Egypte : quels sont les risques pour les touristes ?
Autrefois trĂšs prisĂ©e des Français, la vallĂ©e du Nil est secouĂ©e par des heurts depuis 2011. Peut-on sans crainte visiter le pays des pharaons ? Reportage.Â
S'offrir quelques instants seul, nez Ă nez avec le sphinx. Un luxe dont aucun touriste n'aurait rĂȘvĂ© avant la rĂ©volution de 2011. Il est devenu quasi quotidien pour ceux qui osent arpenter la terre des pharaons depuis. Les heurts Ă rĂ©pĂ©tition en Egypte ont eu raison des espadrilles et des appareils photos. Les pyramides n'accueillent plus que quelque 800 touristes par jour contre 4 000 avant la chute du prĂ©sident Hosni Moubarak. En trois ans, la France, qui fut dans le top 3 des pays de provenance des touristes, est passĂ©e 11e.Â
Une crainte "exagĂ©rĂ©e", se lamente Nahed Rizk, directrice de l'Office du tourisme d'Egypte en France. Pourtant, dimanche 30 juin, de nouvelles manifestations monstres organisĂ©es par l'opposition sont prĂ©vues dans le pays, pour la premiĂšre annĂ©e de l'Ă©lection de Mohamed Morsi, le prĂ©sident issu des FrĂšres musulmans. Les Français peuvent-ils continuer Ă visiter un pays en effervescence ? Francetv info a enquĂȘtĂ© sur place.Â
Le Caire et les pyramides, à visiter avec précautions
"Le vendredi, c'est pyramides ", lance Aton Manos, chauffeur cairote dont le nom circule sur les forums de voyageurs. Objectif : Ă©viter le centre-ville en ce jour de repos hebdomadaire au cours duquel sont organisĂ©es les manifestations. Tout sourire au volant de sa petite Hyundai, il explique moduler ses programmes en fonction des infos du soir et des nouvelles qu'envoie en "live" sur son portable son rĂ©seau de connaissances. Autre prĂ©caution : Ă©viter certains hĂŽtels, dont ceux proches de la place Tahrir. Comme le luxueux Semiramis, qui a subi plusieurs attaques et dont les grilles de fer noires sont en train d'ĂȘtre rehaussĂ©es de quelques mĂštres.
Autour des pyramides aussi, l'atmosphĂšre s'est tendue. Une distribution de pain subventionnĂ©e crĂ©e un attroupement, mais sur le reste du site, personne. Un lĂ©ger souffle pousse le sable d'un cĂŽtĂ© Ă l'autre des dĂ©chets qui bordent l'unique route menant Ă ces joyaux du patrimoine Ă©gyptien. Les stores de la plupart des magasins sont tirĂ©s tandis que deux chevaux famĂ©liques et trois chameaux vĂ©gĂštent, non loin de leurs propriĂ©taires au chĂŽmage technique. "Les gens meurent de faim et la mendicitĂ© est devenue agressive", analyse un consultant français spĂ©cialiste de la sĂ©curitĂ© en Egypte. Il conseille de ne pas sortir les objets de valeur comme des smartphones, vĂ©cus comme une provocation. "Avant la rĂ©volution, on n'osait pas embĂȘter les touristes, mais maintenant, les mentalitĂ©s ont changĂ©", dĂ©plore Aton, qui relĂšve que la police n'intervient plus.Â
"On ne peut pas laisser un client seul ici"
DĂ©testĂ©e pour ses exactions passĂ©es, la police rĂ©apparaĂźt progressivement dans les rues, mais ne se risque plus Ă arrĂȘter quiconque, de peur de provoquer de nouveaux incidents. Cette discrĂ©tion laisse le champ libre aux abus. On rencontre ainsi d'oppressants vendeurs de sphinx miniatures, mais aussi des filous qui jurent que l'accĂšs au site n'est autorisĂ© qu'en calĂšche, en passant par les gamins qui vous invitent Ă faire coucou les bras en l'air pendant qu'on vous fait les poches.
"Hier, j'ai coursĂ© moi-mĂȘme quelqu'un qui avait entaillĂ© la poche d'un touriste au couteau pour lui voler son portefeuille", raconte Karim, trentenaire Ă qui il manque une partie de la dentition, perchĂ© sur sa calĂšche en skaĂŻ rouge dĂ©fraĂźchi. "On ne peut pas laisser un client tout seul ici", rĂ©sume Aton, qui voudrait que l'Etat s'occupe de la sĂ©curitĂ© des touristes, Ă dĂ©faut d'assurer celle des Egyptiens.
Marsa Alam, un paradis sous surveillance
Changement d'ambiance à Marsa Alam, à 800 kilomÚtres du Caire, sur les bords de la Mer rouge. Ici, ni souk ni centre-ville, juste une simple route parallÚle aux plages. L'aéroport est essentiellement desservi par des charters directs et quelque 70 complexes hÎteliers plus ou moins luxueux s'égrÚnent le long de 120 km de cÎte paradisiaque. L'entrée de chacun d'entre eux est scrupuleusement contrÎlée. La "Champs Elysée Street" est bordée de jeunes palmiers et autres buis taillés, et l'on n'y croise que des Egyptiens affables, en uniforme d'hÎtel. Entre la capitale et cette cité balnéaire, on atteint "deux extrémités en termes de sécurité", résume Marc Reissinger, le costaud quinqua français qui dirige l'InterContinental Port Ghalib Resort, un hÎtel de plus de 300 chambres.
Cette partie de l'Egypte est la seule à connaßtre un solde de touristes positif, notamment dopé par l'afflux de Russes, d'Allemands, de Britanniques et d'Italiens. "On a d'abord pensé que l'éloignement [des sites archéologiques] était négatif, mais maintenant on sait que c'est notre meilleur atout", note Sameh El Nagar, directeur de l'agence Ema Tour pour la région, qui travaille essentiellement avec les Français. Il s'éponge le front entre deux cigarettes, ses épais sourcils froncés : "Avec ce qu'ils voient à la télé, les gens pensent que c'est la guerre, mais ici rien n'a changé", explique-t-il. Tout juste Sameh concÚde ne "plus trop insister" sur les excursions au Caire et avoir abandonné celles vers le mont Sinaï, formellement déconseillées par le Quai d'Orsay, mais en revanche toujours proposées par d'autres agences.
Peu importe, ici les voyageurs ne sont pas venus faire du tourisme culturel. C'est ce que confirment Moreno et Rossella, déjà bien hùlés tendance flamboyant, qui alternent plage le matin et bord de la piscine à débordement l'aprÚs-midi, pour leur quatriÚme voyage en Egypte. Ces deux retraités italiens n'ont jamais vu les pyramides, "trop loin, trop chaud". Quant à Claudia, 49 ans, et sa mÚre Hildegaard, elles tartinent généreusement de la marmelade sur du pain complet "sans aucune crainte" pour leur séjour "relax". Comme l'essentiel de la clientÚle, ces deux Allemandes n'en sont pas à leur premiÚre visite dans le pays.
A l'image de Nejma, une Française de 23 ans, uniquement venue pour faire de la plongĂ©e puisqu'elle a "dĂ©jĂ tout visitĂ©" il y a quatre ans. "Il se passerait quelque chose de violent qu'on ne serait pas au courant ici", rigole la brunette. "Marsa Alam, ce n'est presque pas l'Egypte", reprennent en chĆur les professionnels du secteur. "Il faut une politique pro-tourisme trĂšs active du gouvernement" pour accĂ©lĂ©rer le mouvement, note Marc Reissinger, dont le taux de remplissage des Ă©tablissements plafonne entre 20% et 60%.Â
La sécurité, un "problÚme entre Egyptiens"
Mais le message est brouillé. D'un cÎté, le ministre du Tourisme égyptien affirme que bikinis et alcool sont les bienvenus. De l'autre, le pouvoir, détenu par les FrÚres musulmans, donne des gages aux jihadistes, en nommant à Louxor, lundi 17 juin, un gouverneur issu du groupe radical islamiste Gamaa Al-Islamiya, qui avait revendiqué les attentats dans cette ville en 1997 (62 morts, dont 58 touristes). Une nomination qui a réveillé la colÚre des habitants de l'ancienne ThÚbes. Devant la vague de protestations, le gouverneur a fini par annoncer sa démission, dimanche 23 juin.
"C'est un problĂšme entre des Egyptiens et d'autres Egyptiens", minore Osama Abd El-Hafiz, chef de l'autoritĂ© touristique de Louxor. Petit homme dĂ©garni toujours pressĂ©, il martĂšle : "Je vous garantis que Louxor est 100% sĂ»re." Avec une frĂ©quentation en chute de 70% ces trois derniĂšres annĂ©es, la population, pour qui l'unique ressource est le tourisme, a bien compris son intĂ©rĂȘt. De surcroĂźt, l'office du tourisme dispense des cours de bonne conduite aux employĂ©s d'Ă©choppes, propriĂ©taires de felouques et cochers, dont les chevaux sont actuellement nourris par le gouvernement en attendant des jours meilleurs.Â
A Louxor, manifestations et hÎtels désertés
 Vendredi 21 juin, les manifestations contre le nouveau gouverneur de Louxor sont contenues sur une cinquantaine de mĂštres bornĂ©s par des pneus en feu. Et une poignĂ©e d'hommes s'assure qu'aucun non-Egyptien ne s'en approche trop prĂšs. Pas de quoi perturber Olivier et Laurence, un couple de retraitĂ©s suisses qui dĂ©jeune Ă 150 mĂštres de lĂ . HĂ©sitants, ils se sont laissĂ©s convaincre par Ali, leur chauffeur, et ne le regrettent pas, seulement troublĂ©s par le bruyant ronronnement des ventilateurs qui brassent l'air brĂ»lant. "On ne ferait de mal Ă aucun touriste", jure le chef du restaurant, qui regarde dĂ©sespĂ©rĂ©ment ses 600 couverts sur les berges du Nil dĂ©sertĂ©es. Les bateaux de croisiĂšre arrimĂ©s au quai voisin ont l'air d'ĂȘtre hantĂ©s. Pas un chat dans la vallĂ©e des rois.Â
"La situation n'est pas bonne", admet Ayman Abu Zeid, du syndicat des organismes touristiques, qui souligne que tout est fait pour Ă©viter les ennuis aux voyageurs Ă©trangers. Quitte Ă leur dĂ©conseiller de venir autour du 30 juin, oĂč sont prĂ©vues des manifestations de l'opposition dans plusieurs villes du pays. "Personne, personne ne sait ce qu'il va se passer", confirme Marc Reissinger, rĂ©guliĂšrement en lien avec les autoritĂ©s consulaires. "La pĂ©riode post-rĂ©volutionnaire est intrinsĂšquement instable, tout peut basculer du jour au lendemain", abonde un spĂ©cialiste de la sĂ©curitĂ© en Egypte, ancien des services secrets français. Et d'assĂ©ner : "On n'est pas en Libye ou en Tunisie, oĂč l'Etat est en train de s'effondrer complĂštement, mais l'Egypte traverse une crise sĂ©curitaire trĂšs grave qui ne va pas en s'amĂ©liorant." MĂȘme le responsable de l'Office du tourisme de Louxor a demandĂ© Ă son fils de ne pas rester au Caire ce jour-lĂ .Â
Quelques conseils avant votre voyage Â
- Consultez les recommandations du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres.
- Renseignez-vous le matin sur la situation (actualité, manifestations...) du lieu que vous souhaitez visiter dans la journée.
- Au Caire et Ă Alexandrie notamment, faites-vous accompagner d'un guide.Â
- Evitez le mont SinaĂŻ.
- Privilégiez les hÎtels proches des aéroports.
- Si vous ĂȘtes une femme, il n'est pas nĂ©cessaire d'ĂȘtre voilĂ©e, mais les vĂȘtements couvrants sont Ă privilĂ©gier.
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