"S'il y a le moindre souci, tu es tout seul" : livreur à vélo, un job à cheval entre liberté et précarité
Ce vendredi 13 mai, se tient aux prud'hommes une audience qui oppose trois anciens livreurs à vélo à l'entreprise de livraison en ligne Tok Tok Tok. Ils entendent dénoncer la précarité d'une profession pourtant très en vogue.
Dans le milieu des livreurs à vélo, Jérôme Pimot est sans doute l'un des plus anciens. "J’ai commencé au début de l'année 2014. A l’époque, il n’y avait que Tok Tok Tok et on était une vingtaine seulement à Paris", se souvient-il. Deux ans plus tard, le secteur de la livraison à vélo est devenu ultra-concurrentiel et les entreprises se multiplient, à l'instar de Take Eat Easy, Foodora ou encore UberEats, qui vient de se lancer.
Jérôme Pimot, lui, a mis le pied à terre après deux autres expériences chez Take Eat Easy et Deliveroo. "On est en plein dans l'ubérisation du travail", dénonce-t-il aujourd'hui. Le quadragénaire entame, vendredi 13 mai, aux côtés de deux autres livreurs, un bras de fer aux prud’hommes contre Tok Tok Tok, afin de faire reconnaître son statut de travailleur salarié et non d'indépendant.
"On ne cotise pas ou à peine"
Tok Tok Tok, c’est cette start-up fondée en 2012. Elle propose des services de livraison, via une application mobile, lancée en 2014. Et le trajet est assuré par un coursier... à vélo. Bref, Tok Tok Tok, c'est comme Uber, mais avec des deux-roues. Et comme pour les VTC, pour être recruté, il vaut mieux avoir son numéro Siret sur soi : la start-up n'accepte que les auto-entrepreneurs.
Pour Jérôme Pimot, on ne peut pas vivre de ce système : "On ne cotise pas ou à peine, et s’il y a le moindre souci, tu es tout seul." Lors d’une course, il s’est cassé le poignet. Impossible pour lui d’obtenir des indemnités, car un auto-entrepreneur ne bénéficie pas d’une couverture pour les accidents de travail, s'il n'a pas cotisé pendant un an. "Je comprends que ça fasse rêver les jeunes. Mais ils ne pensent pas à leur avenir", prévient-il.
"C'est mieux que caissier"
Le pied sur le trottoir, Kevin attend. Coursier depuis six mois, il travaille de trois à quatre soirs par semaine, en complément de son emploi dans un supermarché. Ce qui a convaincu le jeune homme de 20 ans ? L’attrait du bitume, assure-t-il. "T’imagines ? Etre payé pour faire du vélo !" Hors de question néanmoins de donner l’image tronquée d’une communauté de cyclistes passionnés. "Il y a vraiment plein de profils différents, je croise beaucoup de pères de famille de 40 ans, qui font ça pour nourrir leurs gosses", explique-t-il. Mais cela reste quand même "majoritairement des jeunes".
Place de la Nation, à Paris. Alex a mis le pied à terre. Il hésite. "C’est par où la rue des Boulets ? J’ai un doute..." Malgré la pluie, il finit par sortir d’une main son smartphone tout en tenant son guidon de l'autre. Casque sur la tête, K-Way assorti, le jeune homme de 22 ans travaille pour Deliveroo. "C'est mon premier jour, je ne suis pas encore un pro", reconnaît-il pour expliquer son moment d’errance dans les rues parisiennes. En créant son statut d'auto-entrepreneur, Alex n'a pas pensé à sa (faible) cotisation pour la retraite ou encore à l'absence d'allocation chômage. "Pour l'instant, ça ne me préoccupe pas, lâche-t-il. On verra ça plus tard." Un discours récurrent parmi les coursiers.
Alex recherchait d'abord un job étudiant. "Je ne suis pas un fan de vélo, je fais ça pour la rémunération", avoue-t-il. De réceptionniste dans un hôtel à caissier dans un supermarché, l’apprenti comédien a écumé les petits boulots. A 7,50 euros de l’heure, plus la course à 2 euros ("Et ça augmente avec l’ancienneté", précise-t-il), le salaire justifie de se remettre en selle : "Avec la prime de 15 euros pour la pluie, ça me fait environ 40 euros pour deux heures, c'est mieux que caissier au supermarché." Reste que pour être recruté, le grand brun a dû investir. Si les K-Way sont offerts, le vélo, lui, n'est pas fourni. Et son entretien est à la charge des cyclistes.
"Tu es complètement libre sur ton vélo"
Près de la place de la République, Florian patiente devant Le Petit Cambodge. La commande n’est pas encore prête. Le jeune homme a arrêté ses études. "Enfin, je repasse mon BTS en candidat libre", corrige-t-il. Et cela fait bientôt trois mois qu’il arpente les rues de Paris à vélo pour Take Eat Easy. Auparavant, il travaillait chez McDonald's. Plutôt que la rémunération, c’est la liberté offerte qu’il savoure. "Il n’y a personne derrière toi pour te reprendre, tu es complètement libre sur ton vélo, mais aussi de tes horaires", vante-t-il.
Pour déterminer ses créneaux, il suffit de s’inscrire sur un planning en ligne. "Et si tu ne veux pas travailler pendant deux semaines pour prendre des vacances, pas besoin de négocier avec un patron !", explique Florian. Même si ces congés ne sont pas payés, statut d'indépendant oblige. Le jeune homme raconte s'être déjà fait de belles frayeurs : "Il y a vraiment des gens qui savent pas conduire." Et de soupirer : "Les chauffeurs Uber, c'est les pires."
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