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Attentats de Paris : comment les jihadistes fichés parviennent-ils à circuler librement en Europe ?

Abdelhamid Abaaoud, le commanditaire présumé des attaques du 13 novembre, a pu effectuer plusieurs allers-retours entre l'Europe et la Syrie ces dernières années.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Photo non datée d'Abdelhamid Abaaoud, le commanditaire présumé des attentats de Paris. (DABIQ / AFP)

"J'ai pu aller et venir malgré le fait que j'étais pourchassé par tous les services de renseignement." Cette phrase, prononcée par Abdelhamid Abaaoud dans un entretien avec le magazine du groupe Etat islamique, Daqib, souligne les failles des systèmes de renseignement européens. Le commanditaire présumé des attaques du 13 novembre a en effet multiplié les allers-retours entre la Syrie et la Belgique ces dernières années, alors qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international.

Comment un jihadiste fiché peut-il réussir à circuler librement entre la Syrie et l'Europe ? Francetv info revient sur les méthodes employées pour contourner les mesures antiterroristes.

Ils passent les frontières aux points les moins surveillés

Première faille dont profitent les jihadistes souhaitant revenir en Europe : les zones frontalières mal surveillées. "Pour quelqu'un d'organisé avec un peu de logistique, il y aura toujours moyen de rentrer dans [l'espace] Schengen, même si on ferme les frontières", estime ainsi un haut-fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, cité par Le Point.

Selon l'hebdomadaire, il suffit par exemple d'emprunter des "chemins de terre", à l'aide d'un GPS, pour éviter les contrôles à la frontière entre la Croatie et la Hongrie. Moyennant finances, il est aussi possible de trouver un passeur connaissant les zones maritimes peu surveillées entre la Turquie et la Grèce.

Certains aéroports peuvent également être considérés comme des points faibles. "L’Etat islamique sait pertinemment que certains aéroports sont bien moins équipés que d’autres et conseille à ses combattants de passer par des pays comme la Grèce, la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie ou l’Estonie", explique un ancien haut responsable de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) à Libération.

Ils transitent par plusieurs pays pour brouiller les pistes

Les jihadistes empruntent des trajets détournés pour quitter l'Europe, afin de ne pas éveiller les soupçons. "Ils partent d'un pays tiers, comme l'Espagne ou un Etat du Maghreb et multiplient les étapes pour rejoindre la Turquie puis la Syrie, explique le journaliste spécialiste du jihadisme David Thomson, contacté par francetv info. Ils ont recours à la même technique pour éviter d'être repérés au retour."

Mehdi Nemmouche, l'auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles qui avait fait quatre morts en 2014, avait traversé neuf pays lors d'un aller-retour en Syrie, selon Libération. Il avait quitté la France en 2012, passant par la Belgique, le Royaume-Uni, le Liban et la Turquie pour rejoindre les jihadistes de l'Etat islamique. Près d'un an et demi plus tard, le terroriste a regagné Istanbul avant d'entreprendre un long périple pour rejoindre Bruxelles. Sur le trajet, il a fait escale en Malaisie, à Singapour, en Thaïlande et enfin en Allemagne

Ils empruntent la route des migrants

Deux des terroristes ayant pris part aux attentats de Paris sont "revenus de Syrie en se faisant passer pour des migrants", selon le ministère de l'Intérieur. Un faux passeport syrien, au nom d'Ahmad Al-Mohammad, a été retrouvé près du corps de l'un des kamikazes du Stade de France. Il avait été enregistré en Grèce puis à chaque étape de la route des Balkans, selon Le Monde.

Le troisième kamikaze du Stade de France avait lui aussi été contrôlé le 3 octobre dernier sur l'île grecque de Leros, a annoncé le parquet de Paris le 20 novembre. L'homme, dont le faux passeport syrien porte le nom de Mohammad al-Mahmod, aurait pris un ferry pour le port du Pirée, à Athènes, avant de se rendre en Serbie, selon Le Figaro.

Les jihadistes qui emploient cette méthode prennent le risque que leurs empreintes intègrent le fichier Eurodac, à l'entrée de l'espace Schengen. De nombreux migrants échappent toutefois à l'enregistrement de leur identité, selon Le Figaro. Utilisé par les différentes agences de protection des réfugiés, Eurodac n'est pas connecté aux autres fichiers de renseignement comme celui d'Europol. Conséquence : les forces de l'ordre n'y ont que rarement accès.

Ils utilisent de faux papiers ou une fausse identité

Deux des kamikazes ayant pris part aux attaques du 13 novembre ont utilisé de faux papiers. "Il s'agit vraisemblablement de passeports récupérés sur les cadavres de soldats de l'armée syrienne, dont les photos ont été changées", précise David Thomson à francetv info.

L'Etat islamique dispose des ressources suffisantes pour fournir à ses jihadistes des pièces d'identité contrefaites de qualité, achetées sur le marché noir. Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats, disposait ainsi de moyens logistiques "impressionnants" dans ce domaine, selon France Info

Le groupe terroriste a en outre mis la main sur de nombreux passeports vierges lorsqu'il a pris le contrôle de villes stratégiques d'Irak et de Syrie, qu'il peut remplir avec de fausses identités, rapporte le Huffington Post"Avec de vrais papiers, vous aurez beau vous faire contrôler cent fois, ça ne changera rien, vous circulerez sans difficulté, affirme un haut-fonctionnaire du ministère de l'Intérieur au Point. Il n'y a aucune parade, et c'est bien ça le problème. Une fois qu'on est entré à l'intérieur de Schengen, il n'y a plus de contrôles."

Ils ont recours à la substitution d'identité

Autre méthode employée par les jihadistes pour contourner les contrôles : le "look-alike". "Il suffit de substituer au passeport de quelqu'un de recherché celui de quelqu'un qui ne l'est pas et qui lui ressemble, explique le criminologue Christophe Naudin, cité par le Huffington Post. Il va passer les contrôles sans problème."

Le groupe Etat islamique confisque les passeports de ses nouvelles recrues à leur arrivée en Syrie ou en Irak. D'autres jihadistes peuvent ensuite les utiliser pour retourner en Europe. "On ne touche pas à la photo, c'est le nouveau porteur du passeport qui va tout faire pour y ressembler le plus possible, poursuit Christophe Naudin. Il va se faire pousser la barbe, la tailler de la même façon. Et, plus de 99 fois sur 100, ça va marcher. C'est imparable, pas besoin de trafiquer le passeport."

Ils misent sur les failles des systèmes de renseignement

Les failles des systèmes de renseignement européens permettent à certains jihadistes, même fichés, de passer entre les mailles du filet. La présence d'Abdelhamid Abaaoud en Grèce n'a été signalée à la France que le 16 novembre, par un pays extérieur à l'Union européenne. Aucun des Etats membres par lesquels le jihadiste a pu transiter n'a informé Paris de son arrivée, selon le ministère de l'Intérieur.

En cause, l'absence de collaboration européenne en matière de lutte antiterroriste. "Il n'y a pas de connexions entre les différents systèmes de fichages européens, rappelle un spécialiste des renseignements, cité par Le Figaro. Seuls les pays demandeurs sont informés. Cela signifie qu'il n'y a pas de traque en temps réel des individus fichés en Europe." Un système de "profilage", permettant d'identifier les personnes potentiellement dangereuses, a pourtant été mis en place après les attentats de janvier, note Libération. "Nous avons créé un espace juridique commun mais nous n’échangeons pas nos fiches de renseignement, déplore un ancien haut responsable de la DGSE, dans les colonnes du quotidien. Il n’y a même pas d’obligation de verser des informations au Système d’information Schengen."

D'une manière générale, les Etats membres privilégient la coopération bilatérale à la collaboration européenne. Les pays, qui considèrent le renseignement comme un domaine régalien, n'échangent toutefois que les données qu'ils jugent pertinentes. La Belgique a ainsi omis de transmettre à la France les informations qu'elle possédait sur les frères Abdeslam, mis en cause dans les attaques de bars et de restaurants lors des attentats de Paris. Les deux jihadistes avaient pourtant été identifiés comme radicalisés et inscrits au fichier belge des "combattants étrangers", rappelle Libération.

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