De RSF au FN : le parcours tortueux de Robert Ménard
Ancien trotskiste, le fondateur de Reporters sans frontières se lance dans les municipales de Béziers, soutenu par le Front national. Un rapprochement idéologique entamé depuis plusieurs années.
Hier défenseur des reporters de guerre, aujourd'hui, participant au colloque de préparation des municipales d'Orange, aux côtés de figures du FN. Robert Ménard devrait se présenter à l’élection municipale de Béziers (Hérault) avec l'appui du Front national. Un soutien qui "ravit" l'ancien fondateur de Reporters sans frontières. L'ONG, en revanche, a pris soin de se désolidariser de l'homme, rappelant jeudi 6 juin qu'il ne faisait plus partie de l'organisation. Retour sur son parcours tortueux.
Une personnalité controversée à RSF
Lobbying. A Reporters sans frontières, Robert Ménard se fait surtout connaître par sa défense des journalistes en zone de conflit. Mobilisé dès le premier jour pour la libération de Florence Aubenas, Robert Ménard n'hésite pas à faire du lobbying auprès d'entreprises privées comme Sanofi, Pathé, Suez ou Areva, afin de récolter des fonds pour hâter la libération de la journaliste. Il se rapproche même d'Omar Harfouch, un ami du colonel Kadhafi, "mais aussi un ami de RSF, qui répond toujours présent quand on le sollicite", comme il l'explique au Monde en mai 2005 (article payant).
Le régime de Kadhafi n'était pourtant pas connu pour sa défense de la liberté de la presse. Mais Robert Ménard a fait fi de ces contradictions. "Je suis profondément réaliste, et j'en suis venu à la conclusion que si je ne suis pas efficace, c'est que je n'ai pas su m'y prendre", soulignait-il quelques mois plus tôt, déjà dans Le Monde (article payant).
"Autoritarisme". Co-fondateurs de RSF en 1985 avec Robert Ménard, Rony Brauman et Jean-Claude Guillebaud ont quitté l'organisation au milieu des années 1990, pointant pour l’un "l'autoritarisme" de Robert Ménard, pour l'autre, son absence de critique des médias français, comme l’observe en 2008 un blog hébergé sur Mediapart.
Un apôtre d'une liberté d'expression totale
Quand il était encore dirigeant de Reporters sans frontières, le natif d'Oran détonnait dans sa défense jusqu'au-boutiste de la liberté d'expression.
Soutien à Dieudonné. En 2004, il vient défendre à la barre du tribunal Dieudonné, accusé de "diffamation publique à caractère racial" pour son sketch polémique de décembre 2003, réalisé dans l’émission "On ne peut pas plaire à tout le monde" de Marc-Olivier Fogiel. En treillis, chapeau de juif orthodoxe, cagoule et papillotes, Dieudonné avait appelé les jeunes des cités "à rejoindre l'axe américano-sioniste qui [vous] offrira beaucoup de débouchés", et lancé, bras tendu, "Israheil".
Malgré ses démêlés avec la justice, Robert Ménard continue à inviter l’ancien compère d'Elie Semoun dans son émission sur Sud Radio, notamment en avril 2012. A plusieurs reprises, il convie également Alain Soral, essayiste proche de l'extrême droite et ancienne plume de Jean-Marie Le Pen. En 2007, il lui ouvre même les colonnes de sa revue Médias, qu'il a fondée en 2004, alors qu'il était encore secrétaire général de RSF.
Combat contre la "bien pensance". C'est également dans Médias qu'il s'attaque (avec Pierre Veilletet), dès 2004, à la "bien-pensance" qui veut "nous faire croire que Jean-Marie Le Pen est plus dangereux que Goebbels et que tous les médias italiens sont sous la botte d’un néofasciste qui a pour nom Silvio Berlusconi". Il ferraille dans le même article contre les altermondialistes, symbolisés par Le Monde diplomatique : "Ils ont beau débiter des sornettes, rêver d’un monde dont nous ne sommes pas sûrs qu’ils veuillent eux-mêmes, personne ou presque n'ose les rappeler à la réalité des chiffres et aux leçons de l’histoire."
En 2008, il a annoncé, comme le notait 20 Minutes, qu'il descendrait "dans la rue pour défendre la presse FN". Une petite phrase à peine relevée à l’époque mais qui réjouit l’extrême droite. Le député européen FN Bruno Gollnisch se félicitait alors, sur son blog, de la bataille de Robert Ménard contre les "bien-pensants".
La liberté d’expression, fil conducteur de l'engagement de ce pied-noir permettant d'expliquer son rapprochement avec le FN ? En 2012, il lance le site internet Boulevard Voltaire, "un lieu ouvert à toutes les sensibilités, où les journalistes ne trient pas entre ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas", explique-t-il, cité par L'Express. Comme contributeur, on y retrouve Christian Vanneste, privé de l'investiture UMP pour les législatives, ou Jean-Yves Le Gallou, ex-député européen frontiste.
Un méticuleux rapprochement avec le FN
"Pas de gauche". En septembre 2008, Robert Ménard quitte l'organisation qu'il avait fondée en 1985. Il récupère, d'une certaine manière, sa liberté totale de parole. Et ne se prive pas de l'utiliser. "Quand vous dirigez une association de droits de l'homme, il va de soi que vous êtes de gauche. Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche", explique-t-il en avril 2011 aux Inrocks.
Dans ses jeunes années, Robert Ménard a pourtant été un militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). "Sur la forme, il n'a pas changé, il a toujours braillé. C'était un bon copain, mais un révolutionnaire, un teigneux", se souvient un ancien camarade du parti, cité par Midi Libre.
Pro peine de mort. Habitué aux polémiques, Robert Ménard a défendu à plusieurs reprises la peine de mort. Marine Le Pen avait également proposé, pendant sa campagne présidentielle, de réfléchir à un rétablissement de la peine capitale. "Je pense que sur un certain nombre d’affaires, comme celle de Dutroux, je ne suis pas sûr que je mettrais beaucoup d’énergie [pour éviter] qu’à Dutroux on coupe le cou", argumentait Robert Ménard en mars 2010 sur France Inter, comme l’avait repéré Rue89. Ce "beauf absolu", comme il s'était autoproclamé, réitère cette position en décembre 2010 sur le plateau d'i-Télé, avant de se faire vertement reprendre par le présentateur Julian Bugier.
En 2011 sur l’antenne de RTL, Robert Ménard franchit un nouveau cap en faisant l'éloge de Marine Le Pen, nouvelle présidente du FN, souligne Le Monde (article payant). "Elle appelle un chat, un chat. (...) Elle piétine une classe politique qui est dans l'incapacité totale de résoudre les problèmes qu'il y a. (...) Elle incarne une autre réponse. Vous n'aimez pas cette réponse, les gens vont vous balayer."
Un livre de soutien. Le transfert semble parachevé en avril de la même année, quand Robert Ménard publie le pamphlet Vive Le Pen ! (coécrit avec son épouse Emmanuelle Duverger, éditions Mordicus). L'ancien fondateur de RSF se défend pourtant d’être devenu lepéniste. "Je ne voterai pas Front national mais je pense que ce parti, qui doit être considéré comme républicain aussi longtemps qu'il ne sera pas interdit, doit bénéficier du droit à la liberté d'expression. Défendre la liberté d'expression n'est pas défendre l'extrême droite", argue l'ancien militant des droits de l'homme, cité par Le Figaro. Après la publication de l’essai, Robert Ménard sera débarqué de RTL en juin 2011, puis d'i-Télé en juillet 2012.
La satisfaction du FN. Au FN, on se réjouit de la capture d'une telle proie. "Cela montre que le processus de dédiabolisation fonctionne", s'amuse Steeve Briois, secrétaire général du FN contacté par francetv info. "Des gens comme M. Ménard ne nous auraient jamais rejoint il y a dix ou quinze ans. Le FN ouvre aujourd’hui ses portes à de telles personnalités."
En se présentant à Béziers avec le soutien du Front national, Robert Ménard parferait définitivement sa mutation idéologique. En septembre 2012, l'ancien journaliste de Radio France Hérault décrivait, sur son blog, une ville laissée à l'abandon. "L'habitat est délabré, squatté par des marchands de sommeil. Les paraboles punaisent les façades d'immeubles occupés par des pauvres, des maghrébins, des gitans. Les bourgeois ont fui. Les Biterrois ne reconnaissent plus leur ville." Un constat pas si éloigné des thèses du FN, comme le souligne le 30 mai le Huffington Post.
Large rassemblement. A Béziers, Robert Ménard veut rassembler de "la gauche à l'extrême droite", mais le FN ne lui tient pas rigueur de ses "infidélités". "Ce sont les médias qui mettent des gens dans des petites cases. Notre clivage, c'est souverainiste ou mondialiste. S’il y a des patriotes, souverainistes et de gauche, qui veulent nous rejoindre à Béziers, il n'y a aucun problème", conclut Steeve Briois.
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