J'ai essayé de payer mon sandwich en bitcoins
Francetv info a tenté d'effectuer quelques achats en ligne avec la monnaie électronique qui affole les marchés. Pas toujours simple... Voici, pas à pas, comment procéder.
Il plane comme un parfum de mystère autour du bitcoin. Depuis l'automne 2013 et l'explosion de la valeur de cette monnaie électronique, chaque semaine ou presque apporte son histoire croustillante : la fermeture en octobre d'un site de vente de drogues où le bitcoin était la seule devise acceptée ; un particulier qui vend sa maison contre l'équivalent en bitcoins de 799 000 dollars ; un Britannique qui jette par mégarde son disque dur et perd l'équivalent de 4,3 millions d'euros…
Pour comprendre l'engouement que suscite cette monnaie, j'ai décidé de l'utiliser. Voici, étape par étape, comment se lancer dans le bitcoin.
1Créer un porte-monnaie (facile)
Première étape pour qui veut faire des échanges en bitcoins : la création d’un porte-monnaie. C’est ce qui me permettra de recevoir et d’émettre des paiements. Le site bitcoin.org, géré par des développeurs à l’origine du projet, propose plusieurs solutions pour cela. On peut installer un logiciel sur son ordinateur, une application sur son smartphone, ou bien passer par un site tiers qui hébergera le porte-monnaie. Dans les deux premiers cas, je serai responsable de la sécurité de mes quelques centimes de bitcoin : à moins d’avoir fait une sauvegarde en lieu sûr, si mon PC tombe en panne ou si quelqu'un m’arrache mon téléphone des mains dans le métro, mon argent sera perdu.
Utiliser un site extérieur a le mérite d’éviter ce problème, mais implique que je devrai faire entièrement confiance au site en question pour héberger mon porte-monnaie. S’il se fait pirater, comme cela a été le cas en novembre pour le service australien inputs.io, je n’aurai aucun recours possible.
Je décide finalement de me tourner vers le site spécialisé Blockchain.info. Cette plateforme est décrite par bitcoin.org comme "très simple d'utilisation", et un ami adepte de cette monnaie m'indique que des utilisateurs de la première heure lui font confiance. Par mesure de sécurité, je décide tout de même d'activer l'option de double authentification : pour accéder à mon porte-monnaie, il faudra, en plus d'un mot de passe, entrer un code chiffré à usage unique envoyé sur mon téléphone. J'utiliserai cette précaution sur tous les sites sur lesquels transitera mon argent.
Une fois mon compte créé, je me retrouve face à cet écran. C’est propre et joli, mais pas très utile : tant que je n’aurai pas le moindre centime de bitcoin, mon porte-monnaie fraîchement créé ne me servira pas à grand-chose.
Pour obtenir des bitcoins, faute de distributeur permettant de convertir son argent liquide en bitcoins installé au coin de la rue, comme c'est le cas à Toronto, trois solutions s’offrent à moi. Je peux vendre des biens ou des services et accepter le bitcoin en guise de paiement, ou mettre mon ordinateur à disposition du réseau afin de vérifier la régularité des transactions et recevoir un peu d’argent en contrepartie (cela s’appelle le "minage"). Je peux enfin choisir la solution de facilité, et échanger mes euros contre des bitcoins. C’est l'option que je retiens.
2Convertir ses euros en bitcoins (pénible)
Pour acheter des bitcoins avec des euros, il faut passer par une bourse d’échange, qui sert d’intermédiaire entre les personnes désireuses de vendre leur monnaie virtuelle et celles qui souhaitent en acquérir. Des dizaines de services de ce type existent. Je choisis de me tourner vers Bitcoin-Central, un marché géré par une société parisienne. C'est à ma connaissance la seule start-up hexagonale à avoir investi ce secteur.
Là, on ne plaisante plus. Comme toutes les autres plateformes d’échange, Bitcoin-Central exige de vérifier l’identité de ses membres pour éviter les manœuvres frauduleuses et le blanchiment d’argent. Après avoir créé un compte sur le site, je dois donc envoyer à Bitcoin-Central mes coordonnées bancaires, une photocopie de ma carte d’identité ainsi qu’un justificatif de domicile.
Durant cette expérience, c'est la seule étape où mon identité est déclinée. Une fois mes euros convertis en bitcoins, je pourrai les déplacer d’un portefeuille à un autre dans l’anonymat le plus complet.
L’étape suivante ressemble à un long tunnel d’ennui. Jugez plutôt. J’ai dû :
Attendre que Bitcoin-Central vérifie les informations transmises, ce qui, en fonction de l’affluence, peut prendre une à deux semaines.
Virer 250 euros à un établissement bancaire partenaire, et patienter afin que celui-ci crédite mon compte sur le site. Cela peut prendre entre deux et quatre jours.
Acheter environ 0,40 bitcoin avec cette somme. C’est instantané, et entre nous un peu douloureux.
Virer cette poignée de centimes de Bitcoin-Central jusqu’à mon portefeuille. Le site effectue cette opération une fois par jour.
Bref, si acquérir des bitcoins vous prend comme une envie pressante, il faudra y réfléchir à deux fois : le délai risque de vous refroidir.
3Dépenser ses bitcoins (amusant)
Ça y est ! Je suis enfin propriétaire de quelques centimes de la monnaie qui affole les marchés. La somme est dans mon porte-monnaie, prête à être dépensée. Et comme si ça ne suffisait pas, depuis mon achat, la valeur du bitcoin a augmenté : mes 40 centimes, achetés 250 euros, en valent désormais 268,40.
Et ensuite ? Pas grand-chose. A l’heure actuelle, tourner le dos à l'euro pour effectuer ses dépenses courantes à grands coups de bitcoins est impossible. Si, chaque jour, de nouvelles boutiques en ligne annoncent qu'elles acceptent cette monnaie, en France, aucun groupe important de grande distribution n’a encore sauté le pas. Pas question non plus de payer son ticket de bus, sa place de cinéma ou son café dans le bistrot du coin en bitcoins : seule une poignée de "vraies" boutiques acceptent la devise.
Plusieurs sites marchands, y compris français, acceptent en revanche la monnaie électronique. Direction donc Achatnet.pro, un site de matériel informatique, pour acheter une clé USB à 1 centime de bitcoin qui pourra plus tard me servir à sauvegarder mon porte-monnaie et limiter les risques de piratage. Au moment de régler mon achat, je choisis de payer en bitcoins plutôt qu'avec ma carte bleue, et une fenêtre comportant un code QR apparaît.
Comme Blockchain.info dispose d'une application de porte-monnaie pour smartphone, je n'ai qu'à approcher mon appareil de l'écran pour valider le paiement. La fenêtre se ferme, la commande est terminée. Au total, le paiement a pris au maximum 5 secondes. Boum.
Enthousiasmé, je me rends dans une sandwicherie parisienne qui, paraît-il, accepte les bitcoins comme moyen de paiement. Mais le gérant à l'initiative de cette démarche n'est pas là, et c'est son smartphone qui est habituellement utilisé pour effectuer les transactions dans cette devise. Au téléphone, il m'explique que depuis l'été 2013, en raison du bouche à oreille, "de plus en plus" de clients utilisent le bitcoin pour régler leur commande.
S'il est enthousiaste à l'idée que son commerce puisse "pour une fois ne pas passer par les banques", il se refuse pour l'instant à afficher sur sa caisse un autocollant "฿", signifiant qu'il accepte cette monnaie. "Le cours fluctue beaucoup trop pour que je puisse intégrer le bitcoin à ma comptabilité de manière plus importante : le sandwich que je vends pour l'équivalent de 6 euros en bitcoins peut en valoir 10 le lendemain". Lorsque la valeur du bitcoin sera plus stable, c'est promis, il fera son coming-out. Pour déjeuner, je choisis finalement d'utiliser Pizza.fr, un service de commande en ligne qui collabore avec des dizaines de restaurants et accepte les bitcoins. Cette fois, plutôt que d'utiliser mon smartphone, je copie l'adresse du compte qui s'affiche à côté du code QR dans la rubrique "Envoyer de l'argent" de mon porte-monnaie, j'entre le montant demandé, et valide. Trente minutes plus tard, je suis livré. Pas mal.
En fait, qu'il s'agisse d'effectuer un paiement en ligne, de rendre l'équivalent de 5 euros à un ami qui vous a payé un verre la semaine dernière ou de faire un virement à l'autre bout du monde, le principe est le même : il suffit d'entrer l'adresse du compte de votre interlocuteur dans votre porte-monnaie et de valider la transaction. Pas de problème de conversion dans la monnaie du vendeur, frais de transactions proche de zéro... Le résultat est convaincant.
4Devenir riche en revendant ses bitcoins (hasardeux)
Reste que si le bitcoin suscite tant d'engouement depuis quelques mois, ce n'est pas tant pour les avantages apportés par sa technologie que pour l'opportunité d'enrichissement que certains voient dans cette nouvelle monnaie. Entre janvier 2013 et janvier 2014, la valeur d'un bitcoin a en effet été multipliée par 73. Et à en croire Philippe Herlin, chargé de cours au Conservatoire national des arts et métiers et auteur de La révolution du bitcoin et des monnaies complémentaires (Eyrolles, 2013), le phénomène "va continuer à prendre de l'ampleur" : la quantité de bitcoins en circulation est en effet limitée par le réseau, et le prix à payer pour en obtenir augmente en même temps que la demande.
Durant la rédaction de cet article, le cours du bitcoin n'a pas suffisamment varié pour me permettre de gagner de l'argent en revendant mes quelques centimes contre des euros sonnants et trébuchants. Peu importe : comme à la Bourse, rien ne m'empêche de passer un ordre de vente qui s'exécutera lorsque le cours aura atteint un certain seuil.
Pour cela, je dois transférer ma monnaie virtuelle sur un compte généré par Bitcoin-Central, la plateforme d'échange que j'ai utilisée pour convertir mes euros en bitcoins. Une fois cela fait, je n'ai qu'à indiquer le prix plancher auquel je souhaite vendre mes quelques centimes de bitcoin, et attendre qu'une demande corresponde à mon offre.
Attention toutefois : le taux de change euro-bitcoin n'est jamais exactement le même sur toutes les plateformes d'échanges. Si une autre semble plus avantageuse lorsque vous souhaitez vendre, ne vous précipitez pas forcément dessus : il faudra à nouveau passer par l'interminable processus de vérification de votre identité.
5Dénicher le successeur du bitcoin et devenir encore plus riche (téméraire)
Si le cours du bitcoin est encore trop calme à votre goût, il existe un autre moyen de gagner (ou de perdre, c'est selon) de l'argent rapidement : parier sur d'autres monnaies virtuelles. Le bitcoin a en effet fait une floppée de petits aux noms plus ou moins jolis. Litecoin, namecoin, novacoin, dogecoin, terracoin, primecoin... comme leur illustre prédécesseur, ces devises s'échangent sur des places de marchés. Mais pour la plupart, elles sont trop jeunes pour être converties en dollars ou en euros. Leur cours s'établit alors par rapport au bitcoin.
Un site spécialisé recense pas moins de 80 monnaies électroniques, ainsi que l'évolution de leur cours par rapport au bitcoin. Une d'entre elles me tape dans l'œil : le dogecoin, dont la valeur a augmenté de 73% en 24 heures. Je vais essayer d'en acheter un peu et d'en revendre quelques heures plus tard.
Direction BTer.com, une place de marché pour traders frénétiques qui indexe les monnaies virtuelles quelques jours seulement après leur naissance. Je m'inscris, verse 0,014 centimes de bitcoin sur le site, et les utilise pour acheter 6 045 dogecoins. La suite a de quoi me causer des maux de tête : pour calculer mes gains, il me faut d'un côté surveiller l'évolution du cours du dogecoin par rapport au bitcoin, et de l'autre, celui du bitcoin par rapport à l'euro. Lentement mais sûrement, le premier baisse, tandis que le second fait de légères montagnes russes. Je finis par retirer ma mise : j'ai perdu 0,001 centime de bitcoin dans la bataille.
6Payer des impôts sur ses bitcoins (flou)
Mais au fait : si, demain, mes quelques centimes de bitcoin voyaient leur valeur multipliée par dix, devrais-je payer des impôts sur le bénéfice généré par leur revente ? La question a été évoquée mercredi 15 janvier par la commission des finances du Sénat, qui organisait une audition sur les enjeux liés aux monnaies virtuelles.
Pour faire court, aucune réponse claire n'a été donnée à cette question. Face aux parlementaires, Delphine d’Amarzit, chef du service du Financement de l’économie de la direction générale du Trésor, a expliqué qu'un groupe de travail entre les différents services du ministère de l'Economie et des Finances avait été créé pour réfléchir à ce sujet. S'il échouait à adapter au bitcoin les différents statuts qui existent déjà, la question d'une loi pourrait se poser, a-t-elle précisé.
En septembre 2013, un "mineur" français particulièrement consciencieux expliquait sur le site Contrepoints.org avoir contacté son centre des impôts pour savoir comment il devait déclarer les profits générés par la revente de ses bitcoins. Il a finalement obtenu une réponse : faute de loi particulière, ses gains entrent dans la catégorie des "bénéfices non commerciaux", au même titre que les produits des opérations de Bourse ou les droits d'auteurs.
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