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Sénatoriales : qui sont les vrais gagnants ?

Le politologue Martial Foucault, directeur du Cevipof, nuance l'impact de la victoire de l'UMP et du FN. Quant au PS, il réussit, selon lui, à limiter la casse.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Jean-Pierre Raffarin, sénateur UMP et candidat à la présidence du Sénat, à son arrivée au Palais du Luxembourg, le 28 septembre 2014. (CHRISTOPHE MORIN / MAXPPP)

On annonçait une "vague bleue". Les résultats des élections sénatoriales sont finalement moins déséquilibrés que l'espérait la droite. Celle-ci gagne au moins 24 sièges, ce qui lui permet de reprendre la majorité perdue en 2011, tandis que la gauche subit une nouvelle défaite. Mais elle n'a pas été balayée. Quant à l'impact de l'élection historique de deux frontistes au Sénat, il reste difficile à évaluer.

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Martial Foucault, directeur du Cevipof, le centre de recherche en sciences politiques de Sciences Po, analyse pour Francetv info les conséquences de ce scrutin sur le paysage politique français.

Francetv info : La droite reprend au Sénat la majorité qu'elle avait perdue en 2011. Mais peut-on parler de "vague bleue" ?

Martial Foucault : Ce n'est pas une surprise, vu la composition du collège de grands électeurs depuis les dernières élections municipales, où la droite avait réussi une percée historique. Les départements où la gauche avait le plus perdu aux municipales, dans les villes de plus de 9 000 habitants, sont ceux où la droite a le plus progressé aujourd'hui. Sans parler de "vague bleue", on constate donc, en partie, l'effet mécanique sur lequel comptaient certains à droite.

Mais les contextes locaux ont aussi été très importants. Je dirais qu'environ 50% des grands électeurs n'ont pas d'étiquette politique. Ce sont des élus qui exercent leur mandat pour des raisons de citoyenneté locale et non d'attachement partisan. Deux facteurs ont joué dans leur vote : la réforme territoriale et la baisse de 10 milliards des dotations aux collectivités territoriales. Sans parler de la réforme des rythmes scolaires, compétence des municipalités dont sont issus 95% des grands électeurs. Beaucoup la jugent insatisfaisante voire mauvaise. Difficile dans ces conditions de les convaincre de voter à gauche.

Pensez-vous, comme le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, que la gauche a toutefois "mieux résisté" que prévu ?

Ce n'est évidemment pas une victoire, mais je pense qu'il n'a pas complètement tort. Le changement de mode de scrutin a aidé la gauche. Les 17 départements qui élisent trois sénateurs sont passés d'une suffrage direct à la proportionnelle. Dans 6 de ces départements, soit 35%, la gauche a gagné un siège. Ce qui n'en fait pas un coup électoral pour la gauche : la réforme a été votée sous leur majorité, mais le constat qu'elle permettrait une meilleure représentativité était partagé. J'ajoute que 60% des sièges à renouveler dans ces élections appartenaient déjà à la droite, donc la gauche partait avec un léger avantage.

Quelles seront les conséquences de cette défaite pour François Hollande et le gouvernement ?

C'est une nouvelle défaite qui vient s'ajouter à la mauvaise séquence initiée depuis les municipales, mais ce revers n'a pas la même résonance qu'une élection au suffrage direct. La politique de Manuel Valls ne sera pas remise en cause. De toute façon, depuis trois ans, on ne peut pas dire que le Sénat ait facilité le travail du gouvernement. La droite va sans doute utiliser les ficelles de l'obstruction parlementaire, mais au moins, l'opposition sera claire.

En revanche, il y aura des conséquences pour 2017. En 2012, la domination de la gauche au niveau local avait desservi Nicolas Sarkozy. Pour l'UMP aujourd'hui, le fait de pouvoir s'asseoir sur un tissu d'élus locaux est un point de départ nécessaire à la reconquête nationale. 

L'UMP est donc la véritable gagnante de cette élection ?

De tous les partis, c'est celui qui réalise la meilleure performance. Mais attendons la désignation du futur président du Sénat, mercredi, pour voir si la bataille ne tourne pas au vinaigre. Les deux principaux candidats à droite ont des stratégies différentes. Gérard Larcher est dans une logique traditionnelle, il veut conserver l'esprit du Sénat, qui se veut au-dessus des basses querelles politiciennes et se consacrer avant tout aux questions territoriales. 

Jean-Pierre Raffarin, lui, se présente comme le compagnon de route de Nicolas Sarkozy, futur candidat à la présidentielle de 2017. Il ferait du Sénat un élément de la machine de reconquête électorale de la droite, en privilégiant, dans le choix des sujets mis à l'ordre du jour, des questions clivantes. Face au FN et en vue de 2017, l'UMP a un besoin fondamental de montrer que droite et gauche, ce n'est pas la même chose.

Le Front national fait, pour la première fois sont entrée au Sénat. N'est-ce pas, finalement, le résultat le plus marquant de cette élection ?

Je pense qu'il est important de mettre les choses dans l'ordre : la vraie nouvelle de ce soir, c'est le basculement du Sénat à droite. Certes, l'élection de deux sénateurs FN a un caractère historique, mais c'est la conséquence des municipales. Ce sont les conseillers municipaux FN qui ont permis à Stéphane Ravier et David Rachline d'être élus, pas des grands électeurs qui se seraient subitement découverts soutiens du FN.

On dit souvent que les élections sénatoriales n'ont pas un caractère de vote sanction, car ce n'est pas le peuple qui vote. Mais il ne faut pas oublier qu'un certain nombre de grands électeurs restent sensibles au contexte national. Et que, à l'image de l'électorat, il y en a sans doute un quart d'entre eux environ qui sont tentés par le vote FN. C'est ce qui explique le supplément de voix inattendu de Stéphane Ravier, qui affirmait que 200 grands électeurs voteraient pour lui, et qui a finalement récolté plus de 400 voix.

J'ajoute que cette élection n'est pas forcément une mauvaise chose. Le mode de scrutin proportionnel favorise, mécaniquement, les petites formations politiques. Si un parti, qui représente entre 20 et 22% des voix en France, n'était pas représenté au Sénat, cela aurait été en contradiction avec l'objectif de ce mode de scrutin. Dans un sens, c'est à l'Assemblée nationale que se posera la question de corriger le sentiment des électeurs de ne pas être représentés.

Deux sièges aux Sénat, qu'est-ce que cela va changer pour le parti de Marine Le Pen ?

Aux municipales, le FN avait pris 11 villes sur 36 000 communes françaises. Cette fois-ci, sur 178 sièges, ils en obtiennent deux. En comparaison, c'est une entrée fracassante, surtout dans un Sénat qui semblait, historiquement, imprenable. Cela s'inscrit dans une nouvelle stratégie, poursuivie par le FN depuis 2011, de passer par le local pour conquérir le national. 

Mais cette élection ne va pas non plus bouleverser la réussite de cette stratégie. Ce sont deux élus qui, en plus, étaient déjà maires. Onze maires, deux sénateurs : le FN est encore loin d'avoir un vrai maillage territorial. Quand j'entends Jean-Christophe Cambadélis affirmer après ces résultats que c'est la fin du bipartisme en France, j'estime que c'est un raccourci. Le FN n'est pas devenu une troisième force politique majeure. Attendons les élections départementales et régionales de l'an prochain pour voir s'il peut transformer ces bons résultats en un véritable ancrage local.

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