La réforme des règles de la présidentielle, un "attentat contre la démocratie" pour les "petits" candidats
Le Parlement s'apprête à changer les règles de l'élection présidentielle, à treize mois de la prochaine échéance. Au grand dam des candidats des "petits" partis, pour qui la course à l'élection suprême risque d'être encore plus compliquée.
Vous n'en avez peut-être pas entendu parler, mais cette réforme hérisse déjà les "petits" candidats à la présidentielle de 2017. Deux propositions de loi socialistes ont été adoptées par l'Assemblée nationale, jeudi 24 mars. Elles visent à "moderniser" l'organisation de ce scrutin à travers deux principales mesures : la modification de la collecte des 500 parrainages, indispensables à tout candidat pour concourir à l'élection, et la fin de la règle d'égalité des temps de parole dans les médias audiovisuels.
Jusqu'à présent, chaque candidat collectait lui-même ses parrainages d'élus, les déposait au Conseil constitutionnel qui en publiait 500, tirés au sort. Dorénavant, si la réforme est définitivement adoptée, les élus adresseront eux-mêmes leur parrainage au Conseil constitutionnel. Et celui-ci publiera l'intégralité des parrainages reçus, qui plus est en temps réel. Officiellement, l'objectif est de favoriser la transparence.
Deuxième mesure, la règle d'égalité des temps de parole à la télé et à la radio sera remplacée par une règle d'"équité" pendant la période dite "intermédiaire", allant de la publication de la liste des candidats au démarrage de la campagne officielle. L'égalité ne concernera plus que la campagne officielle, soit les deux semaines précédant le premier tour. De l'avis de nombreux candidats, cette équité est compliquée à définir objectivement – donc à faire respecter. Ce sera au CSA de veiller à ce "traitement équitable" en s'appuyant sur deux critères : la "représentativité" de chaque candidat, estimée à partir des sondages et des résultats aux élections précédentes, et sa "contribution à l'animation du débat électoral".
"Ce sera encore plus difficile de donner son parrainage"
"Tripatouillage", "rapt de l'élection présidentielle", "attentat contre la démocratie", "manœuvre pitoyable"... Les "petits" candidats – pour faire simple, tous, hormis ceux du PS, des Républicains ou du FN – n'ont pas de mots assez durs pour critiquer ce texte. Il est vrai qu'ils ont beaucoup à y perdre. Pour Jean-Luc Mélenchon, candidat pour 2017, ou Corinne Lepage, candidate indépendante en 2002, c'est une façon de faire pression sur les élus locaux, qui n'oseraient plus donner leur parrainage à un candidat non adoubé par leur parti : un "chantage en temps réel" du PS visant à "éradiquer administrativement et médiatiquement ses opposants politiques de gauche qu’il ne parvient pas à combattre politiquement", pour l'eurodéputé du Parti de gauche.
Jean Lassalle, qui a déclaré sa candidature pour 2017, y voit, lui, un "attentat contre la démocratie". "Ce sera encore plus difficile pour un maire de donner son parrainage. Quand j'étais jeune maire, j'ai parrainé Arlette Laguiller en 1981. Je me souviens encore des débats au conseil municipal, ce n'était pas évident !" Pour le député MoDem, cette réforme est clairement pensée "pour favoriser les trois grands candidats, disqualifier les Verts et, si possible, Jean-Luc Mélenchon. Une fois de plus, c'est une énorme tromperie."
"On supprime le premier tour de l'élection"
Mais c'est surtout le changement des règles médiatiques qui fait hurler les candidats. "C'est une manœuvre pitoyable, contraire au principe de base de l'élection présidentielle : tous les candidats doivent être sur un pied d'égalité, martèle Nicolas Dupont-Aignan à francetv info. Cinq semaines tous les cinq ans, c'est trop pour eux ! Vous vous rendez compte ? Alors qu'il y a 20 millions d'abstentionnistes et que les partis politiques sont toujours plus haïs par les Français !"
Et de dénoncer la conséquence prévisible – et l'objectif caché – de la réforme, selon lui : la montée du Front national, seul parti avec le PS et l'UMP capable de faire face à ces nouvelles règles. "Derrière cette réforme, c'est la suppression du premier tour de l'élection, assure-t-il. Les débats à la télévision seront organisés uniquement entre les candidats du second tour supposé. Ils vont dévier la colère des Français uniquement sur le FN, présenté comme la seule alternative."
"L'équité, un concept inéquitable"
Jean-Luc Mélenchon n'est pas moins sévère, dénonçant "la bande des trois" qui dresse "un barbelé supplémentaire autour de ses intérêts". Philippe Poutou, candidat du NPA en 2007 et 2012, fait à peu près la même lecture : "Le PS a la volonté d'éliminer le moindre petit candidat à sa gauche, même un candidat qui ne ferait que 1 ou 2%, comme moi", dit-il à francetv info. Il avait réuni 1,15% des suffrages en 2012. "C'est aussi mesquin que cela", conclut-il.
Une réforme d'autant plus injuste pour ces candidats que les critères du CSA pour l'appliquer semblent flous. L'équité ? Un concept "parfaitement inéquitable" pour Corinne Lepage. "Chacun sait que plus un candidat est vu à la télévision, (…) plus ses sondages sont bons. Aussi, fonder l'équité sur les intentions de vote est parfaitement malhonnête puisque ce sont précisément les passages médias qui favorisent les intentions de vote."
La réforme devra obtenir la majorité absolue
Tous les candidats que nous avons interrogés estiment qu'un changement des règles si près de l'échéance pose problème. Certains font des contre-propositions. Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou se prononcent ainsi pour des parrainages citoyens : "Cela paraîtrait plus juste que ce soit la population qui légitime un candidat, juge Philippe Poutou. Et cela ôterait aux maires cette responsabilité dont ils ne veulent pas toujours." Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon reprend ses accents de tribun : "Fixez le chiffre que vous voudrez (…) : 100 000, 200 000, 1 million ! Aucun chiffre ne nous fait peur. La seule chose qui nous fait peur, c’est que le peuple soit privé d’initiatives et de droits."
Cette réforme doit encore être votée par le Sénat avant de revenir à l'Assemblée. Comme il s'agit d'une loi organique, elle devra alors recueillir la majorité absolue des députés, soit 289 voix. Or le groupe socialiste ne représente seul que 285 voix. La majorité aura donc besoin de voix extérieures pour faire passer son texte.
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