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"Vous savez que vous êtes morts ?" : sur le terrain, la campagne cauchemardesque des candidats PS aux législatives

Coincés entre La France insoumise et La République en marche, les candidats socialistes sont promis à une hécatombe lors des élections législatives. Franceinfo est allé à la rencontre de trois d'entre eux : une ancienne ministre, le patron du parti et un frondeur.

Article rédigé par Robin Prudent, Sophie Brunn, Ilan Caro - De nos envoyés spéciaux,
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Najat Vallaud-Belkacem, le 2 juin 2017, en campagne sur un marché de Villeurbanne (Rhône). (ILAN CARO / FRANCEINFO)

A l'Assemblée, les socialistes s'attendent au pire. "C'est un peu comme l'émission 'Rendez-vous en terre inconnue'. Sauf qu'on ne sait pas combien vont revenir, ni dans quel état", résume un dirigeant du parti. Selon une enquête Ipsos/Sopra Steria pour franceinfo publiée mardi 6 juin, le Parti socialiste, avec l'aide de ses alliés, pourrait ne compter que 25 à 35 sièges à l'issue du scrutin. Dix fois moins que dans l'Assemblée sortante. Comment les candidats tentent-ils de surmonter ce contexte défavorable ? Franceinfo est allé à la rencontre de trois personnalités socialistes : l'ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, et le député frondeur Yann Galut.

Dans le Rhône, Najat Vallaud-Belkacem fait les frais du quinquennat Hollande

"Courage, on est avec toi, tu vas passer !" lui glisse au creux de l'oreille un habitant sur un marché populaire de Villeurbanne. Ce genre de petites attentions, Najat Vallaud-Belkacem en a bien besoin dans cette campagne encore plus difficile que prévu. Dirigée par les socialistes depuis l'après-guerre, la ville, mitoyenne de Lyon, n'a fait défaut à la gauche qu'une seule fois aux législatives. C'était lors de la grande débâcle de 1993. Cette fois-ci, c'est la vague En marche ! qui risque de tout balayer sur son passage.

L'ancienne ministre de l'Education a beau être nationalement connue, avoir arpenté les rues de Villeurbanne régulièrement depuis trois ans et se démener dans la dernière ligne droite sur chaque marché, devant chaque école, dans les parcs ou dans les réunions d'appartement, c'est bien son concurrent macroniste, l'entrepreneur Bruno Bonnell, qui fait pour le moment figure de favori. C'est en tout cas ce que laisse entrevoir un sondage Ifop pour Le JDD paru le 21 mai : qualifiée de justesse au premier tour, elle serait largement battue au second.

Najat Vallaud-Belkacem, candidate aux élections législatives, le 2 juin 2017, sur un marché de Villeurbanne (Rhône), avec son suppléant Didier Vullierme. (ILAN CARO / FRANCEINFO)

Ici comme ailleurs, le poids de l'étiquette politique prime sur tout le reste. "Depuis la victoire de Macron, on marche un peu sur l'eau", dit Jean-Paul Bret, le maire de la ville, venu prêter main forte à la candidate socialiste sur le marché. Une évidence : le logo du PS, que Najat Vallaud-Belkacem fait tout de même figurer sur ses affiches, est bien moins vendeur.

En marche ! pourrait présenter la candidature d'un sac de pommes de terre, il serait en situation de gagner.

Jean-Paul Bret, maire socialiste de Villeurbanne

à franceinfo

"S'il n'y avait pas cette configuration exceptionnelle avec la victoire d'Emmanuel Macron, il n'y aurait eu aucun problème pour Najat ici", pense Pascale Crozon, la députée sortante, qui la soutient à fond. Mais après deux mandats à l'Assemblée, elle est bien obligée de reconnaître que le PS court au désastre : "Les gens ont une méconnaissance totale de tout le travail que nous avons fait pendant cinq ans. Nous avons été très mauvais, tant au gouvernement qu'au parti, pour expliquer ce que nous faisions."

"Le rejet ? Ce n'est pas du tout ce que je ressens sur le terrain", jure pourtant la candidate socialiste, qui tente de faire bonne figure. Dans la rue, il y a, c'est vrai, de réelles marques d'affection. Mais il y a aussi cette mère de famille qui veut lui faire payer le retour à la semaine de quatre jours et demi à l'école, ou cet homme qui estime que "les politiciens sont tous les mêmes". Et puis ces passants, nombreux, qui détournent le regard ou rechignent à accepter les tracts. "On entend beaucoup de reproches dans cette campagne, c'est dur", convient une élue municipale.

A 39 ans, Najat Vallaud-Belkacem fait partie des personnalités fréquemment citées pour mener la reconstruction du PS. La candidate confirme vouloir y prendre toute sa part, persuadée qu'il existe bien un espace entre La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et La République en marche. "Les idées et les valeurs sont là. Reste à déterminer ce à quoi va ressembler la coquille. Il faut vraiment qu'on se retrousse les manches et qu'on s'y mette après les législatives", explique-t-elle. Encore faut-il passer cette étape cruciale. Selon ses propres dires, la capacité du PS à survivre "dépendra des députés que nous enverrons à l'Assemblée nationale". Les urnes trancheront les 11 et 18 juin.

A Paris, le patron du PS même pas sûr d'accéder au second tour

"Bonjour, c'est pour Jean-Christophe Cambadélis !" Sur le marché de la place des Fêtes, dans le populaire 19e arrondissement de Paris, des militants tractent pour le patron du PS. "Non merci, il y a dix ans, oui, mais plus maintenant", dit un retraité en refusant la profession de foi qu'on lui tend. Il explique : "J'ai voté socialiste pendant trente ans, mais là j'ai envie de renouvellement. Je suis beaucoup plus convaincu par Emmanuel Macron."

Entre les étals de fruits et légumes et les stands de textile, Jean-Christophe Cambadélis serre quelques mains, fait des bises et des selfies. Il assure que le "dégagisme" ambiant n'est pas son principal problème : ce qu'il redoute, "c'est le désintérêt, l'abstention" trop forte qui rendrait difficile sa qualification au second tour. Car même s'il est le député sortant – il en est à sa sixième législative –, il se voit aujourd'hui en "challenger" face à Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au Numérique et candidat de La République en marche dans sa circonscription. Le socialiste doit aussi faire face à Sarah Legrain, de La France insoumise. C'est Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé en tête dans la 16e circonscription de Paris au premier tour de la présidentielle.

Jean-Christophe Cambadélis, en campagne pour les législatives dans la 16e circonscription de Paris, le 2 juin 2017. (SOPHIE BRUNN / FRANCEINFO)

Sur le marché, tous ces partis sont présents. A quelques mètres à peine de Jean-Christophe Cambadélis, une militante du Parti ouvrier indépendant vend son journal en criant : "Cinq ans de hollandisme, ça suffit ! Non à Macron et à la loi El Khomri version XXL !" "C'est mon ancienne maison, plaisante Jean-Christophe Cambadélis, trotskiste dans sa jeunesse. Pour eux, je suis l'ennemi, le traître." Elle n'est pas seule à le penser. Une dame s'approche du député et lui dit de but en blanc :

 "Vous savez que vous êtes mort ? Le PS, c'est mort. Ce qui est arrivé à M. Hamon, c'est un dégât collatéral de vos agissements, ce n'est pas de sa faute. Il n'a pas été soutenu par le PS.

– Ben voyons, il y a eu 30 réunions ici ! répond le patron du PS.

– Je souhaite une chose : c'est que vous perdiez. Macron vous a ringardisé, c'est trop tard."

La dame, une retraitée, s'éloigne un peu. "Avant, j'étais communiste, puis je suis devenue socialiste avec l'âge. Maintenant, c'est Macron. Plus personne ne croit au socialisme." Jean-Christophe Cambadélis, lui, jure que ce mauvais retour n'est pas courant et est dû à la présence d'une caméra de télévision. "Pour un de ce genre, voyez le nombre de mains que je serre !" Il pense que "le contexte national ne fait que 30% de la législative, qui est encore une élection locale". Il reconnaît pourtant avoir hésité à se représenter, lui qui a siégé pour la première fois au Palais Bourbon en 1988. "Je me suis posé la question. Mais tout le monde m'aurait dit : tu te défiles, tu ne donnes pas l'exemple."

Le premier secrétaire qui ne va pas à la bataille, ça ne serait pas compris.

Jean-Christophe Cambadélis

à franceinfo

Dans le Cher, le frondeur Yann Galut obligé de cacher le logo PS

Sur le petit marché de Chateaumeillant, commune rurale de 2 000 habitants de la 3e circonscription du Cher, Yann Galut, chemise blanche et écharpe rose, est partout. Le député socialiste sortant, tendance frondeur, se présente en chair et en os aux habitants du coin, son nom et sa tête sont placardés sur des tracts, des affiches, des voitures et même sur les gilets de sa jeune équipe. "Galut" partout, PS nulle part.

Aujourd’hui, il n’y a plus de Parti socialiste.

Yann Galut, député PS

à franceinfo

Lui, le député investi par le Parti socialiste et membre du bureau national, a effacé le logo PS sans vergogne. Il ne reste rien, pas même une rose ou des initiales en tout petit. Impossible de savoir que le candidat est socialiste sans le connaître. Une stratégie qu’il assume totalement. "Aujourd’hui, vous ne pouvez plus vous présenter avec l’étiquette socialiste, explique-t-il calmement. Le Parti socialiste, ici, c’est pire qu’un rejet, c’est de l’indifférence totale."

Yann Galut, en campagne à Saint-Amand-Montrond (Cher), le 2 juin 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Mais comment le député socialiste, qui a siégé pendant cinq ans dans la majorité, peut-il faire disparaître son parti dans le souvenir des habitants de sa circonscription ? "François Hollande a été rayé des mémoires, explique Yann Galut. Plus personne ne m’en parle. Je suis arrivé à me déconnecter de son bilan." Une aubaine pour le candidat, qui ne se retrouve ni dans le PS de Valls "qui a trahi les électeurs", ni dans celui de Cambadélis "qui ne représente plus rien".

Désormais, sa stratégie de campagne est claire : tout miser sur le terrain, et rien sur l’étiquette. Pas moins de six barnums rouge vif sont disséminés dans sa circonscription, qui compte 165 communes. Plusieurs voitures à son nom circulent un peu partout et une centaine de militants distribuent des tracts.

Dans la situation dans laquelle on est, on doit chercher chaque voix avec les dents.

Yann Galut, député PS

à franceinfo

Une saturation du paysage qui semble plutôt bien fonctionner. Les habitants qu’il croise lui parlent du dernier radar sur la route, pas de parti politique. "Je n’ai pas d’intérêt à politiser cette campagne", reconnaît le candidat, qui affiche sa bonne entente avec de nombreux maires Les Républicains de petites communes.

La campagne n’est pas un monde de Bisounours pour autant. Devant une dame de 84 ans qui habite un petit studio non loin, Yann Galut tape sur la hausse de la CSG proposée par Emmanuel Macron. "Si Macron a la majorité absolue, vous perdrez 1,7% de revenus par mois, parce qu’il considère qu’à partir de 1 200 euros, c’est une grosse retraite", lance-t-il. L’argument fait mouche pour cette retraitée qui touche tout juste cette somme chaque mois.

Des militants de Yann Galut à Chateaumeillant (Cher), le 2 juin 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

En début d’après-midi, Yann Galut part à la rencontre des habitants de Saint-Amand-Montrond, à 35 km plus au nord. Sous un soleil de plomb et plus de 30 degrés au thermomètre, l’ancien syndicaliste et militant de l’Unef en baskets serre toutes les mains qu’il croise, arrête les voitures au feu rouge et n’a pas peur de mouiller la chemise. "C’est quelqu’un qui nous écoute", assure un habitant. "Je te vois partout", lui lance un autre.

"Ça se passe le moins mal possible", conclut le député, bien conscient que son étiquette socialiste aurait pu lui coûter beaucoup plus cher aux yeux des électeurs s'il l’avait revendiquée. De quoi réussir à garder son siège ? Il préfère éluder : "Un candidat en campagne est toujours angoissé." Surtout quand il est socialiste.

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