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Municipales : à Tarascon, l'instit' qui peut faire gagner le FN

A Tarascon, entre Arles et Avignon, Valérie Laupies avait recueilli 57% des voix aux dernières législatives. Pur produit de la dédiabolisation du FN, cette directrice d'école a de bonnes chances de ravir la mairie à l'UMP.

Article rédigé par Bastien Hugues - Envoyé spécial à Tarascon (Bouches-du-Rhône),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La candidate FN à Tarascon (Bouches-du-Rhône), Valérie Laupies, dans sa permanence, le 18 février 2014. (BASTIEN HUGUES / FRANCETV INFO)

Tarascon (Bouches-du-Rhône), un bourg provençal de 12 000 habitants entre Arles et Avignon, Valérie Laupies n'est pas seulement une candidate FN aux élections municipales parmi d'autres. Directrice d'une école primaire, issue d'une famille socialiste, passée par le MRC de Jean-Pierre Chevènement, cette quadra est un pur produit de la dédiabolisation du FN. Elle représente aussi l'une des meilleures chances de victoire pour le parti de Marine Le Pen. Aux dernières législatives, 51% des électeurs de la circonscription ont penché pour le socialiste Michel Vauzelle mais 57% des Tarasconais ont voté pour elle.

"J'ai été conditionnée dans la diabolisation du FN"

Direction la cité de Tartarin, donc, ses berges du Rhône et son célèbre château médiéval. Valérie Laupies nous a donné rendez-vous chez elle. Propriétaire d'une belle maison du centre-ville, elle a transformé son rez-de-chaussée en local de campagne. Les murs ont été intégralement recouverts par de grands draps bleu, blanc et rouge. Quelques affiches du Front national ont été accrochées. Dans un recoin, une statue de Jeanne d'Arc sur son cheval a été entreposée là. Quelques drapeaux tricolores finissent de décorer la pièce. Il est 12h15. Valérie Laupies rentre de l'école primaire Marcel Battle, un établissement public classé "ZEP", où elle est à la fois directrice et instit' dans une classe de CM2.

Sa relation avec l'Education nationale, dit-elle, "se passe très bien". "Au début, je m'imaginais qu'on allait me cracher dessus." Aujourd'hui, elle en rigole. "Certains ont essayé de me mettre des bâtons dans les roues. Mais ils ont compris que je ne me laisserai pas faire." Née au Creusot (Saône-et-Loire) dans une famille ouvrière très mitterrandienne, Valérie Laupies raconte avoir été "conditionnée dans la diabolisation du FN. Sans réfléchir, j'avais le réflexe FN = 'beurk !'. C'était comme ça". Mais au fil du temps, son "esprit peut-être un peu adolescent" va la pousser vers un chemin inattendu.

"Le personnage d'Alain Soral m'a intéressée"

Un soir, au début des années 2000, elle découvre l'écrivain nationaliste Alain Soral à la télévision, dans une émission de Thierry Ardisson. La discussion porte sur l'IVG. "Je l'ai trouvé très… underground. Il ne rentrait pas dans le moule. Son personnage m'a intéressée." Quelques jours plus tard, elle achète un de ses livres, Jusqu'où va-t-on descendre ? "Ça me faisait du bien de lire quelqu'un qui disait qu'il fallait arrêter la victimisation et le politiquement correct."

En 2004, elle rejoint le MRC de Jean-Pierre Chevènement. "J'aimais bien la culture et la volonté de souveraineté de Chevènement. Entendre quelqu'un qui disait qu'il fallait arrêter de dire que l'autorité, c'est nul, et que les gens ont une responsabilité, ça me plaisait." Mais l'aventure s'arrête deux ans plus tard. Le concept du contrat première embauche, que souhaite alors mettre en place le gouvernement Villepin, la séduit. Le MRC s'y oppose. "A partir de là, parce que je ne pensais pas comme tout le monde, j'ai eu l'impression d'être au tribunal ou dans une cellule du Parti communiste !" Alors Valérie Laupies claque la porte du mouvement.

Le soir-même, elle écrit à Alain Soral, et lui demande pour qui s'engager à la présidentielle de 2007. "Il me répond : Jean-Marie Le Pen ou Dieudonné, se souvient-elle. Mais psychologiquement, je ne me voyais pas adhérer au FN." Elle se rapproche durant quelques mois du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Et puis elle achète l'autobiographie de Marine Le Pen, A contre flots. "Je me suis complètement retrouvée dans ses propos. Ça m'a totalement décomplexée." Elle prend alors sa carte au FN, assiste à des meetings et rencontre Jean-Marie Le Pen. Début 2010, le vieux leader frontiste lui propose d'être candidate aux régionales. "Il m'a dit que, compte-tenu de ma profession, il comprendrait que je refuse." Haïssant le politiquement correct, adorant briser les codes, Valérie Laupies franchit le pas et se retrouve élue à la région Paca. La machine est en route.

"Les gens ne pensent même plus au FN en me voyant"

Après un échec aux cantonales en 2011, elle rempile aux législatives de 2012. Et fait trembler le président de la région Paca, Michel Vauzelle, réélu avec à peine plus de 51% des voix. Dans sa commune de Tarascon, où elle enseigne depuis dix-sept ans, Valérie Laupies recueille un peu plus de 57% des voix au second tour. Marine Le Pen la nomme conseillère politique du Front national sur les questions d'éducation. Elle entre aussitôt en campagne pour les municipales de 2014. Pour la toute première fois, le FN présentera une liste à Tarascon. Un manque d'expérience dont ses adversaires veulent profiter.

"Prendre le pouvoir est le seul objectif du FN. Ce sont des rapaces", grince la candidate du Front de Gauche, Emmanuelle Bonhomme. "Marignane, Toulon, Vitrolles... Les expériences de municipalités FN ont toujours tourné à la catastrophe", martèle le candidat soutenu par l'UMP et l'UDI, Lucien Limousin.

Des arguments balayés par Valérie Laupies et son équipe. Ces derniers mois, elle et plusieurs de ses colistiers ont suivi des formations, notamment en finances locales. Pour être prêts à gérer la commune en cas de victoire. Et pour essayer de ne pas répéter les erreurs du passé. "Les gens me connaissent bien. Ils savent que je suis sérieuse. Quand je me balade à pied dans la ville et que je croise mes élèves et mes familles, ils ne pensent même plus au FN en me voyant", ajoute la candidate. "Depuis dix-sept ans qu'elle enseigne ici, Valérie connaît beaucoup de parents d'élèves. Maintenant, certains de ses anciens élèves sont en âge de voter", sourit un de ses colistiers.

"Tous ne sont pas à mettre dans le même sac, mais…"

Valérie Laupies évoque l'insalubrité, l'insécurité et l'emploi, bien sûr. Ici, le taux de chômage frôle les 20%. La commune a le plus fort taux de bénéficiaires du RSA de tout le département. Le revenu moyen est 30% plus faible que la moyenne nationale. Une large partie de la population vit sous le seuil de pauvreté. Mais aujourd'hui, c'est surtout "la lutte contre le communautarisme" qui constitue son cheval de bataille.

Un tract du FN distribué sur le marché de Tarascon, le 18 février 2014. (BASTIEN HUGUES / FRANCETV INFO)

La dédiabolisation n'exclut pas d'aborder les fondamentaux. "Les Maghrébins se sont installés ici avec leur culture et leur mode de vie", déclare-t-elle. Comme beaucoup de Tarasconais, Valérie Laupies semble cultiver une certaine nostalgie. "Prenez l'Aïd, par exemple. Pendant l'Aïd, vous ne pouvez plus dormir ! Et les enfants ne vont pas à l'école… Et puis il y a de plus en plus de revendications communautaristes, comme le halal à la cantine, ou bien pour que les mères puissent accompagner les élèves en gardant un voile sur leur tête." Il y a trois semaines, plusieurs femmes voilées ont manifesté devant son école. Elle y a vu "une manipulation politique", orchestrée par "des gauchistes". Elle explique avoir reçu les mères en question dans son bureau, et que les choses sont aussitôt rentrées dans l'ordre. "Mais bon, dans leur tête, la laïcité n'existe pas…"

Dans son école, la moitié de ses élèves sont d'origine maghrébine. Fait-elle une différence entre eux et les autres ? "Tous les Maghrébins ne sont pas à mettre dans le même sac, mais la plupart n'ont pas la culture républicaine, répond-elle. Ils n'ont pas la même éducation. Ils n'ont pas de projet. Ils sont à l'école parce que c'est gratuit. Et je ne parle pas des gitans, parce que là c'est encore différent. On dit que c'est une richesse qu'ils ne parlent pas français chez eux le soir. Moi, je la cherche encore la richesse… Mais bon, tout ça ne m'empêche pas de les aimer comme ils sont !"

"Les gens ont envie de voir la Provence, pas le Maghreb !"

Si Valérie Laupies tient ce discours, c'est parce que "les Tarasconais veulent du changement". "Les gens en ont ras-le-bol. Il suffit de regarder pour comprendre", glisse une commerçante du centre-ville. "Ces gens-là, dit-elle en pointant du doigt l'importante communauté maghrébine de Tarascon, ne respectent rien." 

Sur le marché, les colistiers de Valérie Laupies relayent le message du Front national. "Je délègue beaucoup", se targue la candidate, qui ne posera que 15 jours de congés sans solde, entre le 15 et le 30 mars. Entre un vendeur d'olives et un marchand de légumes, Claude Luyat, en 14e position sur la liste, parle cru : "La clientèle qui s'est installée ici n'est pas celle de la Provence. Quand les gens s'arrêtent à Tarascon, ils ont envie de voir la Provence, pas le Maghreb !" Directeur de campagne, Thierry Marcel assure que la mairie agira autant que possible pour "rétablir l'ordre". Au passage, Claude Luyat déplore que "les commerces provençaux aient été remplacés par des kebabs". "Là-dessus, le maire peut choisir s'il préfère que s'installe une pizzeria ou un kebab. Nous, on choisira la pizzeria !", rit Thierry Marcel.

Une dame âgée, vêtue d'un hijab, déambule au bras de sa petite-fille. La gamine porte un voile et une djellaba aux reflets bleu azur. "C'est exactement ce dont on ne veut plus. Les Français en ont marre de cet affichage permanent, observe Claude Luyat. Une grand-mère qui porte le tchador, passe encore. Mais quand une fillette de 12 ans est comme ça, on se demande comment elle sera plus tard ! Je sais bien que c'est bientôt le carnaval, mais quand même !"

A un mois du premier tour, Valérie Laupies se sent "portée", "portée par les gens qui sont prêts à voter pour nous, par les gens qui m'entourent, par l'appareil du Front national…" Samedi 22 février, Marine Le Pen viendra lui apporter son soutien. Valérie Laupies sourit : "J'ai l'impression de n'avoir qu'à suivre un chemin tracé devant moi…"

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