Présidentielle : les cinq raisons de la cinglante défaite de Benoît Hamon
Le candidat socialiste est arrivé en cinquième position, dimanche soir.
Il a voulu y croire jusqu'au bout, mais les sondages ne lui laissaient guère de raisons d'espérer. Benoît Hamon s'est incliné, dimanche 23 avril, lors du premier tour de l'élection présidentielle, en ne recueillant que 6,3% des suffrages, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France*. Un score catastrophique pour le candidat socialiste, en deça de ce qu'il pouvait espérer, puisqu'il était crédité de 7,5% des intentions de vote dans notre dernier sondage publié vendredi 21 avril.
Comment expliquer une défaite aussi cinglante ? Franceinfo revient sur la chaotique campagne du député des Yvelines.
1Il a mis du temps à faire démarrer sa campagne
Le 29 janvier, Benoît Hamon remporte largement la primaire de la gauche face à Manuel Valls. Dans les jours qui suivent, une dynamique semble s'enclencher dans les sondages, qui voient le candidat socialiste gagner rapidement quelques points et distancer Jean-Luc Mélenchon. Il engage alors des discussions avec Yannick Jadot et le candidat de la France insoumise.
Plus de trois semaines sont nécessaires pour s'accorder avec l'écologiste et obtenir son retrait. Quant aux discussions avec le second, elles achoppent. Pendant toute cette période, Benoît Hamon est resté quasi invisible. Dans l'entourage du candidat, on tentait de justifier le temps passé à négocier ce deal : "Grâce à l'accord avec les Verts, on ne descendra jamais sous les 15%, ni sous Mélenchon, on a un socle solide."
Mais cette analyse ne fait pas l'unanimité. "Après la primaire, on n'est pas passé assez vite à la suite de la campagne, c'est-à-dire aux propositions de fond", reconnaissait une proche du candidat.
Cela a été la drôle de campagne, comme il y avait eu la drôle de guerre…
Une proche de Benoît Hamonà franceinfo
Interrogée par franceinfo, une ministre s'alarmait aussi de ce retard à l'allumage. "Il a perdu beaucoup de temps au début. Un temps qui aurait été utile. Un temps que Macron a mis à profit. Après une primaire, c'est vrai pour tous les vainqueurs, le soufflé retombe toujours un peu. Mais lui ne pouvait pas se le permettre."
2Il a été lâché par son propre camp
Autre raison majeure de la défaite de Benoît Hamon : la division dans son propre camp. Il y a d'abord tous ces socialistes qui, au compte-gouttes, tel un long supplice chinois, ont déserté pour rejoindre Emmanuel Macron. Si de nombreux députés ont ainsi franchi le Rubicon, mettant dans l'embarras Solférino, des poids lourds ont aussi rejoint la campagne du candidat d'En marche ! Ainsi, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, Juliette Méadel, ont annoncé leur soutien à leur ex-collègue de Bercy.
Mais le coup le plus dur pour Benoît Hamon viendra de son ex-rival à la primaire. Le 29 mars, sur les ondes de BFMTV/RMC, Manuel Valls lâche une petite bombe : il votera Emmanuel Macron. "Je veux donner plus de forces au candidat réformiste, progressiste", assure le député de l'Essonne, qui en profite pour de nouveau critiquer l'"erreur de campagne" de Benoît Hamon, dont la stratégie "consiste à courir après Mélenchon et taper Macron".
Sans surprise, les soutiens du candidat PS sont furieux. "Franchement, Valls aurait pu la jouer comme Le Foll en gardant le silence ou même comme Le Guen et faire l'hypocrite en laissant fuiter qu'il voterait Macron mais sans le dire face caméra", attaque un proche auprès du Huffington Post.
Là, faire Bourdin, comme ça, c'est un assassinat politique. Valls, c'est le Ravaillac de cette présidentielle.
Un soutien de Benoît Hamonau Huffington Post
Autre problème : si l'aile droite du PS est tentée par le vote Macron, les autres courants socialistes ne sont pas non plus tous rassemblés derrière Benoît Hamon. L'exemple le plus parlant est à chercher du côté d'Arnaud Montebourg. L'ancien candidat à la primaire n'a pas tellement aidé son ex-collègue au gouvernement.
Leur seule apparition publique a lieu le 7 avril, au Creusot (Saône-et-Loire). Et la mise en scène tourne au cauchemar. L'ancien ministre du Redressement productif arrive en retard et répond froidement lorsque la presse tente de prendre la température : "Il faut demander au candidat. Je ne suis pas chargé de porter une parole, donc démerdez-vous avec lui." Un peu plus tard, rapporte Libération, Arnaud Montebourg glissera que son programme était "meilleur" que celui de Benoît Hamon. L'ancien ministre finira par partir, seul, avant la fin de la visite.
3Il a raboté la mesure phare de son programme
C'était sa mesure phare, celle qui lui avait permis d'émerger lors des débats de la primaire à gauche. Le revenu universel était porté comme un étendard par Benoît Hamon, qui y voyait une réponse à la "raréfaction probable du travail liée à la révolution numérique", mais aussi la possibilité de choisir son temps de travail pour "s'épanouir dans d'autres activités que l'emploi". Problème : pour apaiser l'aile la plus à droite du PS, Benoît Hamon va petit à petit raboter son projet. Après l'avoir déjà largement toilettée, le candidat PS va définitivement amender sa mesure.
Interrogé sur le plateau de "L'Emission politique" de France 2 sur le fait de savoir si les 5,3 millions de 18-25 ans toucheront 600 euros par mois, Benoît Hamon répond négativement. "Pas tous ! Si vous sortez d'HEC et que vous êtes à 3 000 euros, vous êtes au-dessus de 1,9 smic !" Or, le revenu universel devait à l'origine être versé "sans conditions de ressources"… En touchant à son point fort, Benoît Hamon a ainsi perdu en crédibilité.
4Il a (lui aussi) été rendu inaudible par l'affaire Fillon
Si Benoît Hamon n'a pas réussi à "imprimer" dans cette campagne présidentielle, c'est parce que les affaires autour de François Fillon ont empêché les débats de fond d'émerger. C'est en tout cas ce que disait, début mars, son porte-parole, le député Alexis Bachelay. "Le débat public est tiré vers le bas par ces semaines que nous passons à commenter des procédures judiciaires, les divisions d'une famille politique."
Benoît Hamon a fait des propositions extrêmement fortes, mais elles ne passent pas le mur de l'actualité qui se focalise sur les divisions de la droite.
Alexis Bachelay, porte-parole de Benoît Hamonsur franceinfo
"A chaque fois que je veux parler de service public, on me ramène au feuilleton interminable de François Fillon et ses amis", s'était alors agacé Benoît Hamon. De fait, la difficulté existait pour tous les candidats : comment parler du fond ? Comment faire exister un débat politique sur des propositions, quand la droite ne cessait de s'écharper et de se diviser autour du maintien ou non de la candidature de François Fillon ? Le camp Hamon a peiné à trouver la réponse. "Il faut qu'il se ressaisisse de sa campagne, en particulier du calendrier, reprochait un ministre, interrogé par franceinfo. Il donne le sentiment de subir."
5Il s'est retrouvé coincé entre Macron et Mélenchon
Enfin, Benoît Hamon a manqué de stratégie électorale, en ciblant le mauvais cheval. En concentrant ses attaques sur Emmanuel Macron, il a oublié de regarder sur sa gauche. Conséquence : Jean-Luc Mélenchon a grignoté du terrain jusqu'à dépasser définitivement son rival socialiste. Alors que les deux camps avaient convenu d'un pacte de non-agression, Benoît Hamon a tenté de répliquer. Trop tard. Et cela, certains militants socialistes l'avaient bien compris.
Dans quinze jours, Benoît Hamon, il est mort ! Tous ceux qui se reconnaissent dans sa candidature vont être aspirés par Mélenchon.
Mustafa, militant socialisteà franceinfo
"Il a un logiciel neuf et aborde des sujets très concrets, il propose une version plus horizontale des choses. Mais il n'a pas su transformer sa campagne de primaire, ça s'est essoufflé", résumait encore Magalie, électrice de gauche, à franceinfo. "Il faut dire qu'il a fait une campagne audacieuse, voire suicidaire", souligne Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques et spécialiste du PS, contacté par franceinfo. C'était une bonne campagne sur le fond, mais c'était osé de tenter d'innover idéologiquement dans un contexte aussi difficile pour la gauche."
Avec cette stratégie, Benoît Hamon n'a pas su capter une grande partie de l'électorat du PS. Selon une enquête Ipsos/Sopra Steria sur la sociologie des électorats du premier tour, 42% des électeurs qui se disent sympathisants socialistes ont voté pour Emmanuel Macron et 23% pour Jean-Luc Mélenchon. Benoît Hamon doit se contenter de 27%. "C'est le cœur de l'électorat socialiste qui n'a pas voté pour Benoît Hamon", analyse Rémi Lefebvre. "Un PS à 6%, c'est complètement hallucinant, ça montre que le 'casse-noix' Macron-Mélenchon, selon l'expression de Jean-Luc Mélenchon, a brisé la candidature de Benoît Hamon", résume-t-il. Et le calvaire n'est peut-être pas terminé, à en croire le spécialiste : "Pour le PS, les législatives peuvent être un coup fatal. Si le parti obtient 50 députés ou moins, comme en 1993, on peut avoir une gauche qui disparaît du paysage politique."
*Estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, Le Point, Le Monde, France 24 et les chaînes parlementaires.
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