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Présidentielle : six anecdotes sur ces débats d'entre-deux-tours qui ont marqué l'histoire

Coups bas, souci du détail, poignées de main... En 1974, 1981 et 1988, les joutes entre les deux finalistes prétendants à l'Elysée ont également eu lieu dans l'ombre ou de l'autre côté de la caméra.

Article rédigé par franceinfo - Vincent Lenoir
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand lors des ultimes préparatifs du premier débat d'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, le 10 mai 1974. (DOMINIQUE GONOT / INA)

C'est la grand-messe de l'élection présidentielle. Le moment fatidique où les deux finalistes issus du premier tour s'affrontent en direct à la télévision, dans une joute finale, à quelques jours du second tour. Depuis 1974, les deux derniers prétendants à l'Elysée ont pris l'habitude de débattre – 2002 excepté – devant des millions de Français. L'exercice, ultra codifié et très périlleux, fait l'objet d'une préparation intense et se déroule souvent dans une grande tension. Si certaines séquences sont restées célèbres, comme le "monopole du cœur" giscardien ou le "Moi président" hollandais, d'autres sont tombées dans l'oubli ou restent peu connues. A quelques heures du duel qui doit opposer Emmanuel Macron et Marine Le Pen, mercredi 3 mai, franceinfo a relevé quelques-uns de ces moments d'histoire restés dans les coulisses des débats d'entre-deux-tours.

Quand un candidat récalcitrant veut tout contrôler

Mai 1981. Le candidat socialiste, François Mitterrand, arrive en tête du premier tour de la présidentielle. Problème, il affronte le président sortant, Valéry Giscard d'Estaing, qui l'a battu sept ans plus tôt. Le candidat de la gauche garde un souvenir douloureux du débat qui les a opposés lors de l'entre-deux-tours. "Monsieur Mitterrand, vous n'avez pas le monopole du cœur !" avait alors attaqué le futur vainqueur, qui attribue lui-même sa victoire à cette fameuse tirade.

Pour le match retour, François Mitterrand est très méfiant. "Il n'avait pas envie d'y aller", raconte à franceinfo Serge Moati, présent à ses côtés à l'époque. Il charge le réalisateur et son conseiller Robert Badinter d'établir des règles très exigeantes pour contrôler la réalisation du débat. Ces 21 règles portent notamment sur l'absence de plans de coupe, l'éclairage ou encore sur le fait que les journalistes ne doivent pas être des fonctionnaires de l'ORTF. Au grand étonnement des intéressés, l'équipe de Valéry Giscard d'Estaing accepte les 21 règles proposées.

Ils étaient tellement sûrs de gagner qu'ils ne voulaient pas perdre de temps. Au final, on en a quand même discuté pendant des heures.

Serge Moati, réalisateur

à franceinfo

Quand le matériel devient un enjeu majeur

Dans un débat d'une telle ampleur, rien n'est laissé au hasard. Pour un exercice regardé par plusieurs millions de Français (plus de 17 millions de téléspectateurs l'ont suivi en 2012), le moindre détail du mobilier devient l'enjeu de tractations entre les camps. Serge Moati se souvient notamment que la longueur de la table faisait partie des fameuses 21 conditions. Sept ans plus tard, en 1988, celle-ci mesurait 1,70 m, soit exactement la même longueur que celle du bureau de François Mitterrand à l'Elysée. Tout un symbole au moment d'affronter Jacques Chirac, alors Premier ministre...

Jacques Chirac et François Mitterrand, le 28 avril 1988. (WITT / SIPA)

En 1995, pour le duel Chirac-Jospin, la table prendra une autre dimension pour s'établir à 1,90 m de long sur 70 cm de large, rapporte Libération. La hauteur des chaises ou encore la température ambiante sont également l'objet d'un casse-tête. En 2007, Nicolas Sarkozy veut baisser la température à 19°C : option rejetée par Ségolène Royal, qui souhaite conserver les traditionnels 21°C. Un compromis sera trouvé à 20°C, raconte Europe 1.

Quand un candidat se sert d'un "faux" document

Ce serait la raison qui poussa l'équipe de François Mitterrand à interdire les "plans de coupe", ces passages à l'écran du candidat silencieux lorsque l'autre a la parole. En 1974, lors du débat jugé "catastrophique" par le candidat socialiste, les règles de réalisation ne sont pas encore établies. Au cours de certaines prises de parole, les caméras sont braquées sur Valéry Giscard d'Estaing qui regarde des notes, désapprouvant les propos de son interlocuteur. L'effet est immédiat : les chiffres mis en avant par François Mitterrand semblent faux et contredits par ce que le ministre de l'Economie et des Finances de Georges Pompidou a sous les yeux. Pourtant, après le débat, un conseiller du premier secrétaire du PS passe à côté des notes de Valéry Giscard d'Estaing et y observe... une feuille blanche, comme le relate Michel Field dans son ouvrage Le grand débat (éd. Robert Laffont, 2006).

Quand les deux finalistes tentent de s'éviter... mais échouent

Ceux qui y ont assisté de près en témoignent : rarement un débat fut aussi "violent" que celui de 1988 entre François Mitterrand et Jacques Chirac. "Il y avait une haine... inimaginable. A couper au couteau", rapporte Serge Moati, interrogé dans la revue universitaire Politix en 1990. Même retour, côté plateau, chez Michèle Cotta, alors journaliste à TF1, qui a animé le débat : "Une telle haine ! Une telle haine ! Je me suis dit : 'Mon dieu, je suis en train d'assister, d'être l'auteure d'un truc historique extraordinaire.'"

Peu avant le débat, les proches des candidats rapportent qu'aucun des deux ne souhaite se croiser avant d'être sur le plateau. Une rencontre aurait signifié devoir serrer la main de son adversaire, ce qui n'enchante personne. Alexandre Tarta, le réalisateur conseiller de Jacques Chirac, raconte la scène : "Ils sont sortis en même temps, ils voulaient éviter ça (...). Ils voulaient absolument s'éviter et ils se sont tellement bien évités que les deux portes se sont ouvertes en même temps (...), ils se sont trouvés nez à nez. (...) 'Monsieur le Président', 'Monsieur le Premier ministre'. (...) C'est un résumé du débat."

Quand un camp bluffe pour faire paniquer l'autre

En 1981, face au trouble de Mitterrand qui déteste l'exercice, son équipe prépare un coup de bluff pour tenter de prendre l'ascendant contre le camp adverse. Dans son livre Trente ans après (éd. Seuil, 2011), Serge Moati raconte avoir joué un drôle de tour pour perturber le président Giscard d'Estaing, en pleine affaire dite "des diamants de Bokassa". Le président a été accusé d'avoir reçu en cadeau, en 1973, alors qu'il n'était "que" ministre de l'Economie et des Finances, une plaquette de diamants de la part du président de la République de Centrafrique, Jean-Bedel Bokassa.

Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, le 5 mai 1981. (BOCCON-GIBOD / SIPA)

Serge Moati affirme alors avoir fait courir le bruit que François Mitterrand comptait présenter un document accablant son contradicteur lors du débat. Il lui conseille même de se munir d'un dossier – vide – et de le tapoter régulièrement afin de déstabiliser le président sortant. Ce que François Mitterrand fait, sans jamais l'ouvrir.

Quand un candidat fait référence à la double vie de son concurrent

Tous les coups semblent ainsi permis dans la course à la fonction suprême. Même la vie privée des candidats – pourtant longtemps taboue dans la vie politique française – est utilisée dans le but de faire tanguer son adversaire. Lors du premier débat, en 1974, Valéry Giscard d'Estaing se distingue par une attaque difficilement perceptible pour le grand public. Peu de personnes connaissent alors la double vie que mène François Mitterrand avec l'historienne de l'art Anne Pingeot.

Au cours du débat, Valéry Giscard d'Estaing détaille les résultats du premier tour de l'élection présidentielle à Clermont-Ferrand. Il agrémente son commentaire d'un énigmatique "une ville que vous connaissez bien". Difficile d'y voir clair pour la majorité des téléspectateurs, mais pas pour les quelques initiés qui connaissent la ville d'origine d'Anne Pingeot : Clermont-Ferrand. Leur fille, Mazarine, verra le jour quelques mois plus tard, en décembre 1974. Mais le secret tiendra encore vingt ans.

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