Vendu après avoir fait le tour des JT, un hameau corrézien devient "un lieu de vie communautaire"
Le hameau à vendre pour 370 000 euros avait été médiatisé cet hiver. Il a finalement été racheté par des Français organisés en collectif, qui veulent le transformer en un lieu de vie alternatif. Reportage.
L'histoire avait été relatée, en janvier, dans plusieurs journaux télévisés, notamment sur France 3 : Les Ages, un hameau de huit maisons, 4000 m2 habitables sur 4 hectares de terrain, situé sur la commune de Chartrier-Ferrière, aux confins de la Corrèze et de la Dordogne, était à vendre pour 370 000 euros depuis trois ans, sans avoir trouvé preneur.
A l'époque, la médiatisation de l'annonce fait rêver nombre de citadins en mal d'espace. Résultat : un maire qui croule sous les demandes de renseignement du monde entier – des Etats-Unis à la Thaïlande, en passant par la Suisse –, un afflux d'acheteurs potentiels en plein hiver corrézien et un agent immobilier débordé "qui n'a jamais vu ça".
Au final, après une concurrence féroce entre acheteurs, le hameau est vendu... à des Français, qui souhaitent en faire "un lieu de vie communautaire". Francetv info a décidé d'aller à leur rencontre.
"Trouver une sobriété heureuse"
Pour trouver le lieu-dit Les Ages, il faut emprunter une petite route sinueuse sur une vingtaine de kilomètres, au départ de Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Isolées en pleine campagne, huit maisons anciennes en belle pierre de taille composent le hameau. Ici, la tranquillité n'est troublée que par les deux avions qui traversent chaque jour le ciel, direction l'aéroport de Brive.
Ce petit coin de paradis, Marlène, 57 ans, l'a donc découvert pour la première fois à la fin janvier. "J'ai eu un coup de foudre, malgré les trombes d'eau et le vent glacial !" Quelques semaines plus tard, elle prend possession des lieux, avec un objectif bien en tête : transformer ce hameau du XIIIe siècle en lieu de vie alternatif.
Depuis plus de trente ans, Marlène rêve de fonder une communauté où chacun tenterait de vivre différemment. L’écologie et la logique du circuit court (entre le producteur et le consommateur) sont au cœur de son projet. "L’idée, c’est que la vie doit nous coûter bien moins cher. Il s’agit de revenir à l’essentiel pour trouver une sobriété heureuse", raconte Marlène, qui ne cache pas sa proximité avec l'essayiste et agriculteur Pierre Rabhi et ses idées sur la décroissance.
La quinquagénaire, qui se définit comme "conseillère de vie et thérapeute", a suivi plusieurs formations pour "apprendre à gérer les conflits". Elle a également voyagé pour découvrir des lieux communautaires, comme Auroville, en Inde ou Sieben Linden, en Allemagne. Des voyages qui lui donnent des idées et l'envie de créer elle-même, en France, un projet similaire.
Avec plusieurs proches, réunis en collectif, Marlène se met alors en quête du lieu idéal. Les visites infructueuses s'enchaînent. Jusqu'à ce qu'elle tombe, en janvier, sur le fameux reportage de France 3.
"Avec Bernard, mon ex-mari, on a chamboulé tous nos rendez-vous, et on était là dès le lendemain", raconte Marlène. Reste à convaincre l’agence immobilière, qui ne manque pas de candidats. Après quelques frayeurs, Marlène et ses proches obtiennent le lot. Il faut alors trouver le financement en urgence, et c’est Bernard, l’ex-mari, qui apporte la majorité des 370 000 euros nécessaires. Le 20 mars, ils deviennent ainsi officiellement propriétaires du hameau.
Tout plaquer pour un bout de Corrèze
Les membres du collectif décident alors de tout quitter pour s’installer sur cette terre promise, dans ces huit maisons de pierre au confort rudimentaire, où l'électricité et la plomberie manquent encore dans la majorité des chambres. "Je n'aurais jamais imaginé m’installer en Corrèze", sourit Marlène. Son fils, Yannick, a démissionné de sa menuiserie ardéchoise pour s’installer début juillet avec sa femme, Audrey, et leurs deux filles, Ambre et Maëva, 5 et 8 ans. Bernard, l'ex-mari, et Gérard, un ami, complètent le collectif.
Le projet peut désormais se mettre en place. La petite équipe a imaginé un lieu de vie communautaire pouvant accueillir 35 résidents permanents, avec une exigence intergénérationnelle (toutes les générations doivent être représentées). Chacun devra payer un loyer et participer aux frais de la communauté. Certains seront salariés de la structure, d'autres pourront continuer à travailler à l'extérieur du hameau. Tous les résidents posséderont leur propre maison écologique, "mais un certain nombre de repas devront être partagés par la communauté dans la semaine", prévient Marlène.
"Les résidents se doivent d'être totalement engagés"
"Les résidents se doivent d’être totalement engagés, avertit aussi Marlène, qui a déjà reçu deux demandes de personnes désirant s’installer. On se méfie, car on sait que ce genre de projet attire aussi des personnes qui glandent dans leur vie, et qui cherchent juste à être nourris et logés." Pour éviter les mauvaises surprises, Marlène propose aux candidats de commencer par passer une semaine dans la communauté : "Ils peuvent d’ailleurs venir en ce moment pour nous aider à réaliser des travaux. Il suffit de nous envoyer un e-mail ou de passer sur notre page Facebook".
Pour réaliser son rêve, la communauté a effectivement encore quelques coups de marteau devant elle. Grâce à un emprunt, le premier gros œuvre a été engagé, essentiellement au niveau de la plomberie. "Il a notamment fallu vider les 35 000 litres de la fosse septique !" La majorité des chambres ne possèdent pour l'instant qu'un matelas posé par terre. "Mais on progresse, la semaine dernière on a installé un lave-vaisselle et un lave-linge." Désormais, le projet avance à son rythme, en fonction des amis de passage. Par chance, une nouvelle ligne de bus – créée grâce à la loi Macron – relie Lyon à Brive pour 16 euros. "C’est un peu plus facile de venir", sourit Yannick.
Chaque jour, la petite communauté se fixe une tâche. Cet après-midi, Yannick, Audrey et leurs deux filles traitent le parquet en chêne qui vient d’être posé dans plusieurs chambres. Et après ? Une bibliothèque, un bar, un restaurant, une salle de théâtre… Les idées pour développer le site ne manquent pas.
"Hors de question que le hameau se prostitue"
Car en parallèle de la communauté, le lieu compte se tourner rapidement vers "le tourisme évolutif", selon les mots de Marlène. "Un tourisme où les gens se tournent vers les autres pour découvrir l’expérience du vivre ensemble." A terme, environ 90 couchages sont prévus. Des réservations ont déjà été enregistrées pour la fin de l'été. Le début d’un business lucratif ? "Non, il est hors de question que le hameau se prostitue par appât du gain", répond-elle. Pour cela, la communauté souhaite créer une Société coopérative d'intérêt collectif (Scic). "Ça permet d’éviter toute spéculation, si tu apportes 200 000 euros dans le projet, tu pourras les reprendre, mais tu ne gagneras pas d’argent avec."
Marlène assure avoir déjà refusé des demandes venant de personnes qui souhaitaient louer une pièce dans le hameau pour en faire un lieu de travail. "Ça ne rentre pas dans l’esprit de la communauté." Le gigantesque manège d'équitation attire également de nombreux propriétaires de chevaux de la région, mais Marlène a d’autres idées en tête : "J’aimerais transformer les box des chevaux pour en faire des ateliers créatifs, et le manège pourrait devenir une salle des fêtes, par exemple".
"Certains imaginaient qu'on était une secte"
Au village de Chartrier-Ferrière, un certain nombre d'habitants ont regardé d'un mauvais œil l'arrivée de ces nouveaux propriétaires. Certains ont même soupçonné ces "originaux" de vouloir fonder une secte. "Bernard a les cheveux longs, et les rumeurs vont vite..." soupire Marlène. "Dans ce genre de coin, quand on voit arriver des étrangers, on se méfie toujours un peu", reconnaît Guy Roques, le maire du village.
Pour rassurer les habitants, une réunion publique a même été organisée, sur proposition du maire. La rencontre a permis de répondre aux inquiétudes, assure Guy Roques, qui espère désormais que le projet de Marlène ne sera pas un échec. "Sur le principe, l'idée est bonne. Ensuite, je ne sais pas si ça marchera, mais je le souhaite, ne serait-ce que pour l'entretien du patrimoine."
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