: Tribune L'Afrique vaut plus qu'un effet de mode
Les élections générales en Afrique du Sud expriment un enracinement démocratique sur la durée, même s'il reste imparfait. L'ensemble du continent va mieux qu'on le croit souvent.
Guillaume Arditti est un spécialiste du financement des matières premières en Afrique. Il fait actuellement partie d'une grande institution financière internationale, où il se focalise plus particulièrement sur des problématiques de stratégie et développement. L'article reflète son analyse personnelle de la situation actuelle en Afrique.
Le Kenya l’an dernier, l’Afrique du Sud maintenant, bientôt le Nigeria : les élections se succèdent au sein du continent africain. Les choses changent-elles pour autant ? La réélection de Jacob Zuma à la tête de l'Afrique du Sud et le maintien de la position dominante de l'ANC depuis 20 ans pourraient donner une impression de déjà-vu, mais ils ne devraient pas cacher des évolutions de fond : les premiers des "born free", la première génération qui n’a pas connu l’apartheid, se sont rendus aux urnes. L’opposition se structure de plus en plus : pour la première fois, l'ANC a perdu la majorité des deux tiers à l'Assemblée. Et malgré toutes les inquiétudes suscitées par l'Afrique du Sud ces dernières années, nous venons d'assister aux cinquièmes élections libres depuis 1994. Autant d’éléments qui permettent l’enracinement de la démocratie sur la durée – quand bien même cela paraît toujours trop lent –, et que l’on retrouve sur tout le continent.
A la fin de la guerre froide, trois pays seulement étaient des démocraties. Aujourd'hui ils sont 25 sur 54, comme le note The Economist (en anglais), à divers degrés de maturité, allant de phases d'amorçage et de développement dans des pays aux belles perspectives économiques (Côte d'Ivoire, Sénégal, Mozambique…) à des phases de consolidation - le plus bel exemple reste sans doute le Ghana. Avec le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya, voilà trois puissances régionales qui sont engagées dans un processus de démocratisation depuis plus de vingt ans, et dont on peut espérer qu'elles joueront un rôle moteur dans leurs zones d’influence.
L'Afrique se purge des influences extérieures
En ce début de millénaire, le continent n’est pas seulement porté par une croissance économique spectaculaire – ce qui était arrivé dans une moindre mesure dans les années 1970. Il est aussi, pour sa majeure partie, en train de sortir d’une longue phase de transition : voilà un demi-siècle qu’il se purge d'influences extérieures, qu'elles soient venues de l'héritage colonial, des ingérences extérieures (de la guerre froide à la Françafrique…), ou de la dépendance économique.
Si ces éléments n'expliquent pas tout des troubles qu'a traversés le continent, leur disparition était une condition sine qua non de son émergence. Aujourd'hui, l'Afrique est face à elle-même, comme elle ne l'a jamais été depuis la colonisation. Les trajectoires de chaque pays sont évidemment différentes, mais plusieurs vagues de fond traversent le continent, et sont en train de modifier ses structures politiques et économiques.
Une autre tendance est exprimée par le Printemps arabe, qui ne doit pas être uniquement perçu comme une rébellion face à un ordre établi devenu insupportable, mais aussi comme une quête de légitimation. Si chacun de ces pays a sa dynamique propre, tous ont connu des régimes ou des dirigeants qui ont, à un moment donné, symbolisé de manière charismatique indépendance et renouveau ; ils en ont tiré une forme de légitimité auprès de leur population, mais une légitimité individuelle en raison de ce qu'ils incarnaient et qui appartenait au passé.
Une quête de légitimité institutionnelle
Aujourd’hui, le Printemps arabe représente une quête de légitimité institutionnelle et donc pérenne, dépassant hommes et partis. Ce phénomène pourrait d’ailleurs être prémonitoire pour nombre de pays où cette légitimité individuelle et partisane existe, mais où l'on voit déjà naître des revendications : le MPLA angolais de Dos Santos, victorieux de la guerre civile en 2002, le FLN algérien, dont l'assise repose en partie sur la peur d'un retour au chaos des années 1990, le régime de Kagame, qui a réussi à transformer le Rwanda en "dragon africain"…
Mais le politique et l'économique ne doivent pas se regarder en objets indépendants. En Afrique encore plus qu'ailleurs, ils s’alimentent l’un l’autre. Un nouveau départ a été donné par le secteur des matières premières, porté par la demande des pays émergents, dont l’effet a été double. Premièrement, un bouleversement des rapports de force : les présences chinoise, mais aussi brésilienne ou indienne, ont apporté une alternative aux partenaires traditionnels de l’Afrique, tant du point de vue commercial que technique – quand bien même nombre de voix s’élèvent contre le néocolonialisme chinois.
Deuxièmement, alors que l’impact des commodities sur les économies a longtemps été limité, car principalement tourné vers l’exportation de produits non transformés, les investissements dans le secteur servent désormais de déclencheur au développement d’infrastructures. C'est le résultat de nouvelles contraintes industrielles posées par des gisements enclavés, mais aussi de nouvelles volontés des pays hôtes.
Ainsi, entre 2006 et 2010, plus de 20% des transactions dans les ressources naturelles ont intégré une composante d'infrastructure ou d'industrialisation contre juste 1% dans les années 1990, selon McKinsey Global Institute (en anglais). Néanmoins, cette évolution ne suffirait pas à assurer la résilience d’économies monoproduit à des chocs externes, comme une chute des cours. Mais un autre point de bascule est en train de se produire : l’accroissement de la mobilité sociale. Les études réalisées par la Banque africaine de développement montrent qu’en 1980 et en 2000, les groupes compris entre "riches" et "pauvres" recoupaient respectivement 26,2% et 27,2% de la population, soit une évolution de 1% en 20 ans. En 2010, le chiffre était de 34,3%.
Emergence d'une classe moyenne
C’est là un facteur fondamental qui, en créant une demande intérieure, permet la diversification d’une économie. Soutenues par une population active qui devrait doubler dans les trente prochaines années pour atteindre plus d'un milliard de personnes, les projections sont là : entre 2008 et 2020, le taux de croissance annuel des revenus provenant des ressources naturelles (hors agriculture) serait de 2%, là où celui de la grande consommation serait de 4%, ce qui correspondrait à une croissance respective de 110 milliards de dollars et 520 milliards de dollars de revenus. Ces anticipations sont déjà corroborées par les chiffres récents de l'ONU qui montrent que c'est la consommation privée qui a été le principal moteur de la croissance en 2012 et 2013.
Fin de la dépendance vis-à-vis des matières premières devenues vecteurs d'infrastructures, émergence de la classe moyenne, diversification des économies... c'est bien de l'Afrique qu'on parle, et les chiffres que l'on y trouve pourraient inspirer un certain nombre de pays où l'on en est arrivé à croire que 0,5 point de croissance est une bonne nouvelle. Les conditions sont aujourd'hui réunies pour que le continent émerge, politiquement et économiquement. Certes, il y aura des conflits - mais le dernier au cœur de l'Europe date des années 1990 - et des retours en arrière, mais pour la première fois depuis bien longtemps, les crises sont essentiellement la réflexion de tensions internes, ce qui a mécaniquement un impact sur leurs règlements : moins artificielles, car là aussi moins influencées par l'extérieur, les solutions apportées deviendront plus durables.
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