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Front de gauche : pourquoi le torchon (rouge) brûle

Alors que les militants communistes parisiens votent, à partir d'aujourd'hui, pour décider s'ils s'allient avec le PS, Jean-Luc Mélenchon et ses partisans laissent planer le doute sur l'avenir du Front de gauche. 

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche (à g.), et Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, le 5 juin 2013 à Rennes (Ille-et-Vilaine). (F.LEPAGE / SIPA)

Cette fois, la guerre est déclarée. Et le vote des militants communistes, organisé du jeudi 17 au samedi 19 octobre, sur la stratégie du PCF aux prochaines municipales à Paris, n'y changera rien. Un conflit ouvert a éclaté entre les deux poids lourds du Front de gauche, le Parti communiste et le Parti de gauche, menaçant clairement leur entente. A la base de cette brouille, plusieurs facteurs liés à la genèse et à l'avenir de cette alliance pourtant relativement récente. Francetv info revient sur les raisons de cette possible rupture à la gauche de la gauche.

Parce que la stratégie du Front de gauche est floue

A quoi sert le Front de gauche ? C'est, peu ou prou, ce que doivent se demander ces derniers jours la plupart des militants engagés dans les partis qui le composent. Si l'on écoute le charismatique tribun du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, l'objectif est de monter une grande force politique de gauche, indépendante et opposée aussi bien à la droite et au FN qu'au Parti socialiste, lequel est accusé d'être un "traître" partisan de l'austérité.

Le PCF, lui, voit dans cette alliance un moyen de faire pencher la balance à gauche, en mettant la pression sur le gouvernement, tout en nouant des alliances locales avec le PS. C'est ce que souhaite Pierre Laurent, le secrétaire national du Parti communiste, notamment à Paris. Son objectif est de "renforcer le nombre d’élus communistes et du Front de gauche, pour ensuite s’appuyer sur le niveau local afin de mener la bataille nationale", comme il l'explique à L'Humanité.

Le Parti de gauche, qui compte peu d'élus, imagine une stratégie très différente, destinée à arriver en force en mai 2014 pour les élections européennes, son objectif prioritaire. Jean-Luc Mélenchon compte ainsi sur l'électorat déçu par le PS pour faire du Front de gauche une force politique de premier plan, égale au PS. Hors de question, dès lors, de s'afficher à côté d'un socialiste au premier tour, quitte à sacrifier les places des élus communistes. "Va, crève avec tes places !" avait d'ailleurs lancé Mélenchon aux socialistes, lors d'un meeting à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 5 juin.

Parce que le PCF n’est pas un bon camarade

Côte à côte avec le Parti de gauche dans les meetings et les manifs, comme à la Bastille le 5 mai, mais pas toujours solidaire avec les mélenchonistes dans les municipalités. C'est le positionnement bancal de la direction du PCF aujourd'hui. Paris en est l'exemple parfait : à l'Assemblée, les députés PCF votent contre le budget 2014 du gouvernement socialiste, pendant qu'à la mairie, les communistes locaux négocient leur soutien à la candidate PS Anne Hidalgo, contre cinq membres supplémentaires au Conseil de Paris, d'après Libération.

Pour justifier cette contradiction, Pierre Laurent estime qu'il faut distinguer les questions nationales des problématiques locales. "Autant au niveau du gouvernement, nous ne trouvons aucune écoute, autant à Paris nous sommes entendus et respectés depuis deux mandats dans la majorité municipale." Une valse avec le Parti socialiste qui semble éloignée du dernier texte d'orientation politique (en PDF) du Front de gauche, signé par le PCF, intitulé "Imposer une alternative à l'austérité".

Cette contradiction est une question de survie pour le parti de la place du Colonel-Fabien. Car, comme l'expliquait Europe 1 en février, avec seulement sept députés et dix-neuf sénateurs, le parti communiste a besoin de ses 8 800 élus locaux pour survivre. Pourtant, ce choix est bien le signe d'un parti "mourant", selon Gérard Grunberg, interrogé par francetv info : "Il meurt parce qu'il est incapable d'avoir une vraie stratégie, estime le politologue du Centre d'études européennes de Sciences Po Paris. Il est, comme toujours, coincé entre l'obligation d'être dans la lutte contre l'austérité et l'impossibilité d'aller jusqu'à la rupture avec le PS. Sa direction n'est pas bonne et mène le parti, et le Front de gauche, dans le mur." 

Parce que Mélenchon prend trop de place

Fidèle à sa réputation, c'est avec des mots choisis que Jean-Luc Mélenchon, sur son blog, a accueilli l'accord PS-PCF à Paris : "Un imbroglio municipal misérable où les gesticulations publiques couvrent les arrangements les plus sordides." Et c'est justement cette agressivité de leader bruyant, au populisme assumé, qui agace au PCF. "Le 'gauchisme' populiste, ce n'est pas dans la culture des communistes, qui refusent d'être classés comme étant d'extrême gauche", explique Gérard Grunberg.

Mais au-delà des mots "crus et drus" qu'il revendique, Jean-Luc Mélenchon peine surtout à convertir les communistes à des listes totalement autonomes au premier tour. "Mélenchon veut créer un parti comme Die Linke en Allemagne, or ce dernier a échoué, poursuit Gérard Grunberg. Les communistes ne veulent pas suivre cette stratégie suicidaire de division de la gauche."

Le plan B envisagé par le Parti de gauche est de placer des jalons chez Europe Ecologie-Les Verts, avec des discussions lancées sur des listes communes dans certaines villes. Une possibilité qui, là encore, est loin d'enchanter d'autres membres du Front de gauche : "Une minorité des Verts, plus un NPA soudainement intelligent, en alliance avec Mélenchon aux Européennes ? C'est très improbable", estime Pierre-François Grond, ancien du NPA, dans Libération (article payant).

Parce que le Front de gauche n’est pas un parti

Au départ, le Front de gauche était une alliance de circonstances, née pour les élections européennes de 2009. Avec des résultats limités : 6,05% des suffrages, selon Le Figaro. Mais un score bien meilleur que les 1,93% de la communiste Marie-George Buffet à la présidentielle de 2007. Depuis, chaque scrutin, local et national, a permis au Front de gauche d'améliorer ou de stabiliser son score.

Mais cette alliance a été conclue sur un socle fragile. Le Front de gauche n'est pas un parti politique classique. On n'y adhère pas, et surtout, aucune discipline de parti ne peut être imposée. La solidité de l'ensemble ne tient qu'à la dépendance mutuelle de ses membres. "S'ils décident de se passer de Mélenchon, les communistes reviendront à des scores proches des 2%, prédit Gérard Grunberg à francetv info. Mélenchon, s'il s'en va comme il a quitté le PS en 2008, il attirera toujours un peu, mais il n'aura plus les nombreuses troupes du PCF derrière lui."

Quel que soit le choix des militants communistes vis-à-vis du PS, le Front de gauche ne sortira pas grandi de cette crise d'adolescence, cinq ans après sa naissance. S'il survit, son image aura de toute façon été écornée auprès d'un électorat qui, d'après L'Humanité, est en demande d'"unité".

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