Présidentielle : Marine Le Pen est-elle "la candidate du peuple" ?
La candidate du Front national a martelé au fil de la campagne qu'elle était la représentante des classes populaires. Franceinfo se penche sur la véracité de cette affirmation.
"Au nom du peuple." Marine Le Pen n'a pas choisi son slogan de campagne au hasard. Elle souhaite incarner ce "peuple". "Contre la droite du fric, la gauche du fric, je suis la candidate de la France du peuple", affirmait-elle en février, en ouverture de son discours aux Assises du Front national à Lyon.
Selon la définition de la présidente du FN, le "peuple" correspond aux classes populaires, disposant de revenus modestes, qu'il faudrait opposer aux personnes aisées et aux élites. Sur la base de cette définition, franceinfo tente de savoir si Marine Le Pen est réellement la "candidate du peuple".
Oui, elle empoche le vote populaire
Moins un électeur gagne d'argent, plus il a tendance à voter Marine Le Pen. C'est la leçon de l'enquête Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France réalisée juste avant le premier tour. La fille de Jean-Marie Le Pen arrive largement en tête (32%) chez les électeurs dont le foyer gagne moins de 1 250 euros par mois, devant Jean-Luc Mélenchon (25%). Elle est également devant (29%) pour la tranche des foyers gagnant entre 1 250 et 2 000 euros. A l'inverse, la candidate du FN est en quatrième position (15%) chez les électeurs qui gagnent plus de 3 000 euros par mois.
Au niveau des catégories socioprofessionnelles, Marine Le Pen peut également se targuer d'empocher le vote populaire. Elle obtient 37% du vote ouvrier (voir graphique ci-dessous) et 32% chez les employés. A l'inverse, elle est en quatrième position chez les cadres avec seulement 14% (loin des 33% d'Emmanuel Macron). Elle n'est cependant pas la seule représentante de ces classes populaires. La sociologie de son électorat peut ainsi se rapprocher de celle de Jean-Luc Mélenchon, même si la candidate frontiste reste devant celui de la France insoumise.
La cheffe de file du FN enregistre ainsi le meilleur score auprès de ceux qui ont l’impression d’exercer une profession en déclin (30%), chez ceux qui s’en sortent "très difficilement" avec les revenus du ménage (43%) et chez ceux qui pensent que la jeune génération vivra moins bien qu’eux (25%). "Une France qui ne va pas très bien, qui a des craintes pour l'avenir, pour certains d'entre eux (...) qui se sentent les perdants de la mondialisation, qui ont peur de l'ouverture", résume pour France Culture Anne Jadot, maîtresse de conférences en science politique à l'université de Lorraine.
Oui, son programme est rempli de promesses en faveur des plus modestes
Dans ses "144 engagements présidentiels", Marine Le Pen cherche à séduire l'électorat populaire à l'aide de mesures à destination des plus pauvres. Elle souhaite notamment revenir à la retraite à 60 ans, revaloriser le minimum vieillesse, instaurer une prime de pouvoir d’achat pour les bas revenus et les petites retraites, baisser de 5% les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité ou encore défiscaliser les heures supplémentaires. Au niveau fiscal, elle propose de diminuer de 10% l’impôt sur le revenu pour les trois premières tranches (c'est-à-dire jusqu'à 71 898 euros de revenus annuels) et de maintenir l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sans augmenter ni la CSG, ni la TVA.
Mais un problème demeure sur le financement de l'ensemble de ces mesures, estimé entre 100 et 200 milliards d'euros, selon différentes estimations. Marine Le Pen évoque dans le chiffrage de son programme des économies de l'ordre de 60 milliards d'euros, mais elle reste assez floue sur le moyen d'atteindre ce gain. Elle évoque des économies "sur la gestion de la Sécurité sociale, sur la fraude sociale et l’évasion fiscale, sur l’Union européenne, sur l’immigration, sur la réforme institutionnelle et sur la délinquance", sans plus de précision.
"La fraude, par nature, est impossible à estimer, (...) vous spéculez sur des recettes hypothétiques", lui a lancé le journaliste François Lenglet dans "L'Emission politique" de France 2. "Son programme n'est pas financé, elle compte sur des recettes illusoires", ajoute Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et membre du collectif Les Economistes atterrés, joint par franceinfo.
Non, les conséquences de son programme pourraient pénaliser les classes populaires
Le collectif des Economistes atterrés, des chercheurs "hétérodoxes" plutôt classés à gauche, refusent à Marine Le Pen le droit de se proclamer "candidate du peuple". Dans une tribune publiée dans Marianne à la fin avril, les signataires estiment que le programme de la présidente du FN "est d’abord au service du patronat" et "des plus riches". Ils dénoncent ainsi la volonté du FN de baisser les charges des TPE-PME et de permettre d'augmenter le plafond des donations aux enfants (100 000 euros à chaque enfant tous les cinq ans au lieu de quinze actuellement).
Au cœur du projet de Marine Le Pen, il y a aussi la perspective de sortir de l'Union européenne et de l'euro à l'issue d'un référendum. Pour de nombreux économistes, ce choix décisif présente des risques très importants. "Dans le cas d'une sortie unilatérale, cela se traduirait sans doute par un grand désordre économique et financier, juge ainsi Henri Sterdyniak. Un certain nombre de Français seraient tentés de retirer leur argent des banques, cela ouvrirait une période d'incertitude et de ralentissement de l'économie française." Une situation incertaine dont les plus fragiles pourraient pâtir.
De l'autre côté de l'échiquier, l’Institut Montaigne, cité par Les Echos, considère qu'une sortie de l’euro amputerait le PIB de la France de 180 milliards d'euros et pourrait détruire plus de 500 000 emplois dans le pays. "La sortie de l’euro pourrait créer une récession économique de 3% et de 9% à terme", affirme ce think tank libéral. Dans les effets indésirables, l'institut évoque aussi une perte de pouvoir d’achat des Français qui pénaliserait mécaniquement les classes populaires. Des scénarios pessimistes qui sont critiqués par les partisans de la sortie de l'euro, comme l'économiste Jacques Sapir sur son blog : "L’analyse macroéconomique montre que les effets d’une sortie de l’euro, loin d’être catastrophiques, (...) sont très positifs."
Non, son parcours est aux antipodes de la vie du "peuple"
Après étude attentive, le parcours de Marine Le Pen l'éloigne de ce "peuple" dont elle se revendique. La responsable du FN n'a manqué de rien ou presque. Du grand appartement de la Villa Poirier, dans le 15e arrondissement de Paris, à la demeure bourgeoise de Montretout, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), la benjamine et ses deux sœurs aînées n'ont jamais été à l'étroit. Leur père a hérité d'Hubert Lambert, en 1977, la somme de 30 millions de francs (soit l'équivalent d'environ 17 millions d'euros aujourd'hui, en prenant l'inflation en compte), comme le rappelle l'ouvrage La Politique malgré elle. La Jeunesse cachée de Marine Le Pen (éd. La Tengo, 2017). Le magot est venu s'ajouter aux 430 m2 habitables et aux 4 600 m2 de verdure du domaine de Montretout.
Côté politique aussi, Marine Le Pen a toujours pu compter sur son père. En 1993, le "Menhir" se rend sur les marchés pour soutenir sa fille lors de sa première campagne pour les législatives. Quand Marine Le Pen rencontre des difficultés dans l'exercie de sa profession d'avocate, son paternel lui donne un coup de main et va jusqu'à l'embaucher en tant que directrice juridique du FN. Elle est alors rémunérée 30 000 francs par mois pour un deux-tiers de temps. Les opposants de Jean-Marie Le Pen au sein du FN dénoncent alors son népotisme, mais la benjamine va néanmoins continuer son ascension dans les structures frontistes à l'aide de son nom.
Les opposants de Marine Le Pen ne manquent pas de souligner les contradictions entre ce parcours et le fait de se proclamer comme "la candidate du peuple". "Madame Le Pen est l'héritière de ce système, elle est née dans un château et elle donne des leçons, elle se prétend du peuple", a ainsi taclé Emmanuel Macron, en meeting à Arras (Pas-de-Calais), mercredi 26 avril. "C'est vraiment une imposture, puisque là, vous avez une dynastie familiale, avec beaucoup de gens de la noblesse d'ancien régime… ajoute sur Canal+ la sociologue Monique Pinçon-Charlot. Elle va servir les intérêts de l'oligarchie dont elle est membre."
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