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Mali. L'alliance des Français avec les ex-rebelles du MNLA sème le trouble

Kidal, dans le nord du Mali, est-elle vraiment libérée? L'armée française resterait aux portes de la ville pour ne pas contrarier ses nouveaux alliés touareg.  

Article rédigé par Loïc de La Mornais
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Un soldat français dans la région de Gao (Mali)  le 14 février 2013. (PASCAL GUYOT / AFP)

La ville est officiellement "libérée" depuis des semaines. Pourtant, aucun journaliste français n'a pu pénétrer à Kidal. Certes, la "capitale" touareg de cette région du nord du Mali est loin : à près de 500 kilomètres de Gao, la grande ville du Nord libérée le 26 janvier, où stationne un important contingent de l'armée française. Mais si Kidal reste absente des écrans radars des médias, c'est pour une autre raison : là-bas, la France se retrouve dans un piège diplomatique, dont elle ne sait pas vraiment comment sortir. 

Les soldats maliens priés de rester aux portes de la ville 

Contrairement à toutes les autres villes du Nord, où les soldats français ont chassé les islamistes et épaulent l'armée malienne, de sources concordantes, Kidal présenterait un singulier spectacle : l'armée française, présente avec une compagnie d'une centaine d'hommes, ne pénétrerait quasiment pas dans la ville, se contentant de l'aéroport. Plus de mille soldats tchadiens trépigneraient d'impatience autour de la cité, sans savoir à quel ordre se vouer. Les soldats maliens eux-mêmes sont tenus à l'écart.

Et dans la ville, les combattants du MNLA (les rebelles touareg qui avaient fait alliance avec les islamistes pour conquérir le nord du Mali avant de se faire évincer par leurs anciens alliés) paraderaient en faisant le "V" de la victoire. Plus troublant encore, certains de ces Touaregs seraient en fait d'anciens jihadistes fraîchement reconvertis.

Jihadistes "en pleine rue"

Les journalistes qui ont pû entrer dans Kidal sont rares. Saliou, qui souhaite rester anonyme pour sa sécurité, y est arrivé. De retour à Gao, il est porteur de surprenantes révélations. "Des jihadistes et même certains chefs d'Aqmi, du Mujao ou d'Ansar Dine sont là-bas, en pleine rue, assure-t-il. Je les ai vus de mes propres yeux. Ils m'ont même reconnu." Selon lui, certains chefs islamistes continueraient à y couler des jours heureux, installés dans des villas cossues. De son propre aveu, travailler dans la ville a été très difficile pour le journaliste, qui a été menacé à plusieurs reprises.

Pourtant, haut et fort, Paris réaffirme son soutien aux Touaregs du MNLA, qui ont d'ailleurs "officiellement" fait allégeance à la France. "Le MNLA a appelé à aider les Français, précise-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. On essaie de mettre en place un projet politique malien de réconciliation. La France fait médiation. Pour l'instant, l'armée malienne ne serait pas la bienvenue à Kidal." Même soutien du côté des militaires : "Nous travaillons au Mali avec tous ceux qui ont les mêmes objectifs que la France", précise le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l'état-major des armées.

Mais en coulisses, d'autres responsables français se révèlent… nettement plus embêtés.

"C'est vrai qu'on est gênés aux entournures, avoue un officier français. La France n'a pas de position claire. La fiabilité du MNLA est très moyenne, et c'est exact qu'il y a parmi eux de vrais bandits, et même des gens d'Aqmi qui l'ont rejoint. Nous sommes coincés entre deux instrumentalisations : celle du MNLA qui veut faire croire à son rôle de chevalier blanc de la cause touareg, et celle du gouvernement de Bamako, qui ne veut pas ouvrir les yeux sur un réel problème politique au Nord-Mali."

Indulgence temporaire

Un responsable politique français enfonce le clou, reconnaissant que les combattants du MNLA ne sont pas des anges : "Bien sûr, il y a une part de realpolitik là-dedans." Mais ces rebelles repentis ont une bonne connaissance de la région, du terrain… et du massif des Ifoghas. "En clair : les Touaregs sont des alliés ou au moins des informateurs de premier plan sur ces fameuses montagnes du Nord-Mali, où sont très certainement retenus sept otages français."

Au sein des ministères et même à l'Elysée, certains l'avouent : il y a actuellement deux "camps" parmi les autorités françaises. D'un côté, les tenants d'une ligne "dure", qui doutent de la capacité du MNLA à actionner des leviers pour libérer les otages. Et de l'autre, les partisans d'une indulgence temporaire, le temps de voir si cette alliance contre-nature peut porter ses fruits. Une tolérance qui pourrait ne pas durer éternellement. Comme le résume un haut gradé français : "Les hommes du MNLA contrôlent Kidal tant qu'on les laisse faire. Pour l'instant, il faut bien qu'ils soient quelque part. Mais dès qu'on décidera du contraire, cela pourrait aller très vite."

Une manière de dire que les "rebelles touareg" feraient bien de donner des gages rapidement.

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