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Colère et compassion : le procès des prothèses PIP vu par une victime

Alors que le fondateur de PIP, Jean-Claude Mas, a été condamné à quatre ans de prison ferme mardi matin, Annie Mesnil, une des victimes, raconte pour francetv info les moments du procès qui l'ont marquée.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le fondateur de PIP, Jean-Claude Mas, le 18 avril 2013 devant le tribunal correctionnel de Marseille (Bouches-du-Rhône). (FRANCK PENNANT / AFP)

Le tribunal correctionnel de Marseille (Bouches-du-Rhône) a condamné, mardi 10 décembre, Jean-Claude Mas, le fondateur de Poly Implant Prothèse (PIP), société au cœur d'un scandale mondial d'implants mammaires défectueux, à 4 ans de prison ferme. Il était poursuivi pour "tromperie aggravée" et "escroquerie". Cette peine est assortie de 75 000 euros d'amende et d'une interdiction d'exercer dans une entreprise commerciale. Son avocat, se disant "déçu mais pas surpris", a annoncé son intention de faire appel.

Contre les quatre autres prévenus, d'anciens cadres ou dirigeants de l'entreprise, jugés au printemps comme Mas, ont été prononcées des peines de prison allant de trois ans, dont deux avec sursis, à 18 mois avec sursis.

Le procès s'est tenu du 17 avril au 17 mai. Environ 350 victimes y avaient assisté, pendant une journée ou plus. Parmi elles, Annie Mesnil. Atteinte d'un cancer du sein à 50 ans, on lui pose une prothèse de la marque PIP après une mastectomie au sein droit. Pendant neuf ans, elle n'a aucun problème. Puis le scandale éclate. En 2012, on lui retire sa prothèse. Elle était transparente, elle a jauni et s'est rompue. "Cinq semaines face à la justice ont amplifié ma colère. Mais depuis, je sais contre qui la retourner", explique cette habitante de Besançon (Doubs), aujourd'hui âgée de 64 ans. Pour francetv info, elle revient sur les épisodes du procès qui l'ont marquée.

1Jean-Claude Mas, "désinvolte, arrogant et odieux"

"Le premier jour, je découvre Jean-Claude Mas et les quatre autres accusés. Ils sont loin de moi, et de dos. Je suis placée au fond de la salle avec les autres victimes. Les voir en vrai est un choc", raconte Annie Mesnil. "Jean-Claude Mas n'est pas rasé, vêtu d'un jogging sale, il a l'air miséreux. Comme si la victime, c'était lui", précise-t-elle. "Au fil des auditions, je m'aperçois qu'il n'a aucune compétence professionnelle pour fabriquer du gel pour les prothèses. Ça me fait peur", poursuit-elle. "Tout au long du procès, il a eu une attitude désinvolte, arrogante et odieuse."

Pourtant, pendant ces cinq semaines, le discours du fondateur de PIP a évolué. D'abord sans compassion pour les victimes – il les qualifie de "fragiles" lors de sa première audition  il présente des excuses cinq jours plus tard et devant quelques journalistes, dont ceux de Var-Matin. Il les renouvelle du bout des lèvres quelques heures plus tard, devant la présidente du tribunal. Le 26 avril, cette fois sans ironie et d'une voix posée, il va plus loin. "Je demande pardon aux patientes pour la tromperie faite par PIP et j'espère que la conclusion des débats sera de nature à les conforter", dit-il, lorsque le tribunal lui laisse la parole, à la fin de l'examen du dossier sur le fond.

C'est aussi à Jean-Claude Mas que revient le dernier mot du procès. "Je regrette la façon dont s'est terminé PIP. Jusqu'en avril 2010, la société PIP et moi-même n'avions pas la conscience de ce qu'était une victime. (...) J'espère un petit peu soulager [leur] douleur", déclare-t-il. Mais il ne peut s'empêcher d'ajouter : "Les victimes ont cette anxiété, c'est une maladie sournoise." Et comme son avocat, Jean-Claude Mas nie une nouvelle fois la dangerosité de ses produits. "A ce moment-là, je suis révoltée. Si j'avais pu, je lui aurais sauté à la gorge ! C'est son avocat qui l'a obligé à s'excuser. Jusqu'au bout, il s'est moqué de nous", s'indigne Annie Mesnil.

2L'ex-directrice qualité de PIP, "émouvante"

En revanche, Annie Mesnil est plus clémente avec Hannelore Font, une des prévenues. L'ancienne directrice qualité de PIP est entendue pour la première fois le 19 avril. Rapidement, elle fond en larmes, et s'excuse. "Elle a aussi dit : 'J'aurais voulu faire plus, être à la hauteur.' Elle s'est rendue compte de ce qu'elle avait fait. C'est un moment important. C'est la seule qui a regretté ses actes. Ses propos et ses larmes m'ont émue", indique Annie Mesnil.

Mais toutes les victimes ne la jugent pas sincère. "Hannelore Font commence seulement à prendre la mesure de ses actes", juge à la suspension d'audience l'une d'elles, Joëlle Manighetti. Dans ce procès où la responsabilité de chacun était jugée, Hannelore Font était poursuivie comme complice. Finalement, le procureur avait requis une interdiction définitive d'exercer dans le secteur médical ou sanitaire et trois ans de prison, dont un avec sursis, pour elle. La peine la plus lourde avait été réclamée pour Jean-Claude Mas.

3L'Afssaps, qui constate la fraude "trop tard"

Jour après jour, le procès lève le voile sur l'organisation de la fraude chez PIP. Annie Mesnil, comme les autres victimes, découvre le mode de fabrication des implants et le rôle joué par tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire. Elle s'aperçoit aussi que la réglementation a ses "limites", ce qu'elle estime "plus dérangeant".

Ainsi, l'Agence de sécurité des produits de santé (ex-Afssaps, devenue ANSM) n'a effectué aucune inspection dans les usines de PIP entre 2001 et 2010. Or, deux inspecteurs de l'Afssaps, entendus comme témoins le 22 avril, indiquent avoir découvert les fûts de gel industriel non autorisé, utilisé pour remplir les prothèses, lors de leur visite en mars 2010. A la barre, ils racontent leur surprise. Ils obtiennent l'aveu de la fraude au deuxième jour de leur inspection. Les implants PIP sont retirés du marché dans la foulée. "Si la visite avait eu lieu plus tôt, on n'en serait pas arrivé là", constate, amère, Annie Mesnil. Mais elle ne peut que se résigner face à ce constat.

4Les autres victimes, "poignantes"

Entre émotion et indignation, quelques victimes prennent chacune à leur tour la parole, un peu plus d'une semaine après le début du procès. "Les situations évoquées sont terribles. C'est très poignant. Je ne peux retenir mes larmes, je pleure", se souvient Annie Mesnil.

L'une des victimes raconte : "Le 15 février 2005, on me pose des PIP, soi-disant la Rolls des prothèses. Je voulais juste redresser ma poitrine après avoir eu trois enfants. Un mois après, j'ai des ganglions de partout, une balle de golf dans le cou, sous les aisselles... Et le 21 juin, on me trouve un cancer du sein de grade 3. Je ne sais pas s'il y a un lien, mais qu'est-ce qu'on va devenir par la suite ? J'ai le visage déformé par les séquelles."

"Comme toutes ces victimes, je pense que je vais être déçue par le jugement. Mais il faut passer à la suite. J'espère davantage de l'instruction en cours pour blessures involontaires [au tribunal de grande instance de Marseille]. Le procès devrait avoir lieu dans cinq ans. Sans en faire une obsession, il ne faut rien lâcher", estime-t-elle. Difficile, pour elle, de passer à autre chose : Annie Mesnil est aujourd'hui secrétaire de la principale association de porteuses de prothèses PIP. "Je reste immergée dans le sujet", reconnaît-elle. Son histoire personnelle est aussi une piqûre de rappel. "Je pense encore avoir des bouts de silicone dans le corps", confie-t-elle. Elle a dû apprendre à vivre avec, comme avec cette affaire.

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