Pourquoi la neutralité du net est-elle menacée aux Etats-Unis ?
Une ébauche de règlement américain prévoit que les fournisseurs d'accès à internet puissent faire payer les sites pour qu'ils bénéficient d'une connexion optimale. Francetv info vous explique pourquoi ce projet inquiète les défenseurs des libertés sur internet.
La neutralité du net, un sujet de geek ? Pour qu'un chef d'Etat d'un pays de 200 millions d'habitants s'en saisisse, pas vraiment... La présidente brésilienne, Dilma Rousseff, ambitionne de jeter les bases d'une nouvelle organisation mondiale du web. Ainsi, dans son discours d'ouverture du sommet Netmundial, qui s'est tenu les 23 et 24 avril à Sao Paulo, au Brésil, elle a érigé en principe la neutralité du net. Un principe mis à mal cette semaine par un projet de réglementation aux Etats-Unis. Francetv info vous explique pourquoi.
La neutralité, ça veut dire quoi ?
C'est un des principes fondateurs du web garantissant l'accès universel à internet. Chaque internaute doit pouvoir consulter librement tous les contenus présents sur la toile dans les mêmes conditions. La Quadrature du Net, une association qui milite pour la liberté sur internet, précise que "tous les utilisateurs, quelles que soient leurs ressources, doivent accéder au même réseau dans son entier, sans discrimination". En clair, chacun doit pouvoir regarder une vidéo sur "comment réussir mon foie gras" sur Dailymotion, aussi bien que visionner le dernier clip de Rihanna sur Vimeo, lire un article sur un site d'information, consulter ses mails ou poster des photos sur Facebook. Et dans tous les cas, il ne doit y avoir ni filtre, ni restriction de débit, quels que soient le site, son contenu et son origine.
Que prévoient les autorités américaines ?
Ce jeudi 24 avril, la Federal Communications Commission (FCC), l'instance américaine de contrôle des télécoms, présente un projet réglementaire qui pourrait remettre en cause la neutralité du net, en instaurant le principe de "traitement préférentiel", explique Le Monde.fr. Ainsi, les fournisseurs d'accès à internet (FAI) pourraient faire payer les sites pour qu'ils bénéficient d'une connexion optimale. Sont particulièrement visées les plateformes de vidéos, comme YouTube et Netflix, qui sont de grosses consommatrices de bande passante, explique ZDNet, c'est-à-dire qu'elles créent d'importants échanges de données et nécessitent un haut débit pour fonctionner. Un moyen clair pour les FAI de faire du profit, car, dans le même temps, il n'est pas prévu que les prix des abonnements des consommateurs américains baissent.
Quels problèmes cela pose-t-il ?
Pour les acteurs du net. Ces dernières années, les géants du web ont défendu la neutralité du net face aux FAI. En France, Google s'est ainsi opposé à Free qui souhaitait le faire payer pour un fonctionnement optimal de sa plateforme YouTube, rappelle Challenges. La Quadrature du Net craint qu'à terme, les FAI cessent d'investir dans les réseaux. Google, Netflix et autres n'auraient alors d'autre choix que de payer pour une amélioration des réseaux, sous peine de voir fuir les internautes. Or des sites moins importants, créés par des start-up par exemple, auraient du mal à assumer de telles dépenses. Il y aurait donc discrimination.
Les défenseurs des libertés sur internet sont très inquiets. "Les barrières à l'innovation vont progresser, le marché des idées sur internet sera restreint et, au final, ce sont les consommateurs qui en paieront le prix", estime Gabe Rottman, de l'organisation American Civil Liberties Union, cité par Le Monde.
Pour le consommateur. Le Parti pirate craint ainsi l'apparition d'"un internet à deux vitesses". "L'internaute est lésé, car il paie pour avoir de l'internet et le contrat n'est pas rempli", estime Jérôme Leignardier-Paradon, porte-parole du Parti pirate, contacté par francetv info. On pourrait alors voir naître des abonnements à tiroirs. Pour bénéficier d'un accès fluide aux vidéos, l'internaute pourrait avoir à payer un supplément, voire plusieurs, en fonction des sites qu'il visite.
Pour la liberté d'expression. Qui peut garantir que cette rupture de la neutralité du net ne serait opérée que pour des raisons économiques ? Il est légitime de se demander si l'accès à des sites ne pourrait pas être bridé pour des raisons politiques, menaçant ainsi la liberté d'expression.
En Europe, qu'en est-il de la neutralité du net ?
Le Parlement européen a adopté le 3 avril un texte garantissant la neutralité du net, rappelle Le Figaro. Les amendements ont été défendus par la socialiste française Catherine Trautmann et l'eurodéputée du Parti pirate Amelia Andersdotter. Ils spécifient que les FAI ne peuvent pas bloquer, ni ralentir les services internet d'autres entreprises ou services. Pour que ce texte devienne loi, il devra encore passer devant le Conseil de l'Union européenne les 5 et 6 juin prochains, puis être transposé dans chaque Etat membre. La France s'est montrée favorable à cette neutralité à travers la voix de la nouvelle secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Axelle Lemaire, souligne Le Journal du Geek.
Mais dans les faits, cette neutralité est déjà contournée. Quand SFR vante dans son offre pour la 4G un accès illimité à YouTube, l'opérateur rompt cette neutralité. Il est censé pourtant garantir un accès égal à tous les contenus quels que soient les plateformes et sites consultés. La Quadrature du Net propose aux internautes de signaler, sur le site internet Respect my net, les anomalies concernant leur FAI. De très nombreux internautes ont ainsi remarqué que Free ne serait pas en mesure de proposer un accès YouTube correct entre 18 heures et 22 heures, faute d'infrastructure suffisante pour gérer autant de connexions. Autre fait remarqué : des opérateurs qui bloqueraient l'accès à Skype, un logiciel gratuit d'appels via internet.
Reste que les FAI ne veulent pas se contenter d'être de simples intermédiaires et d'être réduits à des tuyaux. C'est pourtant ce que réclament les fervents défenseurs de la neutralité du net.
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