Condamnation d'une psychiatre à Marseille: "On n'est pas des policiers"
Les syndicats de psychiatres dénoncent une politique du bouc émissaire après la condamnation d'une collègue à un an avec sursis pour homicide involontaire.
C'est une première en France. Une psychiatre de 58 ans a été condamnée, mardi 18 décembre, à un an de prison avec sursis, à Marseille (Bouches-du-Rhône). Danièle Canarelli était poursuivie par le tribunal correctionnel pour homicide involontaire après qu'un de ses patients, schizophrène, avait commis un meurtre en 2004.
Hospitalisé en 2000 après avoir été l'auteur de plusieurs agressions dont une tentative d'assassinat, Joël Gaillard avait tué un octogénaire à coups de hachette à Gap (Hautes-Alpes) en 2004, quelques semaines après avoir fugué lors d'un entretien avec sa psychiatre. Fin 2003, cette dernière lui avait accordé une sortie à l'essai de longue durée.
"Problème de diagnostic"
Le 13 novembre, lors d'un procès inédit très suivi par la profession, le procureur avait requis cette peine d'un an avec sursis contre Danièle Canarelli. A l'audience, la psychiatre avait reconnu avoir été confrontée à un "problème de diagnostic", mais nié toute négligence dans le suivi de son patient, de son hospitalisation en 2000 à sa fugue en 2004.
Il était notamment reproché à la médecin d'avoir noté "l'absence de toute pathologie mentale" dans plusieurs certificats successifs, "en dépit des conclusions" concordantes de ses confrères. Ce qui l'a finalement "conduite à ne pas soumettre son malade à un traitement approprié" et à lui accorder fin 2003 sa sortie longue durée.
"Il n'est pas possible de distinguer la notion de faute"
Interrogé par francetv info, Jean-Claude Penochet, président de l'Intersyndicale des psychiatres publics, se dit "carrément abasourdi et révolté". "C’est une condamnation très lourde", juge-t-il. Pour lui, "il n’est pas possible de distinguer la notion de faute dans le comportement de Danièle Canarelli". "Jamais un psychiatre n’a été cherché au niveau pénal, dit-il. C’est une première et ça dénote un changement dû à la nécessité de trouver un responsable à tout prix."
Un jugement qui inquiète la profession. "Là, chacun se dit : 'Si ça a pu lui arriver à elle, ça peut m’arriver à moi.'" "Nous sommes amenés à prendre des décisions difficiles tous les jours." Et de rappeler que la situation des psychiatres est "contradictoire, entre la nécessité d’être garant des libertés de nos patients et la protection de la société par rapport à leurs actes".
Pour l'expert, "le juge d’instruction qui pense que diagnostiquer la schizophrénie aurait permis de diagnostiquer la violence se trompe". Et de conclure : "Ce sont les faits qui sont jugés, et sur les faits, chacun des psychiatres publics aurait pu faire ce qu'elle a fait et pourrait le faire demain."
"On n'est pas des policiers"
Olivier Labouret, président de l’Union syndicale de la psychiatrie, est lui aussi "choqué" par cette condamnation. Pour lui, le docteur Canarelli "n'a commis aucune erreur". "On est encore libre de prescrire ce qu’on pense être bien", s'insurge-t-il.
Il regrette comme son confrère "un climat de plus en plus sécuritaire", qui s'ajoute à la loi du 5 juillet 2011 relative aux soins psychiatriques, qui déjà "durcit la responsabilité du psychiatre par rapport aux actes de son patient".
"S’il faut absolument que le psy garantisse l’ordre public, c’est impossible, on n’est pas des policiers. On ne peut pas garantir absolument que le patient ne va pas passer à l’acte, ce n’est pas une science exacte", tonne-t-il.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.