Pourquoi le blocage du site islamic-news.info fait débat
Le site est l'un des premiers à faire les frais du nouveau dispositif de blocage administratif. Opaque et contesté, ce procédé ne semble pas non plus complètement efficace.
Une main rouge, un message en lettres majuscules du ministère de l'Intérieur... C'est la nouvelle page d'accueil du site islamic-news.info, l'un des premiers à faire l'objet, depuis dimanche 15 mars, d'un blocage administratif pour apologie du terrorisme.
"Vous avez été redirigé vers ce site officiel car votre ordinateur allait se connecter à une page dont le contenu provoque à des actes [sic] de terrorisme ou fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme", spécifie le message du ministère.
Il s'agirait là "du premier blocage administratif d'un site favorable au jihad", selon le journaliste David Thomson. Retour sur une décision inédite.
Un blocage effectué sans décision de justice
Ce blocage est une première, mais cette disposition est entrée en vigueur depuis plus d'un mois. Prévue par la loi du 13 novembre 2014 qui renforce la lutte contre le terrorisme, elle autorise le blocage des sites qui font l'apologie du terrorisme, et ce sans recourir à un juge. Le ministère adresse d'abord une demande de retraits des contenus illicites. En l'absence de réponse, les fournisseurs d'accès doivent alors en bloquer l'accès.
Entrée en vigueur le 6 février dernier, cette mesure fait l'objet d'une vive discussion. Certains observateurs déplorent ainsi l'opacité de la procédure. "Encore une fois, c'est le potentiel anti-démocratique du blocage qui pose question, écrit le site spécialisé Numerama, la France ne faisant pas ici la démonstration d'un grand respect de la liberté d'expression et des droits de la défense".
Ce dispositif prévoit tout de même une voie de recours. Il faut adresser une demande à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication.
La nature du site encore discutée
Pourquoi ce site fait-il l'objet d'un blocage ? David Thomson indique qu'islamic-news.info défend l'action des jihadistes en Syrie et en Irak, mais sans se réclamer ouvertement des jihadistes de l'Etat islamique ou de Jabhat Al-Nosra. Le journaliste ajoute que le site est "assez peu influent".
Il s'agissait d'un site d'information défendant l'action des jihadistes en Syrie-Irak mais pas spécialement pro-EI ou pro-JAN.
— David Thomson (@_DavidThomson) 16 Mars 2015
"Observateur du djihad international, ce site d’information aura pour vocation de suivre les luttes que se livrent à travers le monde les combattants musulmans aux forces loyalistes [sic]", est-il mentionné dans le cache de la page "à propos". "Nous considérons qu’il est de notre droit de dénoncer la manipulation, même lorsqu’elle concerne des organisations classées comme 'terroristes' à l’image d’Al-Qaeda, de l’Etat islamique ou des Frères musulmans."
A l'inverse, le site de propagande enlève les guillemets quand il évoque les Kurdes de l'Unité de protection du peuple (YPG), engagés en Syrie contre certains groupes rebelles et l'Etat islamique. "Chers lecteurs, notre objectif d'associer le YPG avec le TERRORISME est en train de porter ses fruits", explique un message posté sur Facebook. "En continuant cet effort, le YPG sera définitivement associé au terrorisme sur tous les grands moteurs de recherche."
Pour le moment, les éditeurs d'islamic-news.info n'ont pas réagi au blocage du site. "Tout ce que nous pouvons vous dire pour le moment, c'est que nous ne nous laisserons pas intimider", expliquent-ils à nextinpact.com.
L'efficacité du blocage en question
"Le dispositif est facilement contournable", souligne par ailleurs nextinpact.com. Pour l'heure, les pages du site restent accessibles via le cache de Google – en quelque sorte la mémoire du navigateur – comme mentionné ci-dessus avec la page "à propos". Comme le fait remarquer le site spécialisé, le ministère n'a donc pas requis un déréférencement administratif, un autre dispositif pourtant prévu par la loi du 13 novembre.
Interrogé par le site, un expert rappelle par ailleurs qu'il est possible d'utiliser le réseau parallèle Tor, afin d'échapper au contrôle des fournisseurs d'accès à internet. Cependant, beaucoup de contenus du site ont été supprimés, sans que l'on sache par qui. Et comme l'a déjà remarqué David Thomson, le site y reste inaccessible, même dans ce cas de figure.
Le site censuré est inaccessible, même en utilisant "Tor"
— David Thomson (@_DavidThomson) 15 Mars 2015
Bref. Pour le moment, le site est bel et bien muselé par le gouvernement... sauf sur Facebook, où la page d'islamic-news est toujours accessible et bénéficie d'un coup de publicité inattendu.
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