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Paris suspects dans le handball : les éléments qui sont entre les mains de la justice (et ceux qu'il lui manque)

Le parquet de Montpellier a requis, vendredi, le renvoi devant un tribunal de Nikola Karabatic et de 16 autres personnes pour des faits "d'escroquerie" ou de "complicité d'escroquerie"

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Nikola Karabatic lors de la finale de la Coupe du monde de handball, le 1er février 2015 à Doha (Qatar). (  MAXPPP)

Plus de deux ans après le début de l'affaire, les handballeurs français soupçonnés de paris truqués vont-ils passer devant un juge ? Le parquet de Montpellier (Hérault) a requis, vendredi 6 février, le renvoi devant un tribunal de Nikola Karabatic et de 16 autres personnes pour des faits "d'escroquerie" ou de "complicité d'escroquerie".

Les faits remontent au 12 mai 2012, lorsque l'équipe de handball de Montpellier s'incline devant celle de Cesson-Sévigné, alors 9e du championnat de France. Plusieurs joueurs de Montpellier sont accusés d'avoir misé avec des proches quelque 80 000 euros sur un retard de leur équipe à la mi-temps et, plus grave, d'avoir "levé le pied" au cours de la première période pour assurer leurs gains. 

Les deux frères Karabatic, blessés à l'époque, n'avaient pas pris part au match en question, mais sont tout de même accusés, via leurs compagnes, d'avoir pris part aux paris. La plupart des joueurs mis en cause, dont Luka Karabatic, ont admis avoir parié, mais ils ont toujours réfuté avoir truqué la rencontre. Nikola Karabatic, lui, s'est démarqué et affirme n'avoir pas participé aux paris. Francetv info revient sur les principaux éléments de cette longue enquête.

Ce dont dispose le juge

Le rapport des enquêteurs. Son contenu a été en grande partie dévoilé dans L'Equipe, le 5 décembre 2013. Les policiers concluent que les joueurs ont bien décidé de laisser filer la première période du match. Car c'est sur le score à la pause qu'ils ont parié. Pour dissimuler la triche, les Montpelliérains entendent quand même remporter la rencontre. Manque de pot, ils s'inclinent (31-28). Le procureur parlait, déjà en septembre 2012, d'un "pacte de corruption", entre les joueurs et leurs proches (intermédiaires, compagnes). Les enquêteurs affirment avoir la preuve que les joueurs ont constitué une caisse noire pour se partager l'argent, une petite partie servant à organiser un voyage à Ibiza (Espagne) après la saison.

Les aveux de certains joueurs. Plusieurs handballeurs ont reconnu avoir parié. Le gardien Primoz Prost a avoué sa faute et a démissionné du club de Montpellier, sans percevoir d'indemnité. Luka Karabatic, le frère de Nikola, a également admis avoir misé de fortes sommes avec sa compagne, l'animatrice de télévision Jeny Priez. 

Les conversations téléphoniques entre les protagonistes. Les enquêteurs notent deux moments d'intense activité. La veille du match, le téléphone de plusieurs d'entre eux est repéré près de bureaux de tabac. De nombreux joueurs s'envoient des SMS et s'appellent. C'est ce jour-là que Nikola Karabatic télécharge l'application de la Française des Jeux sur son iPad. Peut-être pour consulter la cote du pari si Cesson mène à la pause. Deuxième moment d'intense activité téléphonique : après les spectaculaires interpellations à la fin du match contre le PSG Handball, le 30 septembre 2012. Paniquée, Jeny Priez appelle Luka Karabatic, qui lui conseille "de ne pas mentir aux policiers". A ce moment-là, les enquêteurs mettent tout le monde sur écoute. Ils entendent l'animatrice télé expliquer à sa mère que les femmes des joueurs ont parié pour "niquer le système", et qu'il n'y avait "pas mort d'homme", rapporte Libération.

Un rapport d'expertise sur le match Cesson-Montpellier. Pour la justice, l'enjeu est de savoir si les Montpelliérains ont sciemment lâché le match. En effet, si parier entraîne une sanction sportive, parier et perdre la rencontre volontairement relève du domaine pénal. Plusieurs experts sont mandatés pour analyser les images du match, mais l'exercice s'avère périlleux.

Premier élément : les joueurs de Montpellier étaient déjà assurés du titre de champion, facteur de relâchement. Le président de Cesson juge d'ailleurs dans Ouest-France que la partie a été disputée. "Ce n'était pas une équipe de baltringues. Il ne faut pas dévaloriser notre victoire".

Une première expertise, qui concluait bien à une "carence" anormale des joueurs, est annulée à la fin 2013, l'indépendance de l'expert mandaté étant remise en cause. Une deuxième, menée par un arbitre et un expert de l'analyse vidéo, donne néanmoins un avis similaire, quoique plus nuancé : "Nombre d’indices, données statistiques ou comportementales apparaissent pour le moins originaux, curieux, atypiques et, à ce titre, nous interpellent", notent les experts dans le document, que s'est procuré L'Equipe. Reste que, comme le relaie à l'époque Le Point, les éléments soulevés sont loin d'être irréfutables.

Ce qu'il n'a pas

Les aveux de Nikola Karabatic. L'icône du handball français a déclaré aux juges, puis à la presse, n'avoir ni parié, ni triché. Il n'a pas disputé la rencontre contre Cesson, comme beaucoup de titulaires de l'équipe. Seuls trois joueurs sur les sept mis en cause étaient sur le terrain contre Cesson. Nikola Karabatic affirme que sa compagne, la gymnaste Géraldine Pillet, a agi seule. Cette dernière a quand même misé quatre fois son salaire sur le score de la première période. "Sept joueurs cadres étaient blessés. Je connais bien le handball", justifie-t-elle aux enquêteurs.

Des preuves inattaquables. Un des points-clés du rapport des enquêteurs pour impliquer Nikola Karabatic est le signal laissé par son téléphone portable, le 12 mai, matin de la rencontre, dans un bar-tabac où 1 500 euros étaient pariés sur le score à la mi-temps. Il affirme avoir prêté l'appareil à sa compagne, Géraldine Pillet. Sauf que quelques minutes plus tôt, son téléphone et celui du handballeur ne "bornaient" pas au même endroit. La défense de Karabatic a eu beau jeu d'attaquer la fiabilité du traçage effectué par les antennes relais : "Nous avons démontré l'absence totale de fiabilité des bornes téléphoniques en milieu urbain. Le même téléphone au même endroit peut déclencher jusqu'à 22 cellules différentes", rétorque l'avocat du joueur, Jean-Robert Phung.

L'enquête n'a pas permis d'obtenir beaucoup plus que les "très fortes suspicions", évoquées le procureur de Montpellier en octobre 2012. Lors de la levée de la suspension sportive de plusieurs joueurs, dont Nikola Karabatic, la Fédération française de handball avait écrit qu'"un doute subsiste quant à la matérialité des fautes reprochées aux intéressés." 

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