Affaire Troadec : la discrète bascule d’Hubert Caouissin et Lydie Troadec dans l’horreur
Alors que des premiers restes humains ont été retrouvés mercredi, le profil du meurtrier présumé, Hubert Caouissin, et de sa compagne, Lydie Troadec, interroge.
Les tueries familiales propulsent souvent un lieu dans l’histoire criminelle française : le pavillon de Thorigné-sur-Dué (Sarthe) dans l’affaire Dany Leprince, le chalet des Flactif au Grand-Bornand (Haute-Savoie), le parking du Martinet à Chevaline (Haute-Savoie), la maison bourgeoise de Xavier Dupont de Ligonnès à Nantes (Loire-Atlantique). Dans l'affaire Troadec, l’horreur vient se loger dans un corps de ferme encaissé dans une vallée boisée et marécageuse du Finistère, à Pont-de-Buis-lès-Quimerch, au bord de l'Aulne. Hubert Caouissin y a dispersé les dépouilles d'une famille entière, celle de son beau-frère, pour un différend financier. Si les parents Troadec et leurs enfants ont été tués dans leur pavillon d'Orvault, ils ont été démembrés, brûlés puis éparpillés dans la trentaine d'hectares qui entourent la bâtisse, selon les aveux de l'homme de 46 ans livrés dans la nuit du 5 au 6 mars.
Une ferme à l'abri des regards
Avant de commettre son massacre et de s'obstiner à en dissoudre les moindres traces, il semble qu'Hubert Caouissin ait œuvré à sa propre disparition sociale, à l'image de ce nom effacé sur la boîte aux lettres de la propriété de Pont-de-Buis. On y devine "Troadec", du nom de sa compagne Lydie, sœur d'une des victimes, et complice présumée puisqu'elle a été mise en examen pour "modification de l'état des lieux d'un crime et recel de cadavres". Le couple, parent d'un garçon de 8 ans, s'y était installé en toute discrétion début 2015, à l'abri des regards.
Les commentaires des voisins sont unanimes : Hubert Caouissin et Lydie Troadec y ont vécu reclus, sans aucun contact avec le monde extérieur. "Ils ne sont jamais venus se présenter", témoigne Ronan, un retraité dont la maison se situe le long de la petite route qui surplombe la ferme. Abandonnant ses coquillettes pour venir répondre aux journalistes, l'homme aux cheveux blancs dresse, à chaque fois, le portrait d'un couple dont le seul signe de vie se résumait à la fumée s'échappant de la cheminée. Idem du côté du maire. "Ils avaient mis des branches d'arbre en travers du chemin communal pour éviter qu'on aille jusqu'à chez eux", se souvient Roger Mellouët pour L'Obs. Leur enfant, scolarisé dans une école de la commune la première année, ne l'était plus à présent.
"On a affaire à un étrange personnage qui, manifestement, ne s'est pas installé ici par hasard", commente une source policière dans Le Télégramme. Selon une source proche de l'enquête contactée par franceinfo, Hubert Caouissin a affirmé aux enquêteurs qu'il souffrait d'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, justifiant ainsi son retrait dans cette ferme isolée. Un argument qui n'est pas, pour l'instant, étayé par les investigations.
Des voisins fantômes qui hantent le quartier
C'est à une soixantaine de kilomètres de là qu'il faut se rendre pour peut-être comprendre comment ce couple a basculé dans l'isolement. Dans les pages blanches du département, un seul Hubert Caouissin est répertorié, domicilié à Plouguerneau, une petite ville balnéaire de 6 500 habitants balayée par la bruine et les embruns. Une fois le nom du meurtrier présumé dévoilé, il n’a pas été difficile, pour les journalistes, de se rendre à l’adresse indiquée, au lieu-dit Croas al Lan. Un défilé de voitures, de micros et de caméras, sous l’œil mi-curieux, mi-chagrin de voisins hébétés. Sur le talus qui entoure le pavillon défraîchi des années 1980, des marques de pas signalent la présence toute récente de photographes.
La maison, elle, est à l'abandon, le terrain envahi par les herbes hautes. Hubert Caouissin et sa compagne n’habitent plus ici "depuis quatre ou cinq ans", selon Michel, un retraité qui vit juste en face et qui enchaîne avec cordialité les interviews. Des voisins fantômes, qui hantent désormais le quartier. Il n'en a pas toujours été ainsi. La famille Caouissin s'est installée dans le village dans les années 1970, à quelques rues de là. "Ils habitaient dans le quartier Lambezellec à Brest et le papa travaillait à l'arsenal", indique Sylvie, qui se souvient de les voir débarquer le week-end et pendant les vacances pour prendre le grand air. "On allait à la plage et à la messe le dimanche, c'était des gens bien", raconte la quinquagénaire, qui jouait alors avec les quatre enfants, dont Hubert, le plus petit de la bande.
A la retraite du paternel Caouissin, la résidence devient permanente. Attachés à Plouguerneau, deux des enfants y prennent également leurs quartiers. Hubert Caouissin achète le pavillon de Croas al Lan, tout près de chez ses parents, dans les années 1980. Il entre à l'arsenal en 1987, comme ouvrier puis technicien chez DCNS, un groupe industriel spécialisé dans l'industrie navale militaire. "Nous, nous sommes un peu une famille de l’arsenal de Brest", témoigne sa mère septuagénaire dans Le Parisien. Difficile d'en savoir plus sur le parcours du petit dernier de la famille. Les quelques archives dénichées sur internet attestent qu'il a été médaillé en 1998 pour avoir donné son sang dans le canton. En 2004 et 2005, il participe à des courses organisées par une association locale, signe d'une certaine vie sociale. Puis plus rien. Une rupture "numérique", à l'époque où il rencontre Lydie Troadec, via un site de rencontres. C'était en 2006.
"On ne les voyait plus"
La jeune femme vient s'installer dans le pavillon et un petit garçon naît rapidement de cette union. Les voisins décrivent un couple plutôt avenant. On se parle depuis les jardins, on se dit "bonjour, bonsoir", on échange des astuces bricolage. Pourtant, dès "les années 2006-2007", selon le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennes, un conflit familial vient assombrir le tableau. Une affaire de pièces d'or mal partagées lors de la succession du père de Lydie Troadec. Qualifiée de "légende" par la mère d'Hubert Caouissin, cette histoire est en réalité avérée, selon la mère du frère et de la sœur, qui se confie dans Le Parisien. Selon elle, cet or, découvert par son mari lors de travaux dans un immeuble à Brest, a été subtilisé par Pascal Troadec à la mort de ce dernier. Cet héritage "spolié" est venu empoisonner peu à peu les relations entre les deux couples et scelle l'origine du drame.
C’était devenu une obsession pour Hubert Caouissin.
Le procureur de Nantes, Pierre Sennèslors d'une conférence de presse
Les dîners de famille sont orageux et de nombreuses disputes éclatent. A Plouguernau, les voisins notent un changement de comportement du couple aux environs de 2010, date à laquelle Lydie tombe malade. Un cancer du sein à un stade avancé, qui la laissera handicapée d'un bras. Invalide, cette secrétaire médicale doit rester à la maison et se renferme, tout comme son compagnon. "On ne les voyait plus et ils ne participaient plus aux fêtes de quartier", se remémore Jean-Claude, un adjoint au maire dont la maison jouxte celle du couple. A entendre le voisinage, Hubert Caouissin se montre de plus en plus hostile. "Il faisait faire ses besoins à son chien devant mon portail et restait là planté comme un i", ajoute Jean-Claude. "Son chien aboyait toute la journée alors on s'était permis une remarque. Il l'a peut-être mal pris", suggère Michel, qui décrit un homme de moins en moins commode.
Autour de 2013, Hubert Caouissin sombre dans la dépression, selon ses proches et son entreprise, qui confirme à franceinfo un arrêt de travail pendant trois ans. Lui et sa compagne disparaissent de Plouguerneau, sans mot dire, à bas bruit. Les habitants l'ont vu réapparaître sporadiquement voici un mois et demi environ. Un retour qui semble coïncider avec sa reprise en mi-temps thérapeutique à la DCNS de Brest. "Il avait remis le pied à l'étrier", indique sa mère dans Le Parisien. Selon Jean-Claude, c'est elle qui se déplaçait pour venir le voir. "Il garait sa voiture dans le garage, ce qu'il ne faisait jamais avant, et s'enfermait dans la maison", se souvient l'adjoint au maire.
Des fragments de corps humains et des bijoux
Le couple a été vu sur les lieux le jeudi 2 mars, quinze jours après le quadruple meurtre à Orvault. Entendu dans les premiers temps de l'enquête, Hubert Caouissin n'avait pas caché le différend familial qui l'opposait aux Troadec mais avait assuré ne pas les avoir fréquentés depuis longtemps. Son ADN, découvert dans le pavillon et dans la voiture de Sébastien Troadec, a eu raison de son mensonge. Le beau-frère a alors déroulé le scénario de cette terrible nuit du 16 au 17 février. Le stéthoscope pour écouter aux portes, l'intrusion dans la maison pour dérober une clé (du butin ?), le réveil de Pascal et Brigitte, descendus avec un pied-de-biche, l'affrontement et l'homicide des quatre membres de la famille. Quelques jours après, Hubert Caouissin s'est présenté à son travail avec "une partie du visage boursouflée, et une partie de l'un des sourcils brûlée", selon certains de ses collègues interrogés par franceinfo.
L'enquête devra démontrer la préméditation ou non du crime. Elle devra aussi s'attacher à comprendre comment Hubert Caouissin a basculé dans l'horreur, avec la participation active de sa compagne pour faire disparaître les corps et les indices. Des expertises psychologiques et psychiatriques vont être réalisées. Selon une source policière, le quadragénaire avait arrêté son traitement médicamenteux depuis quelque temps. Mis en examen pour "assassinats" et "atteinte à l'intégrité d'un cadavre", Hubert Caouissin risque la perpétuité. Il est retourné, mercredi 8 mars, à la ferme de Pont-de-Buis, sous bonne escorte. C'est bien dans cette propriété, où le couple s'était fait oublier, que les enquêteurs ont exhumé des fragments de corps humains et des bijoux appartenant aux victimes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.