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Cinq questions autour du "soutien de l'UOIF" reproché par Marine Le Pen à Emmanuel Macron

La candidate du Front national à la présidentielle a fait grief à Emmanuel Macron, mercredi 3 avril, d'être soutenu par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue depuis le mouvement Musulmans de France.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Marine Le Pen et Emmanuel Macron lors du débat de l'entre-deux-tours, à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 3 mai 2017. (MAXPPP)

Marine Le Pen a-t-elle marqué un point en reprochant à Emmanuel Macron d'être "soutenu" par l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ? Mercredi 3 avril, lors du débat télévisé entre les deux candidats en lice pour le second tour de la présidentielle, la présidente (en congé) du Front national s'en est pris à cette association religieuse rebaptisée Musulmans de France, et qui défend, selon elle, "le fondamentalisme islamiste". Franceinfo s'est penché sur cette polémique en cinq questions.

Que reproche Marine Le Pen à Emmanuel Macron ?

Marine Le Pen a plusieurs fois attaqué son adversaire sur ce sujet. Le 26 avril, elle avait déjà accusé Emmanuel Macron d'être "entre les mains" de l'UOIF. Lors du débat de mercredi soir, l'eurodéputée frontiste a réitéré ses propos, en estimant qu'il fallait "s'attaquer à la racine du mal", "le développement exponentiel du fondamentalisme islamiste sur notre territoire". Ce qui signifie, a-t-elle lancé à l'ancien ministre de l'Economie, "s'attaquer aux associations qui vous soutiennent, comme l'UOIF, (...) l'Union des organisations islamistes de France".

"Car en réalité, a-t-elle poursuivi pour justifier le remplacement du mot "islamique" par "islamiste"c'est une association (...) qui défend le fondamentalisme islamiste, qui a invité à chacun de ses congrès des gens qui sont venus exprimer leur haine des juifs, leur haine des homosexuels, leur haine des mécréants, et qui tiennent systématiquement des discours de haine. (...) Lorsqu'on vous a dit, M. Macron, 'vous acceptez le soutien de l'UOIF ?' Vous avez répondu : 'Oui, ça ne me pose pas de problèmes'."

La candidate frontiste est revenue à la charge en ces termes : "Il faut éradiquer l’idéologie du fondamentalisme islamiste dans notre pays. Mais vous ne le ferez pas, parce que vous êtes soumis à eux, monsieur Macron. Parce qu’ils vous tiennent. C’est aussi simple que ça. C’est malheureux à dire, c’est terrifiant parce que ça peut avoir des conséquences extrêmement lourdes pour les Français."

L'UOIF soutient-elle Emmanuel Macron ?

Oui, comme d'autres groupes religieux. Cette fédération de 250 associations, aujourd'hui intitulée "Musulmans de France"a appelé, fin avril, "tous les musulmans de France, par-delà leurs opinions politiques, à ne pas se relâcher" au second tour "et à aller voter massivement pour faire barrage aux idées de xénophobie et de haine et donner au candidat Emmanuel Macron le score le plus large". 

Sur son site, le mouvement précise : "Nous avons du respect à l’égard de monsieur Emmanuel Macron mais n’avons pas de liens particuliers avec son mouvement. (...) Monsieur Macron n’est pas plus 'dans nos mains' que ne l’est madame Le Pen ou un autre candidat aux élections présidentielles."

Pourquoi ce soutien peut-il être polémique ?

Issue de la mouvance des Frères musulmans, l'ex-Union des organisations islamiques de France défend un islam rigoriste et conservateur. Quand il a voulu organiser l'islam de France, Nicolas Sarkozy s'est appuyé un temps, rappelle Libération, sur cette organisation avec laquelle il partageait "une vision conservatrice de l’ordre social et du rôle singulier des religions en la matière".

L'ancien président avait ensuite pris ses distances, interdisant en 2012 "l’entrée du territoire à de prestigieux conférenciers du monde musulman - comme Youssef Al-Qaradawi, le théologien le plus réputé des Frères musulmans - conviés régulièrement au rassemblement annuel de l’UOIF au Bourget", relate Libération.

Les invités de l'UOIF suscitent régulièrement des polémiques. En février 2016, plusieurs personnalités politiques, dont Nicolas Dupont-Aignan, désormais rallié à Marine Le Pen, et Laurence Marchand-Taillade (Parti radical de gauche), avaient ainsi dénoncé l'invitation d'orateurs prêchant, selon eux, la "haine" à l'occasion d'un rassemblement organisé à Lille par cette organisation.

Ils s'inquiétaient notamment de la venue du Marocain Abouzaïd Al-Mokri, du Syrien Mohamed Rateb Al-Nabulsi et du Saoudien Abdallah Salah Sana'an. Le premier a notamment déclaré que "le complot juif [n'avait] pas de limites", précise le site Metronews. Dans une vidéo, le second avait estimé que l'homosexualité devait être punie de la peine de mort. Une vision partagée par le troisième dans certaines déclarations relevées par Marianne. "Dans un souci d'apaisement", les trois orateurs avaient été déprogrammés.

En revanche, cette fédération d'associations musulmanes a toujours condamné les attentats sur le sol français, contrairement à ce qu'a laissé entendre Marine Le Pen, qui a glissé vers le thème du terrorisme. Le 21 avril, après l'attaque qui a coûté la vie au policier Xavier Jugelé, l'UOIF a ainsi déclaré : "En visant des policiers, l'un des symboles de notre République, ce sont tous les Français qui sont touchés."

Quel rapport avec "l'affaire Saou" ?

Le nom de Mohamed Saou est revenu lors du débat télévisé mercredi soir, dans les mises en cause de Marine le Pen visant Emmanuel Macron : "On l’a vu avec l’affaire Saou, vous avez été mis devant le chantage : soit vous gardiez M. Saou, qui est un radical islamiste, soit l’UOIF appelait à vous faire battre".

L'origine de cette polémique remonte au 6 avril dernier, lorsqu'une professeure d'histoire-géographie, Barbara Lefebvre, avait interrogé Emmanuel Macron, au cours de "l'Emission politique" sur France 2. Soutien de François Fillon, cette enseignante reprochait à Mohamed Saou, référent départemental du mouvement En marche ! dans le Val-d'Oise, "des posts Facebook" dans lequel il avait notamment écrit qu’il n’a "jamais été et [ne sera] jamais Charlie". Des posts écrits "quand Charlie Hebdo caricature les victimes du séisme en Italie le mois suivant", explique Libération. Il est également mis en cause pour avoir partagé des publications de Marwan Muhammad, le porte-parole du CCIF, le Collectif contre l'islamophobie en France.

Face à la polémique naissante, l’équipe d’En marche ! avait annoncé dans un communiqué, dimanche 9 avril, que Mohamed Saou restait "référent départemental (…), mais [avait] accepté de se mettre en retrait de ses fonctions", en attendant que la commission d’éthique d’En marche ! émette "un avis sur le fond"La droite a relancé la controverse lorsqu'Emmanuel Macron, en off sur Beur FM, a qualifié  Mohamed Saou de "type bien" malgré "un ou deux trucs radicaux" (...) "sur les réseaux sociaux", relève Libération.

Les posts de Mohamed Saou rendus publics restent dans les clous de la liberté d'expression telle qu'elle est autorisée en France. Pour ce que l'on en sait, il n'a pas incité au terrorisme, contrairement à ce qu'a insinué Marine Le Pen mercredi lors du débat télévisé, en évoquant "des dérives extrêmement lourdes, qui font des morts sur notre territoire".

Que répond Emmanuel Macron ?

Dans sa réponse au cours du débat, le candidat d'En marche ! s'en tient à la loi. "Si l’UOIF prononce, invite, mène des activités interdites, je la démantèlerai", a-t-il affirmé, avant d'ajouter : "Je ne connais pas les dirigeants de l’UOIF, je ne les ai jamais rencontrés, je n’ai pas de relations avec eux. Et, à ma connaissance, le dernier parti politique qui ait eu maille à partir avec eux et qui les a fait participer à des colloques, c'est M. Aliot. Donc, balayez devant chez vous, mais ne venez pas me chercher là-dessus. Ces gens-là, je ne les connais pas."

Avec ce "M. Aliot", Emmanuel Macron fait référence, expose Marianne, "à un colloque organisé en avril 2013 par le 'Club idées nation', un think tank proche du FN, à l’initiative de l’eurodéputé Louis Aliot, vice-président du parti et compagnon de Marine Le Pen". Parmi les intervenants figurait l'ancien porte-parole de la Manif pour tous Camel Bechikh, membre de l'UOIF qui se définit comme "musulman patriote".

Interrogé jeudi 4 mai sur Europe 1, Louis Aliot a confirmé que le débat s'était bien tenu. Avant d'ajouter : "Ça n’empêche pas que lorsque Marine sera aux affaires, l’UOIF sera dissous, M. Bechikh ou pas."

Camel Bechikh avait également été invité à l'émission "Banlieues patriotes", diffusée fin 2016 par un collectif affilié au parti de Marine Le Pen. Il a expliqué à l'AFP vouloir "parler à tout le monde" : "Je suis très bien à l'UOIF, je n'y ai plus de fonction dirigeante depuis 2007 et je suis très bien en tant que patriote."

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