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Comment les sponsors profitent de la COP21 pour montrer patte verte

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Plusieurs sponsors de la conférence climat participent à l'expositions Solutions COP21, le 4 décembre 2015, au Grand Palais, à Paris. (ALAIN JOCARD / AFP)

EDF, Engie ou encore Air France figurent dans la liste des partenaires financiers de l'événement onusien, qui se tient au Bourget jusqu'au 11 décembre. Mais sont-ils si écolos qu'ils le disent ? 

Peut-on être taxé de "grand pollueur" et sponsoriser la conférence climat (COP21) ? A cette apparente contradiction, Air France, EDF, BNP Paribas, Renault ou encore Engie (ex-GDF Suez) répondent "oui". Ces multinationales, souvent critiquées pour leur impact sur l'environnement, ont toutes accepté de mettre la main au porte-monnaie pour aider le gouvernement français à amortir les 182,8 millions d’euros nécessaires pour organiser la COP21.

Le sommet du climat représente une aubaine pour ces entreprises désireuses de se refaire une réputation verte. "C'est une bonne fenêtre pour mettre en avant nos solutions", reconnaît Anne Chassagnette, directrice de la responsabilité environnementale d'Engie, contactée par francetv info.

Le géant français de l'énergie participera d'ailleurs au salon Solutions COP21, dès le vendredi 4 décembre au Grand Palais, à Paris, où il présentera des idées "pour entrer dans la société post-carbone", comme l'écrit le site du salon. Renault et BNP Paribas y tiendront aussi des stands.

Malgré cette apparente bonne volonté, deux d'entre eux se sont vus décerner, jeudi, le prix Pinocchio du climat, décerné par plusieurs ONG. BNP Paribas et EDF sont épinglés pour leurs politiques anti-écologiques ou leurs actions de "greenwashing", stratégie de communication destinée à se donner un visage plus "vert". Engie était lui aussi nommé.

Avant la COP, une série d'annonces "vertes"

A la veille de la COP21, certains mécènes ont en effet multiplié les annonces pour paraître irréprochables en matière de climat. Annonces prévues ou quelque peu forcées ? Le 14 octobre sur BFMTV, Ségolène Royal a grillé la politesse à Engie en annonçant que le groupe s'engageait à stopper ses constructions de nouvelles centrales à charbon, énergie fossile la plus polluante. La combustion de la houille génère en effet 46% des émissions mondiales de CO2, selon l'Agence internationale de l'énergie (PDF en anglais). La ministre avait reçu de nombreuses critiques d'associations environnementales.

Engie n'a pu que confirmer, assurant qu'il s'agissait d'une "décision mûrement réfléchie", racontent Les Echos. Au final, le groupe abandonne un projet de centrale en Turquie, d'une puissance de 1 320 mégawatts.

Le secteur financier a également réagi, courant novembre. Emboîtant le pas à Natixis et à la Société générale, BNP Paribas a fait savoir qu'elle ne financerait plus l'extraction de charbon, promettant au passage de doubler ses financements pour les énergies renouvelables d'ici à 2020.

Mais au sein de l'association Les amis de la Terre, on relativise ces récents efforts. Pour Malika Peyraut, "on voit bien la disproportion entre les efforts que les sponsors mènent dans les énergies renouvelables et leurs investissements massifs dans les grands barrages, le nucléaire ou les énergies fossiles". Ces dernières conservent une place prépondérante dans le parc électrique d'Engie, acteur historique du secteur du gaz.

Un "bilan écologique" plus que contrasté

Ainsi, l'énergéticien possède encore 30 centrales à charbon dans le monde, qui rejettent plus de 81 millions de tonnes de CO2 chaque année, relèvent Oxfam et Les Amis de la Terre. Et certaines vont bientôt voir le jour en Mongolie ou au Brésil, au grand dam des écologistes. Malgré l'annonce de Ségolène Royal, les contrats engagés seront honorés pour ne pas "pénaliser" ses partenaires.

BNP Paribas doit aussi poursuivre les efforts si elle veut parvenir à faire oublier son lourd bilan. Dans son rapport Fair Finance France (PDF), l'association Oxfam la classe première banque fossile de France, cinquième au niveau mondial. Depuis 2009, BNP Paribas a consacré un total de 52 milliards d'euros aux énergies fossiles, contre seulement 6 milliards pour les énergies renouvelables.

Si la banque boude désormais le charbon, c'est plus pour des questions économiques qu'écologiques : les investisseurs se détournent de ce combustible polluant. La banque ne fait "qu'accompagner ses clients", confirme Laurence Pessez, déléguée RSE (responsabilité sociale et environnementale) de la banque, aux Echos. Entre 2009 à 2014, BNP Paribas a financé le secteur du charbon à hauteur de 15,6 milliards d'euros, rapporte Coal Banks (en anglais), un site du réseau mondial BankTrack qui surveille l'activité du secteur financier.

Capture d'écran de la page consacrée à BNP Paribas sur le site Coal Banks, du réseau BankTrack. Ce collectif d'ONG surveille l'action du secteur financier dans le développement durable.  (COAL BANKS / BANKTRACK)

Quant aux autres, leur simple présence irrite les défenseurs du climat. "Air France faisait partie des entreprises qui se sont opposées à une taxe sur le kérosène", rappelle Malika Peyraut. L'aviation est le seul secteur des transports à ne pas payer de taxe sur les carburants, exemption que les associations considèrent comme un "droit à polluer". L'avion ne représente "que" 2,5% des émissions mondiales de CO2, d'après les chiffres officiels. Mais il est responsable de 5 à 10% des gaz à effet de serre, si l'on tient compte de l'oxyde d'azote généré par les moteurs.

Des plaintes pour publicité mensongère

EDF s'attire lui aussi les critiques. Sur son site, le géant de l'électricité française se targue pourtant d'agir pour "un monde bas carbone". Sollicité par francetv info, il assure s'appuyer sur "des faits" : il produit "une électricité peu chère et décarbonée", à 98% "sans CO2 en France". Grâce au nucléaire bien sûr. Ces affirmations valent à EDF deux plaintes auprès du jury de déontologie publicitaire.

Capture d'écran du site d'EDF. La page montre la communication employée par ce sponsor de la conférence climat qui se déroule au Bourget.  (EDF)

En effet, comme le souligne l'agence Wise, l'atome émet du CO2 et pas en moindre quantité si l'on intègre toutes les étapes, de l'extraction d'uranium jusqu'au démantèlement de la centrale. Selon ses calculs, le nucléaire émettrait 66 grammes de CO2 par équivalent kilowattheure. C'est plus que l'éolien (14 gCO2 eq/kWh) ou l'hydraulique (6 gCO2 eq/kWh)

Et c'est sans compter que le groupe reste discret sur ses activités à l'étranger. Au total, EDF possède encore 16 centrales à charbon, qui émettent chaque année 69 millions de CO2. En 2014, l'électricien a même investi dans une centrale chinoise, d'une puissance de 2 000 mégawatts. L'équipement sera doté d'une technologie lui permettant de brûler moins de charbon, notent Les Echos, mais cet exemple illustre l'ambivalence du sponsor.

Un risque pour les négociations climatiques ?

Pour les ONG, la conférence climat aurait dû obliger les multinationales à faire leur révolution écologique. Problème : aucune contrepartie n’a été fixée par le gouvernement.

On a choisi comme financeurs des entreprises qui ne sont pas des acteurs de la transition énergétique, mais qui ont simplement fait un gros chèque. Ça pose question.

Célia Gautier, du Réseau Action Climat

à francetv info

Cette experte des négociations internationales pointe la responsabilité de l'Etat, actionnaire de plusieurs grands mécènes, comme Engie ou Air France. Dans ce contexte, l'inquiétude grandit quant à une possible influence de ces grandes entreprises sur les négociations climatiques.

"Au-delà du sponsorship, ce qu'on dénonce surtout, ce sont les activités de lobby que ces grands pollueurs opèrent au sein des négociations onusiennes, regrette Malika Peyraut. Le problème, c'est tout ce qui se passe dans les couloirs. C'est ce qui fait qu'on ne retrouve aucune mention des termes 'énergies fossiles' dans le texte de pré-accord."

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