Comment le FN va capitaliser sur l'affaire Cahuzac
Un proche de Marine Le Pen s'est invité dans l'affaire qui touche l'ancien ministre du Budget. Mais pas au point de gêner le Front national.
"Mon parti est le seul honnête, […] il n'est pas mis en cause de façon récurrente comme le sont l’UMP et le PS, qui pourtant se partagent le pouvoir depuis trente ans", martèle Marine Le Pen dès qu'un micro se tend, mercredi 3 avril en pleine affaire Cahuzac. Et la leader frontiste, en déplacement à Charleville-Mézières (Ardennes), une étape de son "tour de France des oubliés", d'énumérer "une liste mirobolante" : "DSK, Woerth, Sarkozy, Lagarde … ce n'est qu’un de plus, la goutte d’eau qui fait déborder le vase."
Dans le même temps, le détail des condamnations du FN et de ses membres circule sur internet, notamment sur un blog hébergé par Mediapart. Mercredi en fin de journée, Le Monde révèle que c'est un des amis et conseiller officieux de Marine Le Pen, Philippe Peninque, qui a ouvert le compte en Suisse de l'ancien ministre du Budget. Comment le Front national va-t-il réussir à capitaliser sur cette affaire ?
En comptant sur le "tous pourris"
"Ce qui reste de l'affaire Cahuzac, c'est davantage le mensonge que l'existence d'un compte à l'étranger", entame Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite interrogé par francetv info. "Cette affaire va rester attachée à Jérôme Cahuzac, à ceux qui l'ont soutenu et au gouvernement, qui va devoir faire fort pour limiter les dégâts", détaille le politologue, qui redoute aussi une forte hausse de l'absention.
"Dans ce type d'affaires, ce ne sont pas toutes les ramifications de l'histoire qui influencent l’opinion, cela alimente juste le 'tous pourris' au profit des partis non gouvernementaux", corrobore Joël Gombin, doctorant en sciences politiques à l'université de Picardie Jules-Verne et spécialiste du FN. D'ailleurs, si beaucoup de sympathisants venus voir la leader frontiste ce jour-là à Charleville-Mezières sont révoltés, quelques-uns, comme Brigitte, vingt-sept ans de manutention chez l'équipementier automobile Vistéon, n'ont "pas suivi c’t affaire".
Quant à l'implication d'un proche de Marine Le Pen, "quand on fait de la politique on n'est pas hors sol, et Marine Le Pen fait de la politique. Elle rencontre du monde et elle dîne en ville", note Jean-Yves Camus. "Depuis Facebook, tout le monde sait qu'on a un ami en commun avec quelqu'un, je crois que l'impact de cette information sur l'opinion publique est nulle", abonde Joël Gombin. A deux reprises lors de son déplacement dans les Ardennes, Marine Le Pen se gargarise : "Si on n'a que cela à me reprocher, ça prouve que je mérite d’être présidente de la République, j'en ai la moralité et l’éthique."
En jouant la carte de la victimisation
"Rien que le fait de venir exprimer cette soi-disant information est cousu de fil blanc : le système cherche à m'associer par un biais ou par un autre à cette affaire, ce qui est absolument délirant", rétorque Marine Le Pen sur RTL, moins d'une heure après la publication des informations du Monde sur le rôle de son conseiller. Et de le marteler dans la foulée, debout sur une chaise, en ouverture d’un pot militant : "Je veux leur dire, 'vous êtes en train d'essayer de me salir moi parce que je suis la seule à qui on n'a rien à reprocher'."
"Le Front a survécu à toutes les turpitudes concernant les question d'argent qui sont sorties à son sujet", rappelle Jean-Yves Camus. "Les révélations sur le Front national et Jean-Marie Le Pen n'ont jamais entamé son influence de leader populiste et poujadiste", confirme Joël Gambin. Pour le doctorant, "vouloir lui reprocher des faits aussi maigres peut même avoir un côté contre-productif, ça peut donner l'impression que le système lui cherche des poux". Les militants et sympathisants ne tardent d'ailleurs pas à s'engouffrer dans la théorie du complot. Pour eux, il s'agit d'une "tentative de déstabilisation car elle leur fait peur".
En continuant à parler du reste
"A chaque fois qu'une affaire de corruption éclate, on a l'impression que c'est la première, analyse Jean-Yves Camus. Mais depuis les années 1980, c'est un mouvement de fond : le FN a certes beaucoup capitalisé dessus, mais son essor n'est pas seulement dû à cela." Pour le politologue, le FN représente "la protestation globale contre ce qu'il appelle 'la bande des quatre', c'est-à-dire 'l’UMPS'", mais pas seulement.
"Les questions de sécurité, d'immigration, la situation économique perdurent, et ce sont aussi des thématiques traditionnelles du FN", précise-t-il. Venue distribuer des tracts "arrêtons le massacre, sauvons l'emploi" à la sortie de l'usine Vistéon, Marine Le Pen teste le micro, avant son duplex sur BFMTV, par avec ces mots : "Vous m'entendez, ici à Visteon, où les ouvriers délaissés regardent avec effarement ce qui se passe dans la classe politique." Sans manquer d'opposer "ceux à qui l'on demande de lourds sacrifices" à "la classe dirigeante", avec un hochement de tête compréhensif à chaque autographe signé.
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