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Mali. Au nord, la guerre, au sud, la crise

Le pays, l'un des plus pauvres de la planète, n'est toujours pas sorti de la crise politique provoquée par le coup d'Etat de mars 2012.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président malien Dioncounda Traoré (à gauche) et le leader des putschistes Amadou Sanogo (à droite), le 12 avril 2012 à Bamako (Mali). (REUTERS)

Alors que les regards se tournent vers le nord du Mali et les derniers bastions des groupes islamistes armés, l'avenir du Mali se joue également au sud, dans la capitale, Bamako. Le président par intérim Dioncounda Traoré a annoncé mardi 29 janvier qu'il espérait convoquer des élections avant le 31 juillet 2013. Un calendrier qui ne va pas de soi puisque, comme l'a expliqué Sékou Koureissy Condé, directeur du cabinet African Crisis Group, au micro de RFI"le sud du Mali est aussi compliqué que le nord".

De fait, depuis le coup d'état du 22 mars 2012 et l'annulation de l'élection présidentielle prévue en avril suivant, le pouvoir malien est paralysé. Si la junte militaire a lâché du lest en acceptant l'intérim du président de l'Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, ce dernier, violemment agressé en mai, n'a pas réussi à organiser d'élection dans le délai prévu de 40 jours.

Conscient de son manque de légitimité et sous la pression de la communauté internationale, le président malien a donc annoncé mardi de futures élections pour fin juillet. Plus prudents, les députés maliens n'ont fixé aucune date dans la feuille de route pour la transition qu'ils ont adoptée le même jour à l'unanimité. Pour les spécialistes du Mali interrogés par francetv info, si cette élection permettra de sortir du flou institutionnel, elle ne résoudra pas la crise politique malienne. Voici pourquoi.

Un putschiste encombrant

Maître de Bamako depuis le coup d'Etat de mars, le capitaine Amadou Sanogo a longtemps tiré les ficelles en coulisses de la politique malienne, allant même jusqu'à débarquer le Premier ministre de transition, Cheick Modibo Diarra, en décembre. Le président Dioncounda Traoré était sur le point de subir le même sort début janvier, lorsque la France a décidé d'intervenir et d'envoyer ses soldats à Bamako.

S'il fait profil bas et ne sort guère de son quartier général de Kati depuis le 11 janvier, son poids politique et militaire demeure. "Il faudrait que la présence de la communauté internationale permette aux Maliens courageux de poser le problème de Kati et Sanogo", estime Sékou Koureissy Condé, toujours sur RFI.

Pour Alexis Roy, docteur en anthropologie au Centre d’études africaines de l’EHESS, la menace que représente le capitaine pour la transition s'est cependant éloignée. "Il est un peu hors course. Son réel pouvoir de nuisance était militaire. La présence française réduit ce pouvoir", analyse-t-il. "Même les Maliens qui avaient parié sur lui sont déçus", abonde Johanna Siméant, spécialiste des mouvements protestataires maliens à l'université Paris-I. Arrivé au pouvoir avec la promesse de la reconquête du Nord, l'officier a déçu ceux qui voyaient en lui le renouveau d'une classe politique corrompue. En outre, une éventuelle candidature à la présidentielle l'obligerait à démissionner de l'armée.

Une classe politique vieillissante et corrompue

Le capitaine Sanogo n'est pas le seul personnage encombrant de la classe politique malienne. "Tous les candidats potentiels [à la prochaine élection] sont quand même dans le paysage depuis plus de vingt ans. Il y a des attentes profondes de renouvellement", rappelle Johanna Siméant. "Il ne suffit pas d'avoir des institutions démocratiques pour qu'une démocratie fonctionne", souligne la chercheuse.

Les hommes politiques maliens se distinguent également par l'absence de programmes et de positions partisanes claires. "Ils ont tous à la bouche les mots développement et démocratie mais il n'y a rien de très concret derrière, observe Alexis Roy, qui ajoute : les partis n'arrêtent pas d'éclater pour des raisons personnelles et il est très fréquent pour un homme politique malien de passer d'un parti à un autre." La corruption y est enfin largement répandue, comme le constate chaque année le Bureau du vérificateur général (PDF), l'équivalent de la Cour des comptes malienne.

Les Maliens ne sont pas les seuls responsables de la situation. "Beaucoup de choses qui se décident au Mali ne sont pas entre les mains des politiques maliens. Ils peuvent donc se dire 'puisqu'on ne peut pas décider, est-ce vraiment la peine de faire un programme ?'", explique Alexis Roy. Et le chercheur de rappeler la privatisation en cours de la Compagnie malienne pour le développement du textile, la plus grande entreprise publique, voulue par les grands bailleurs de fonds internationaux (Fonds monétaire international, Banque mondiale).

Dans ces conditions, à moins d'un regain d'intérêt provoqué par la crise au nord, il est difficile d'imaginer une forte participation à la prochaine élection, dans un pays où le taux de participation est généralement compris entre 20 et 40%. "Le discrédit de la classe politique existait avant la crise, il existera après", confie, pessimiste, Alexis Roy.

De lourds problèmes sociaux

Cette absence de renouvellement de l'élite politique s'explique enfin par les problèmes de développement dont souffre le pays, 175e sur 187 au classement de l'indice de développement humain (IDH) en 2011. Au sud comme au nord, "les gens sont très pauvres, ils cherchent au quotidien de quoi remplir leur assiette, ils n'ont pas le temps de s'impliquer politiquement", raconte Alexis Roy.

A ces difficultés économiques s'ajoute la faiblesse de l'Etat, incapable de proposer des services publics performants comme l'école. Selon les chiffres de l'Unicef, seuls 26% des adultes savent lire et écrire. "La refondation du système éducatif est l'une des clés de l'avenir. Mais cela prend tellement de temps...", regrette Johanna Siméant.

Cette absence de l'Etat sur le terrain social favorise l'émergence d'organisations religieuses. "Il y a une montée en puissance du mouvement wahhabite [mouvement islamique radical d'origine saoudienne] qui fleurit sur les carences de l'Etat malien", observe Alexis Roy. "Même s'ils sont visibles, ils ne représentent qu'une partie de l'islam malien", de tradition soufie, nuance cependant Johanna Siméant. Dans ce contexte social et politique compliqué, une simple présidentielle ne suffira donc pas à régler les problèmes du Mali.

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