Rythmes scolaires : la grande colère des profs contre les Villes
Manque de concertation, précipitation... Le retour à la semaine de 4,5 jours, censé faire consensus, a semé la zizanie entre les enseignants et les exécutifs national et locaux.
"Le meilleur, c'était Chevènement !" Françoise*, sexagénaire coquette, part à la retraite à la fin de l'année. La réforme des rythmes scolaires de Vincent Peillon, qui prévoit le retour à la semaine de 4,5 jours à la rentrée 2013 ou 2014, elle ne la vivra pas. Et cette enseignante parisienne, qui a vu passer plusieurs ministres de l'Education au cours de sa carrière, s'en félicite : "Ce décret, c'est n'im-por-te-quoi." La décision de la ville de Paris de l’appliquer "en force" à la rentrée prochaine est encore plus "incompréhensible", selon elle.
Paris, Rennes, Tours... Les grandes villes socialistes qui ont décidé de jouer les bons élèves en appliquant la réforme dès la rentrée 2013 vont-elles le payer chèrement dans les urnes ? Insatisfaits d'un emploi du temps élaboré "dans la précipitation" et "sans les consulter", certains enseignants, électorat plutôt acquis à la gauche, brandissent déjà cette menace pour les municipales de 2014. A Rennes, ville dirigée par le maire PS Daniel Delaveau, une telle rupture entre les écoles et la mairie "est une première", selon la directrice d'une école élémentaire publique.
"Des bouts de quarts d'heure par-ci, par-là"
Un quart des directeurs d'école a suivi une grève des inscriptions au printemps, et plusieurs établissements ont demandé des dérogations sur l'emploi du temps agencé par la Ville. Mais cette dernière leur a adressé une fin de non-recevoir. "Il n'y a pas de révolution dans ce qui a été proposé. Peu à peu, la raison va l'emporter", raisonne l'adjointe à l'Education, Gwenaëlle Hamon. "Ce n'est pas une révolution, non, c'est cela qui est triste", constate l'équipe enseignante de cette école élémentaire, qui a souhaité rester anonyme à la suite de "pressions exercées par l'inspection académique sur les directeurs d'école récalcitrants".
Bon nombre d'instituteurs rennais reprochent à la ville son choix. En déplaçant trois heures de cours le mercredi matin, trois quarts d'heure ont été libérés par jour. Mais la mairie les a scindés en trois fois un quart d'heure (le matin, le midi et le soir), un laps de temps trop court pour le mettre à profit, d'après des enseignants. Idem à Tours, avec la même hostilité à la clé. "La mairie nous a collés des horaires insupportables, avec des bouts de quarts d'heure par-ci, par-là. On fera moins d'heures mais sur une amplitude identique", lâche Isabelle dans les couloirs de l'école Rabelais.
Moins payés que leurs collègues du secondaire
C'est là que le bât blesse. Non seulement les professeurs des écoles jugent cette réforme insatisfaisante pour les élèves - elle est pensée sur la semaine et non sur l'année et n'allège pas les programmes -, mais ils y voient aussi une "énorme occasion ratée" d'améliorer leurs conditions de travail. Le fait de devoir revenir travailler le mercredi matin sans compensation, avec les frais de garde et de transports engendrés par ce changement d’emploi du temps, passe très mal. "Et pour ceux qui croient que nos semaines durent 24 heures, dites-leur que c'est plutôt le double", nous glisse l'un d'entre eux.
Un enseignant parisien s’est amusé à faire le calcul de ce que la réforme allait lui coûter, sur son blog. Résultat : 3 035 euros par an, estime-t-il. "Ça donne envie de lever le pied, franchement. Voire même de changer de métier", confirme Anne, dynamique enseignante rennaise. Elle pointe, avec amertume, les différences de salaire entre les professeurs des écoles et les collègues du secondaire. Relevé par l’OCDE, cet écart est toutefois en passe d’être réduit. Vincent Peillon a confirmé, mercredi 26 juin, qu’une prime annuelle de 400 euros serait accordée aux instituteurs. Suffisant ? Celle des professeurs de collège s'élève à 1 200 euros, rappellent les syndicats.
Une réforme menée en pleine crise
Les instituteurs s'estiment indirectement victimes de la crise. Non seulement le ministère de l'Education, pourtant premier budget de l'Etat, "n'a pas les moyens de les payer davantage", mais des villes comme Rennes ou Tours ont mené "des réformes a minima". D'autant que les aides promises par l'Etat pour les villes qui passent le cap dès 2013 tardent à arriver. "Une réforme à deux vitesses, inégalitaire et contraire à l'esprit de l'école de la République", résume-t-on à Rennes.Jean Germain, le maire de Tours, l'a implicitement reconnu. Interrogé dans La Nouvelle République sur une fin des cours à 15h30 ou 15h45 (au lieu de 16h15), il répond : "C'est ce que préconisait le ministère, mais cela nous aurait coûté beaucoup trop cher car il aurait fallu recruter entre 100 et 120 animateurs", pour les ateliers périscolaires.
A Paris, la question des moyens semble moins sensible : 1 400 animateurs sont en train d'être contractualisés et le modèle d'emploi du temps retenu correspond à celui que souhaitaient les enseignants de Rennes et Tours (les cours terminent à 15 heures le mardi et le vendredi). Il n'empêche. Le mouvement de contestation a été très fort en janvier, les enseignants prônant une mise en œuvre en 2014, qui aurait permis, selon eux, des les impliquer davantage et d'opérer une transition en douceur. "On a un nouvel employeur, Bertrand Delanoë !", raille une institutrice de l'école de la rue des Bauches, à Paris (16e). A Tours, même discours : "On pourrait faire une grosse économie en supprimant le ministère de l'Education et en confiant l'école à la Ville..."
Des instituteurs taxés de "corporatisme"
Malgré une colère persistante, le mouvement est retombé comme un soufflet. Un appel à la grève pour le premier mercredi de la rentrée est en discussion à Paris, mais il ne fait pas l'unanimité. A Rennes, les syndicats, "divisés" sur cette réforme, n'ont jamais su "fédérer le mouvement", selon les enseignants. "L'édito du Monde, ça nous a un peu cassé les ailes", admet l'institutrice de la rue des Bauches. Le quotidien a dénoncé, en janvier, le "corporatisme étriqué" et "lamentable" des enseignants parisiens, opposés à une réforme qui semblait faire consensus.
Lâchés par un journal classé centre-gauche, déçus par un ministre socialiste "prometteur", et fâchés avec un exécutif local sourd à leurs demandes, les instits, pourraient bien, en effet, tourner le dos à la majorité lors des prochaines échéances électorales.
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