L'après-Chavez sera un "tournant pour le Venezuela et pour l'Amérique latine"
Alors que l'état de santé du chef d'Etat est "critique", Francetv info fait le point sur ce qui pourrait se passer après son départ.
C'était il y a presque un an. En février 2012, Hugo Chavez s'apprête à prendre un avion pour Cuba. Il doit y être hospitalisé et opéré pour la troisième fois en un an. Il admet alors qu'il n'est "pas immortel". Mais le président vénézuélien refuse de se désigner un successeur. Quelques mois plus tard, le 7 octobre, le chef d'Etat en exercice depuis 1999 est immortalisé drapeau à la main sur son balcon. Il vient d'être réélu pour un mandat de six ans.
Mais à nouveau, en décembre, il doit être opéré à Cuba pour un cancer. On parle ensuite d'une grave infection respiratoire. Dans un pays où la santé du très populaire président est un sujet presque tabou, le ministre de l'Information concède qu'il est dans un "état complexe" le 12 décembre. Le 1er janvier, son porte-parole dit qu'il est "conscient", mais des commentateurs en sont certains : l'état de santé de Chavez est "critique". A quoi ressemblera l'après-Chavez, dirigeant charismatique du Venezuela depuis 1999 ? Les explications de Janette Habel, enseignante à l'Institut des hautes études de l'Amérique latine.
Francetv info : Hugo Chavez doit en principe être investi le 10 janvier. S'il n'est pas présent, et c'est très probable, que se passera-t-il ?
Janette Habel : Il y a deux possibilités. Soit une invalidation temporaire [de sa présidence] parce qu'il n'est pas mort, soit une invalidation complète. Dans le premier cas, il faudrait que sa santé lui permette d'assurer son mandat. Mais le plus probable, c'est qu'il y aura une élection présidentielle dans les 30 jours.
Qui seraient alors les futurs candidats ?
Côté opposition, c'est assez simple. Ce sera Henrique Capriles. Il a été battu lors de la dernière élection présidentielle, mais il a été élu gouverneur de l'Etat de Miranda. Il est l'un des rares à avoir conservé son siège. Ce qui le rend incontestable.
Et dans le camp chaviste ?
Le scénario est plus compliqué. Chavez a proposé un successeur. Quand il est parti pour se faire opérer, il a accepté que Nicolas Maduro, ancien syndicaliste, ministre des Affaires étrangères et vice-président, lui succède. Donc logiquement, on peut penser que ce sera Maduro le candidat président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), le parti de Chavez.
Mais les choses peuvent être plus complexes. Certains chavistes pourraient préférer un militaire, ou encore le président de PDVSA, l'entreprise pétrolière d'Etat, Rafael Ramirez, ou bien Diosdado Cabello, président de l'Assemblée nationale.
Toutefois, je ne crois pas dans un premier temps qu'il y ait une multiplication de candidatures chavistes. Chavez a proposé que son successeur soit Maduro. L'élection présidentielle devrait se dérouler dans les 30 jours et l'émotion populaire aura toujours un impact important. Et puis Maduro est appuyé par Cuba, ce qui n'est pas négligeable vu les liens très forts entre les deux gouvernements.
L'opposition a-t-elle ses chances ?
L'opposition est très divisée, très hétérogène. Elle compte peu de dirigeants prestigieux. Mais soyons prudents. C'est un contexte très nouveau. Chavez est au pouvoir depuis quatorze ans, c'est un leader charismatique qui a beaucoup marqué notamment l'histoire de son pays, mais aussi de l'Amérique latine.
Justement, Hugo Chavez a beaucoup œuvré pour l'intégration latino-américaine face aux Etats-Unis. Sa mort pourrait-elle remettre en cause les équilibres régionaux ?
Il a toujours eu ce projet d'unité continentale dans la continuité de Simon Bolivar. En 2005, il a réussi avec Lula, président du Brésil, à faire échouer le projet de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) impulsé par les Etats-Unis, battant en brèche l'hégémonie nord-américaine sur le continent.
Je ne vois pas beaucoup de personnalités capables d'incarner ce qu'il a incarné, lui. C'est un hyperactif, audacieux, offensif. Même si son "héritier" s'inscrivait dans cette continuité politique, il n'aura probablement pas la même stature.
Son pétrole a beaucoup bénéficié aux pays voisins, comme Cuba, des îles des Caraïbes et le Nicaragua... Cela pourrait-il changer ?
Oui, Chavez a été généreux. Il a livré du pétrole à des tarifs préférentiels et sur de longues périodes. Certes, cette aide était facilitée par les énormes ressources pétrolières du pays. Ces aides, notamment à Cuba, suscitaient la mobilisation de l'opposition. Car l'économie vénézuélienne est très déséquilibrée : le pays importe l'écrasante majorité des produits alimentaires dont il a besoin pour nourrir la population.
On peut penser qu'à moyen terme, le pays s'appuie moins sur la manne pétrolière pour opérer une reconversion économique nécessaire mais difficile. Afin de rompre avec cette dépendance.
Qu'en est-il du positionnement diplomatique vis-à-vis de pays avec lesquels il a développé des relations étroites, comme l'Iran ou la Chine ?
Les relations avec l'Iran, dans le cadre de l'Opep, obéissent à des impératifs assez simples à comprendre : la fixation du prix du pétrole, la négociation sur la quantité de pétrole produit. Mais certaines positions de Chavez ont été critiquées. Il a commis des erreurs politiques, notamment dans ses rapports avec le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. On pourrait assister à une inflexion diplomatique.
La Chine est un cas très différent. Elle investit massivement dans toute l'Amérique latine. Le pétrole est très important pour la Chine, de même que toutes les matières premières. En retour, Pékin inonde le continent de produits manufacturés, provoquant ainsi une certaine désindustrialisation qui affecte la plupart des pays sud-américains.
Pour conclure, il y aura des changements, même si Maduro est élu. Dans un premier temps, il devrait maintenir la politique menée par Chavez, notamment l'aide envers Cuba. Mais une fois l'émotion passée, l'équipe au pouvoir pourrait être moins unie qu'auparavant, avec Chavez. Sa disparition sera de toute façon un tournant pour le Venezuela mais aussi pour toute l'Amérique latine, après plus d'une décennie qui a vu l'émergence de gouvernements nationaux progressistes.
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