préféré lancer un nouvel appel d'offres, ce qui rallonge les délais et fragilise dangereusement les plans de charge". D'où, selon le journal économique, la menace de fermeture du site de Belfort par Alstom. Un moyen de pression pour le groupe, à quelques mois de la présidentielle, afin de décrocher enfin le marché.
Difficile, donc, de faire porter la responsabilité du dossier au seul Emmanuel Macron. De là à dire, comme ses communicants, qu'il "a été le seul à s'en saisir, à ne pas baisser les bras" et "à explorer avec Alstom les voies pour retrouver de la compétitivité", il y a un pas qu'il serait hâtif de franchir. A qui la faute si "aucune locomotive n'a été commandée depuis plus de dix ans à Alstom en France" et si "la production des motrices TGV, non assurée après 2018, est au rythme le plus bas de son histoire", comme l'assure le PDG du groupe, Henri Poupart-Lafarge ? Responsabilité partagée, probablement.
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