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Marseille. Aux Baumettes, la vétusté, la crasse, le racket et la violence

Touchée par une vague de criminalité, la cité phocéenne abrite un centre pénitentiaire où les droits fondamentaux sont gravement bafoués. Le contrôleur des prisons a lancé jeudi une procédure d’urgence pour changer la donne.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a dénoncé, jeudi 6 décembre, "une violation grave des droits fondamentaux des personnes" détenues au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille. (GREGOIRE KORGANOW / CGLPL)

JUSTICE - "Si les Baumettes n'ont pas encore explosé, c'est seulement grâce à la Bonne Mère." Surveillant au centre pénitentiaire de Marseille, Gérard Migliorini ne voit pas d'autre explication au calme relatif de la prison la plus dégradée de métropole, où s'entassent surtout des petits délinquants et des personnes en attente de jugement. Jeudi 6 novembre, l'établissement a fait l'objet d'une procédure d'urgence lancée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. Dans une série de recommandations publiées au Journal officiel, le contrôleur des prisons dénonce une "violation grave des droits fondamentaux", une formule qui ne suffit pas à témoigner de l'état "désastreux" des lieux, comme le révèle notre diaporama.

Racontant "avec quel cœur les dirigeants de ce pays ont laissé la situation pourrir", Jean-Marie Delarue a égrené jeudi face à la presse une liste impressionnante de "dégradations de la personne humaine" constatées par son équipe, en visite sur place du 8 au 19 octobre. Il y a les classiques du genre : surpopulation de 146% (1 769 personnes pour 1 190 places), fenêtres cassées, WC non fixés au sol, détritus par terre... Et des situations ubuesques : "En raison de son lavabo bouché depuis trois semaines, un détenu se servait en eau directement dans les toilettes", rapporte le contrôleur, évoquant "une chasse d'eau quasi-inexistante" dans une autre cellule.

Au centre de l'image, une averse s'abat en plein cœur de la maison d'arrêt des hommes. (GREGOIRE KORGANOW / CGLPL)

En quatre ans, Jean-Marie Delarue et ses équipes ont visité les trois-quarts des 190 prisons françaises. Après la maison d'arrêt de Nouméa l'an dernier, ce n'est que la deuxième fois que la situation nécessite l'envoi en urgence de recommandations au gouvernement. Ce dernier a ainsi pu s'imaginer la vie en cellule, avec par exemple un "réfrigérateur très sale et infesté de cafards tant à l'intérieur qu'à l'extérieur". La donne va-t-elle pour autant changer ? "Je dénonce les conditions de détention depuis trente ans, se désole Alain Troullioud, responsable de l'association socio-culturelle et sportive des Baumettes, mais on attend toujours la rénovation." Jean-Marie Delarue, lui, espère que son rapport aura davantage d'effets que des textes similaires déjà publiés par le Sénat et le comité européen de prévention de la torture.

Un budget hygiène en chute libre

Réagissant à ces recommandations, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, affirme qu'un programme de restructuration viendra "répondre aux problèmes de vétusté" d'ici 2017. Jean-Marie Delarue relève toutefois que les travaux "consistent à détruire les bâtiments les moins dégradés" des Baumettes, notamment les plus récents réservés aux femmes, et laissent "intacte la maison d'arrêt des hommes". Dans ses recommandations, il s'inquiète des coupes budgétaires (contestées par Christiane Taubira) entre 2011 et 2012 dans l'établissement : baisse des dotations initiales de 7,2%, des dépenses "d'hygiène et de propreté des détenus" de 58%, de la somme "fournitures et travaux" de 37%...

Vue sur les bâtiments de la prison des femmes (à gauche), le stade et la grande maison d'arrêt des hommes, le 14 mars 2003 aux Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône). (MAXPPP)

"Les Baumettes, c'est une institution ici, comme l'OM, la Bonne Mère ou le Vieux Port", affirmait en 2011 le directeur de l'établissement, Thierry Alves, dans France Soir. Nichée en creux de colline dans le sud de Marseille, à trois kilomètres de l'arrêt du métro, la prison se situe au départ des sentiers de randonnées vers les célèbres calanques de Morgiou et de Sormiou. "De l'extérieur, c'est un beau bâtiment, reconnaît le surveillant FO Gérard Migliorini, contacté par francetv info. Le mur est classé, avec ses sept gargouilles sculptées qui représentent les sept péchés capitaux." Joe Dassin a chanté les Baumettes, le rappeur Mystik aussi - il y a même animé une émission. Pourtant, "on y trouve plus que le côté folklorique de notre Pagnol national", assène Jean-Marie Delarue. "Il y a des liens évidents entre les détenus et le milieu marseillais, qui structurent la vie en détention."

Les sept péchés capitaux

"Le grand banditisme tient une partie des rênes et se fait de l'argent sur la population pénale", souligne Jean-Marie Delarue, interrogé par francetv info. Exemple : face au risque d'incendies dû à l'état du parc électrique (qui avait conduit en vain la sous-commission départementale pour la sécurité à demander l'an dernier la fermeture d'une grande partie des Baumettes), peu de détenus bénéficient de plaques chauffantes en cellule, parfois "sur ordonnance des médecins""Tout cela s'échange ensuite et se monnaye au prix fort", note-t-il. Même l'accès aux téléphones sur les coursives est géré par "les gros bonnets de la détention", dans un établissement où 1 200 portables ont été découverts en 2011 (sans parler des stupéfiants, qui "entrent encore plus facilement") !

En cas d'averse, les détenus doivent emprunter ce chemin inondé pour se rendre dans les cours de promenade. (GREGOIRE KORGANOW / CGLPL)

La violence a elle aussi franchi la porte d'entrée, toujours marquée par des tirs de chevrotine datés de 2007. Souvent, "l'agression sanctionne celui qui ne veut ou ne peut plus payer", plutôt que tout lien avec la situation très médiatisée des quartiers nord, dont les habitants sont minoritaires aux Baumettes. "On a du mal à enquêter sur ce qui s'y passe", affirme à francetv info Benoît Vandermaesen, vice-procureur au tribunal de grande instance de Marseille et membre du syndicat de la magistrature.

Avec "fatalité", le personnel "gère la détention comme il le peut", note Jean-Marie Delarue, soulignant que "les surveillants copinent beaucoup avec les détenus", pour préserver une certaine paix sociale. Un pari risqué qui conduit à d'autres situations ubuesques : "Nous avons découvert une cellule où un trou avait été creusé, suffisant pour y passer un téléphone dans la cellule voisine", raconte-t-il. "Les surveillants l'avaient remarqué et laissaient faire." Peut-être parce qu'un autre problème des Baumettes est la pénurie d'activités proposées aux détenus. L'exigence de réinsertion assignée aux prisons par la loi pénitentiaire de 2009 attendra.

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