"Les faits divers ont amené le public à s'intéresser à des questions taboues"
Le nombre de faits divers traités dans les journaux télévisés a explosé depuis dix ans. Une historienne des médias livre son analyse à francetv info.
Selon une étude (PDF) de l'Institut national de l'audiovisuel publiée lundi 17 juin, le nombre de faits divers traités dans les journaux télévisés a augmenté de près de 73% en dix ans. "Avec plus de cinq sujets en moyenne par jour, les faits divers occupent une place de plus en plus grande dans les JT (éditions du soir de TF1, F2, F3, Canal+, M6 et Arte) qui, en 2012, leur consacrent 2 062 sujets contre 1 191 en 2003", indique ainsi l'INA.
Chercheuse au laboratoire Communication et Politique du CNRS et auteure d'une thèse intitulée "Le fait divers à la télévision française (1950-2006)", Claire Sécail réagit à cette étude.
Francetv info : Tout d'abord, qu’est-ce qu’un fait divers ?
Claire Sécail : C’est une mise en récit des événements qui concernent des affaires du quotidien. C’est une rubrique accessible à tous qui fait partie de l’information grand public, mais qui se définit surtout par défaut. C’est tout ce qui ne fait pas partie de la rubrique politique, sociale, économique ou culturelle.
Avant les années 1970, l’information télévisée ne traitait pas de faits divers. Il s’agissait de ne pas mettre en valeur des figures immorales comme celles des criminels. De plus, les journalistes de télévision n’avaient pas la même culture du fait divers et se pliaient volontiers aux desiderata du ministère de l’Information, qui n'en souhaitait pas sur le petit écran.
Les années 1970 marquent une rupture dans le traitement des faits divers. La parole se libère dans la société et à la télévision. Il y a l’idée que le fait divers n'a pas pour unique objectif de divertir les masses, mais qu’il s’agit aussi d’un miroir social. A partir des années 1980, on assiste à un nouveau basculement. Le fait divers s’installe à la première place des journaux télévisés. La rubrique est légitimée.
Pourquoi la télévision s'est-elle emparée des faits divers ?
Les gens s’identifient, se sentent proches affectivement de l’événement. C’est finalement une rubrique très démocratique, qui parle du quotidien de chacun. Au début des années 2000, l’émission de France 2 “Faites entrer l’accusé” a anobli le genre. Les audiences étaient très bonnes. D’autres chaînes se sont lancées dans cette mise en récit, notamment sur la TNT, en mélangeant parfois les codes de la fiction et de l'information. Ces émissions fonctionnent parce que c’est aussi une manière de revisiter un patrimoine commun qui fait sens pour le public.
L’augmentation du traitement des faits divers à la télévision reflète-t-elle la réalité ?
Il n'y a pas de faits divers dans la vie réelle. Le fait divers, c’est la mise en récit. C'est une information qui intéresse les journalistes et qui va donc être médiatisée. On croit que les journalistes traduisent la réalité, mais ils la construisent. Depuis les années 1970, les statistiques de la criminalité sont publiées. Du coup, les journalistes cherchent dans les faits divers l’illustration de ces statistiques. Parfois, ces correspondances ne sont pas évidentes. Comme durant la campagne présidentielle de 2002. A la télévision, la médiatisation des faits divers avait explosé. Pourtant, il n’y avait eu qu’une relative augmentation des chiffres de la délinquance. Il est évident qu’il y a parfois un rapport disproportionné entre les faits et ce que perçoit le public à la télévision.
Est-ce que vous diriez, comme le sociologue Pierre Bourdieu, que "les faits divers sont une diversion" ?
Je ne partage pas ce point de vue. Au contraire, ils ont permis d’amener les téléspectateurs à s'intéresser à des questions qui, auparavant, restaient taboues. Les faits divers ont permis d’exposer dans l’espace public des problèmes de société. Ils ont un rôle démocratique indéniable. Dans les régimes autoritaires, où il n’y a pas de pluralisme de la presse, le fait divers n’existe pas. Derrière les faits divers, il y a un côté très subversif et politique. Parce que les drames humains obligent à s’interroger sur la société.
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