Renouvellement de la classe politique : "Quand t'es jeune, on te remet rapidement à ta place"
Après la poussée du FN aux régionales, les principaux responsables de gauche comme de droite appellent au changement. Mais dans les faits, les jeunes pousses des grands partis font souvent face à un "plafond de verre".
"'Si tu ne te soumets pas, je te jure que tu vas rester à manger des miettes toute ta vie'. Voilà ce qu’on m’a dit." Au lendemain des élections régionales, Eric* conserve un souvenir intact des réunions stratégiques qui ont précédé le scrutin. Durant l'une d'elles, face à sa fédération départementale, ce jeune élu socialiste de 25 ans a osé reprendre l'un de ses aînés, bien installé, sur la stratégie à adopter face au Front national. Une initiative qui lui a valu cette réponse cinglante. "Quand t'es jeune et que tu proposes de nouvelles idées, on te remet rapidement à ta place", déplore-t-il.
Pas facile pour les nouveaux venus de se faire une place sur l’échiquier politique. Sur les plateaux de télévision, pourtant, les leaders de gauche et de droite n'ont qu'un mot à la bouche : "Le renouvellement." Celui des idées, des hommes. Un renouvellement qui, à les entendre, serait même la clé pour contrer l'ascension du FN. "A nous de comprendre la soif de renouvellement des Français", répète Bruno Le Maire (Les Républicains). "Les électeurs nous ont donné une dernière chance", prévient solennellement son collègue Xavier Bertrand, élu en Nord-Pas-de-Calais-Picardie face à Marine Le Pen.
"Quand on veut changer les choses, on vous dégage"
"Ça fait vingt ans que c’est toujours la même rengaine après chaque poussée du Front national, s’indigne Thierry Marchal-Beck, ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS). Ce sont toujours les mêmes qui font ce constat, mais qui se représentent aux mêmes élections. Mais quand on veut changer les choses, on vous dégage."
Thierry Marchal-Beck en sait quelque chose. En 2013, il a été évincé par Martine Aubry pour ses positions "trop à gauche" lors de l’université d’été du parti, explique-t-on au MJS.
On m'a indiqué la porte parce que je ne pensais pas comme les dirigeants.
S'ils se montrent plus frileux lorsque l'on évoque leur situation personnelle, beaucoup de jeunes militants évoquent volontiers "la rigidité des appareils politiques". Jeune maire Les Républicains d'Itancourt, un village de 1 000 habitants de l'Aisne, Julien Dive est de ceux-là.
Quand on ne vient pas des circuits Sciences-Po-ENA, on est rapidement confronté à un mur dans les instances du parti.
"Ceux qui ont vocation à faire bouger les pratiques politiques risquent d’être éliminés", acquiesce Jérémy Pinto, 27 ans, adjoint (PS) du maire au Creusot (Saône-et-Loire), sans vouloir donner plus de détails.
La politique, c’est un monde de requins où l’on mange les petits poissons avant même qu’ils aient le temps de grandir.
"Quand l'étau se resserre, la priorité c'est de sauver
les sortants"
Pour espérer accéder un jour à des responsabilités, beaucoup de jeunes pousses préfèrent se ranger derrière un ponte, en attendant d'être un jour envoyées dans une circonscription où la place se libère. D'autres sont expédiées au front, dans des combats jugés perdus d'avance.
En 2012, alors qu'elle n'a que 22 ans et vient à peine de prendre sa carte d'adhérente, Marine Tondelier est investie par Europe Ecologie-Les Verts à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), pour mener la bataille des législatives face à Marine Le Pen (FN), Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) et Philippe Kemel (PS). Elle n'obtient que 2,92% des voix. "Quand l'étau se resserre, comme c'est le cas aujourd'hui à cause du Front national, la priorité pour les partis, c'est de sauver les sortants", observe aujourd'hui la jeune femme.
Deux ans plus tard, elle est élue au conseil municipal de la ville, remportée par le frontiste Steeve Briois. "C'est pas toujours facile d'être la seule écologiste de l'opposition dans une ville FN, concède Marine Tondelier. Souvent, je me dis que je continue tout ça encore trois ans, et puis j'arrête."
"Le retour d'Alain Juppé, c'est 'Retour vers le futur'"
Mais que deviennent les déçus des grands partis ? Juste avant les élections régionales, plusieurs militants ont préféré rejoindre les rangs du Front national. Parmi eux : Franck Allisio, ancien président des Jeunes actifs, le mouvement des trentenaires des Républicains.
Après douze années de militantisme à droite, sans obtenir le moindre mandat, l'ancien collaborateur de Roger Karoutchi s'est engagé auprès de Marion Maréchal-Le Pen, en septembre. Immédiatement inscrit sur la liste FN, il a été élu le 13 décembre au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
"Au retour de Nicolas Sarkozy , j'ai espéré qu'il s'entoure d'une nouvelle garde, plus jeune, plus énergique, explique le nouveau frontiste. Mais un an après, c'est toujours les mêmes personnes que l'on voit chez Les Républicains. Christian Estrosi, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez... C'est toujours les mêmes. Le retour d'Alain Juppé, c'est carrément Retour vers le futur !"
Les Républicains, c'est comme dans la fonction publique : pour évoluer, il faut avoir des décennies d'ancienneté.
"Pour renouveler la classe politique, il faut la reconnecter avec la vie réelle"
"Le Front national arrive à tirer profit de cette situation de lassitude, alors que c'est un parti qui fonctionne comme les autres", regrette Marine Tondelier. L'écologiste se rappelle encore cet après-midi où, en sortant de la salle des fêtes d'Hénin-Beaumont, un sympathisant frontiste l'a apostrophée vigoureusement. "Il m'a traitée de cumularde, alors que je n'ai qu'un seul mandat. Il m'a dit qu'avec Marine Le Pen, tout allait changer, alors qu'à Hénin-Beaumont, c'est Marine Le Pen elle-même qui cumule plusieurs mandats ! Tout devient illisible."
Après son éviction de la présidence du Mouvement des jeunes socialistes, Thierry Marchal-Beck a décidé de quitter la politique.
Pendant cinq ans, j'ai fait de la politique de façon quasi-exclusive. Aujourd'hui, je travaille dans le privé et je ne vois plus les choses de la même façon !
"Je me rends compte aujourd'hui de l'écart qui se creuse entre les politiques et la population, poursuit-il. Comment peut-on parler de l'entreprise, du chômage, des CDD sans avoir vécu toutes ces choses-là ?"
Sur 577 élus à l'Assemblée en 2012, 55% sont des fonctionnaires, note Le Parisien. Certains routiers de la politique – comme Manuel Valls, élu depuis 1989 – n'ont jamais exercé d'activité professionnelle. "Quand on est jeune, on nous assène en permanence que nous allons devoir exercer dix métiers différents dans notre vie, s'insurge Thierry Marchal-Beck. Les seuls qui ne sont pas dans ce cas sont donc les politiques. Pour renouveler la classe politique, la seule solution est de la reconnecter avec la vie réelle."
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