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Le Bangladesh est-il la pire usine textile du monde ?

Le drame du Rana Plaza, qui a fait 1 127 morts, est le plus récent d'une longue série au Bangladesh. Mais les ONG enquêtent sur les autres ateliers du monde. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une travailleuse bangladaise dans une usine de vêtements située à Dacca, le 16 avril 2012. (MUNIR UZ ZAMAN / AFP)

Il représente 80% de ses exportations ! Pilier de l'économie du Bangladesh, le secteur du textile a permis de faire reculer la pauvreté dans le pays, en à peine vingt ans. Mais à quel prix ? Le 24 avril, 1 127 ouvriers sont morts dans l'effondrement d'un bâtiment abritant des ateliers de confection, près de la capitale, Dacca. Un drame historique, mais loin d'être isolé, qui a mis au jour les conditions de travail déplorables des quelque 3,5 millions de salariés du secteur.

Le constat de l'économiste Agnès Chevallier, membre du Centre d'études prospectives et d'informations internationales, est sévère. "La répression des organisations syndicales et la corruption rendent largement ineffectifs la législation sociale et les règlements de sécurité." Mais d'autres pays, plus discrets dans les médias, sont à peine plus cléments avec leurs salariés.

Incendies et normes de construction, cocktail mortel

Les incendies, la plaie du secteur. Ils sont légion et virent parfois au drame. Leurs causes sont multiples, à commencer par "des problèmes d'issues de secours ou d'installation électrique", explique Dorothée Kellou, de l'ONG Peuples Solidaires, membre du collectif Ethique sur étiquette. Le rapport Fatal Fashion (PDF), paru en mars, recense au total 245 incendies et 587 morts dans les usines textiles du pays, entre 2006 et janvier 2013. Pour combattre à ce fléau, un accord sur la sécurité incendie et bâtiments (en anglais), proposé par les fédérations syndicales IndustriALL et UNI, a été signé par plusieurs entreprises occidentales, mardi 14 mai. Mais certains géants manquent à l'appel, à commencer par les sociétés américaines Walmart et Gap.

Des normes non respectées. Au-delà des installations, les bâtiments eux-mêmes posent question, car le secteur textile, très dynamique, manque de place. "Dans le cas du Rana Plaza [qui s'est effondré fin avril], le bâtiment devait accueillir une banque et des magasins, relève Dorothée Kellou. Les générateurs installés pour le textile émettent des vibrations, sans compter les milliers d'ouvriers sur le site, ce qui explique l'apparition de fissures, observées la veille du drame." Dans cet ouvrage déjà affaibli, trois étages ont été ajoutés en toute illégalité, sur les six qu'il comptait au départ. En 2005, déjà, l'effondrement de l'usine bangladaise Spectrum a causé la mort de 64 personnes. Selon des ONG (PDF), un travailleur avait pourtant alerté ses supérieurs, après avoir découvert une fissure, cinq jours avant le drame. 

Pour les entreprises, la tentation de fuir le Bangladesh

Les plus bas salaires du monde mais... Depuis 2010, un salarié du textile gagne 30 euros par mois. "La Chine a elle-même délocalisé au Bangladesh, compte tenu des coûts. Aujourd'hui, on voit mal comment on pourrait encore délocaliser ailleurs, puisque le pays pratique les salaires les plus bas du monde dans le secteur", précise Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l'étiquetteAilleurs en Asie, d'autres pays évoluent peu à peu. Au Cambodge, le 1er mai, le salaire minimum dans l'habillement et la chaussure est passé de 61 à 75 dollars mensuels (de 47 à 58 euros), bien que les syndicats réclament une hausse à 150 dollars (116 euros). Il est de 62 euros mensuels au Sri Lanka"Et au Vietnam, on a décidé de miser plutôt sur des produits de qualité, ce qui peut aller de pair avec une augmentation des salaires", explique Nayla Ajaltouni. "Ce n'est pas le cas au Bangladesh."

... le drame va nuire à l'image du pays. Dans les faits, les entreprises occidentales pourraient tout de même délocaliser, quitte à payer (un peu) plus la main d'œuvre. "La logique des importateurs est assez cynique, mais cohérente, poursuit Dorothée Kellou. Si l'atteinte à la réputation de la marque est trop importante, ils vont aller dans un autre pays moins exposé médiatiquement." Après le drame du Rana Plaza, le groupe Walt Disney a déjà claqué la porte du Bangladesh, où il fabriquait 1% de ses produits, a rapporté le New York Times (en anglais). Même chose pour le Pakistan, où il sera là aussi défendu de fabriquer des produits sous licence. Là-bas, des drames ont également frappé l'opinion. A Karachi, en septembre 2012, 300 travailleurs sont morts, après un incendie dû à un court-circuit, dans l'usine AliLes escaliers et la plupart des issues étaient bloqués lors du sinistre.

Un secteur socialement sinistré dans toute la région

Ce sont des "réactions épidermiques. La panique s'est emparée des multinationales", résume Nayla Ajaltouni. Loin de prôner le boycott, elle invite les entreprises à rester sur place pour affronter leurs responsabilités et faire évoluer le droit du travail. Car les autres "ateliers du monde" ne sont pas irréprochables non plus. 

Heures sup' et sécurité. Deuxième exportateur mondial, le Bangladesh n'est pas le seul pays concerné par le manque de sécurité de ses ouvriers. L'Organisation internationale du travail a dénoncé (en anglais), le 28 avril, les conditions de travail de 30 000 travailleurs migrants en Jordanie, exposés aux incendies dans leurs dortoirs et leurs usines textile. En Chine, où 38% de l'habillement est produit, les heures supplémentaires constituent un fléau, malgré un salaire moyen plus élevé (100 à 200 euros mensuels), explique Dorothée Kellou. Pour joindre les deux bouts, les salariés sont en effet contraints de demander à travailler davantage, parfois 150 à 200 heures de plus, alors que le plafond légal est de 36 heures supplémentaires.

Le travail des enfants. Des adolescentes comptent parmi les victimes du drame du Rana Plaza, mais ce phénomène est loin d'être isolé. L'ONG India Committee of the Netherlands s'est penchée sur les Etats indiens du Tamil Nadu et de l'Uttar Pradesh. Dans son rapport 2012 (PDF en anglais), elle note que les enfants ne sont pas directement employés dans les usines d'export, mais dans des lieux de travail modestes, où les inspecteurs du travail ne passent pas.

Des effets d'aubaine. L'ONG dénonce également les fermetures sauvages d'usines, comme en Indonésie"Des patrons ferment leurs sites dès que les salariés prennent de l'ancienneté, avant que les syndicats n'aient pu se former. Et ils ouvrent une autre usine plus loin, recommençant à zéro." Ainsi, le propriétaire de l’usine indonésienne PT Kizone a pris la fuite en avril 2011, laissant sur le carreau 2 800 salariés, sans indemnités de licenciement. Les Philippines et le Sri Lanka offrent également des zones franches, où les industriels peuvent s'installer pour un temps. Une course aux économies, avec des paires de basket. 

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