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A Sarre-Union, "la destruction des tombes a été méthodique. Ce n'est pas par hasard"

Les habitants de ce village de 3 500 habitants, dans le Bas-Rhin, sont unanimes pour condamner les profanations de centaines de tombes dans un cimetière juif. Et disent leur écœurement. Reportage.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des policiers réalisent des relevés dans le cimetière juif profané de Sarre-Union (Bas-Rhin), le 16 février 2015. (CITIZENSIDE / CLAUDE  TRUONG-NGOC / AFP)

"Ils disent qu'ils ne savaient pas que c'etait un cimetière juif. Mais juif ou catholique ou autre, ça ne se fait pas ! C'est un grave manque de respect." Devant le lycée Georges-Imbert de Sarre-Union (Bas-Rhin), les élèves sont unanimes pour condamner la profanation de 250 tombes, dimanche, dans le cimetière juif de la ville. "C'est honteux. J'espère qu'ils vont faire de la prison, ces jeunes-là", lance Brandon. Trois des cinq jeunes suspects sont scolarisés dans l'établissement, selon Le Parisien.

Mardi 17 février, alors que François Hollande participait à une cérémonie de recueillement dans le cimetière saccagé, environ 200 jeunes se sont rassemblés dans le village pour exprimer leur indignation. Cette localité de 3 500 habitants, à égale distance de Nancy et Strasbourg, est sous le choc.

"Il faut être du coin pour connaître le cimetière"

Les habitants sont d'autant plus étonnés que certains ignoraient l'existence de ce cimetière. "Je ne savais pas du tout, dit Christian, qui réside à Sarre-Union depuis douze ans. Je l'ai appris avec les informations", poursuit ce quadragénaire en survêtement venu assister au discours du président de la République. Une femme, qui vit dans le village depuis des décennies, raconte que sa fille de 25 ans lui a aussi fait part de son étonnement en entendant les nouvelles.

Le cimetière juif est isolé. Sur la rue du Maréchal Foch, l'axe le plus important de la bourgade, rien n'indique la présence d'un tel lieu. Pour s'y rendre, il faut emprunter une allée anonyme entre deux maisons. Ce n'est pas une rue. Environ 150 mètres plus loin, on trouve un petit pont qui enjambe une voie ferrée et débouche sur une grille.

Le pont qui mène au cimetière juif de Sarre-Union (Bas-Rhin), et la grille à moitié arrachée, le 16 février 2015. (OLIVER DIETZE / DPA / AFP)

Juste derrière, il y a le cimetière juif. "Il faut vraiment être du coin pour le connaître", commentent des élèves du lycée Geroges-Imbert, le seul de la ville. De fait, ce lieu de recueillement est encerclé par les rails d'un côté, et un ruisseau de l'autre. 

Des tombes profanées le long du ruisseau qui borde le cimetière juif de Sarre-Union (Bas-Rhin), le 17 février 2015. (VINCENT KESSLER / AFP)

"C'est vraiment rural ici"

Un tel événement dans ce coin que les guides touristiques surnomment "l'Alsace bossue" choque les habitants. "Calme" est un faible mot pour décrire ce village où les trottoirs sont déserts à la tombée du jour. "Il y a parfois des incivilités, reconnaît Jean-Paul, qui vit à cinq kilomètres de là. Mais c'est comme partout, rien de particulier", insiste-t-il. Et d'analyser : "L'équipe de foot de Sarre-Union, qui est en CFA, est cosmopolite, et il n'y a pas de problème. Il n'y a pas de souci entre les différentes communautés. Il ne faut pas lier cet événement au score du FN. S'il a fait 40% lors des municipales, c'est parce que la région est sinistrée."

Même son de cloche au lycée. "C'est vraiment rural ici, assure un enseignant. C'est un petit établissement tranquille. Et les jeunes ne sont pas méchants." Pourtant, ils sont cinq à avoir manifesté un acharnement étonnant à détruire les centaines de sépultures. "J'ai été étonnée, comme tout le monde", témoigne une élève de 1ère dans la même classe d'arts plastiques que l'un des suspects. Plusieurs de leurs camarades les décrivent d'ailleurs comme des jeunes "tranquilles", pas des perturbateurs. "Ils sont gentils, ils n'ont pas la tête à faire ça", enchérit un élève, qui était dans la classe d'un suspect il y a deux ans.

"Ce n'est pas hasard"

Selon le procureur de Saverne, Philippe Vannier, l'un des suspects placés en garde à vue "se défend de tout antisémitisme, et dit qu'ils se seraient rendu compte de ce que certaines des tombes étaient juives au moment de les saccager. Il semble qu'ils considéraient le cimetière comme étant abandonné".

Mais cette défense ne convainc pas la population. "On ne peut pas croire que c'est un cimetière abandonné, assure un habitant de Saint-Avold, dont certains membres de la famille reposent au cimetière juif de Sarre-Union. Il y a du monde qui passe, parfois pour des cérémonies. Et s'il y a effectivement des tombes anciennes, il y en a aussi de récentes", ajoute-t-il, atterré après avoir lu, lundi, la version de l'adolescent auditionné.

Un homme portant une kippa et vivant à Sarreguemines, à une vingtaine de kilomètres de Sarre-Union, s'est déplacé avec sa femme pour écouter la prise de parole de François Hollande. Il dit être là pour "dénoncer l'ambiance qui règne en France". Lorsqu'on lui demande d'expliciter cette "ambiance", il répond avec les lèvres tendues par l'énervement et l'émotion : "Une ambiance antisémite où un nouvel antisémitisme des banlieues s'ajoute au vieil antisémitisme des campagnes françaises." Pour lui, c'est certain : "Ce n'est pas la première fois que ce cimetière est attaqué. Là, la destruction des tombes a été méthodique. Ce n'est pas par hasard. "

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