L'article à lire pour comprendre ce qu'il se passe au Burundi
Depuis jeudi, un putsch est en cours dans ce petit Etat de la région des Grands Lacs. Une grave menace pèse sur la paix dans ce pays qui a connu des années de guerre civile.
Jeudi 14 mai, l'odeur de poudre a envahi les rues de Bujumbura, la capitale du Burundi. La veille, un général a profité de l'absence du président pour annoncer la destitution du chef de l'Etat. Mais ce dernier n'a pas dit son dernier mot et des combats commencent à déchirer ce petit pays à la paix fragile. Francetv info vous résume ce qu'il faut savoir pour comprendre les événements au Burundi.
C'est quoi le Burundi ?
Le Burundi est un petit pays (plus petit que la Belgique) situé dans la région des Grands Lacs, en Afrique. Il est frontalier du Rwanda au nord et de la Tanzanie à l'est. Le lac Tanganyika (le deuxième plus grand lac africain), à l'ouest, sépare le Burundi de la République démocratique du Congo.
C'est un petit pays, mais il compte 10 millions d'habitants et est très densément peuplé (315 hab/km2). Presque trois fois plus que la France métropolitaine, d'après l'Insee et le Quai d'Orsay. Selon la CIA, la population du Burundi a la 8e croissance la plus rapide au monde. Or, ce pays très pauvre vit essentiellement de l'agriculture, dont dépend 90% de la population. L'accès aux terres est un enjeu majeur.
Qu'est-ce qu'il s'y passe ?
Un général, Godefroid Niyombare, 46 ans, a profité d'un déplacement du président Pierre Nkurunziza en Tanzanie pour le destituer. Il a déclaré agir pour le bien de son pays face au "cynisme" et au "sadisme" du président "à l'égard du peuple burundais". Dans son allocution sur une radio privée, il a dénoncé une attitude "incendiaire" de nature à "saper l'unité nationale".
Bref, il s'agit d'une tentative de coup d'Etat. Tentative car elle n'est pas soldée. Jeudi, des combats se sont poursuivis dans la capitale entre forces de sécurité loyalistes et putschistes. Le président n'avait toujours pas réussi, jeudi soir, à regagner son pays, car les frontières et l'aéroport ont été fermés.
Mais à quoi fait référence ce général burundais quand il parle de l'attitude du président ?
Cette tentative de coup d'Etat, qui n'est pas une surprise, arrive dans un contexte tendu depuis plusieurs semaines. Le 25 avril, le parti au pouvoir (CNDD-FDD) a investi Pierre Nkurunziza pour être candidat à un troisième mandat lors de la présidentielle prévue le 26 juin. L'annonce a déclenché de vives protestations de la société civile et d'une partie de l'opposition qui considèrent qu'un troisième mandat violerait la Constitution, mais aussi les accords d'Arusha de 2000 qui ont permis de sortir d'une guerre civile. Ces protestations se sont traduites dans la rue par des manifestations violentes. Le pouvoir a répondu par des arrestations. Il a aussi fermé des stations de radio.
Pour faire taire la contestation, un groupe de sénateurs du parti au pouvoir a demandé à la Cour constitutionnelle de trancher. Elle a estimé qu'un troisième mandat n'était pas anticonstitutionnel. Mais le vice-président de la Cour a fui le pays en dénonçant d'"énormes pressions et même des menaces de mort". Le président a déposé officiellement sa candidature le 8 mai.
Les autorités ont proposé de libérer les opposants si les manifestations cessaient. Devant l'échec de cette tactique, elles ont exigé l'arrêt complet du mouvement de protestation. Sans plus de succès. C'est alors que le général Niyombare s'est posé en garant de "la reprise du processus électoral, dans un climat serein".
Alors cette tentative de coup d'Etat est plutôt une bonne nouvelle, non ?
Impossible de dire, pour le moment, si elle va apaiser le climat ou conduire à une escalade. Le président s'obstinant à se représenter, le pays était déjà menacé de replonger dans la guerre civile, expliquait une chercheuse avant le coup d'Etat à Vox (en anglais).
La paix est très fragile au Burundi. Le premier président démocratiquement élu, en 1993, avait été assassiné après seulement trois mois d'exercice. Cela avait déclenché une guerre civile qui a fait 300 000 morts en treize ans.
Le conflit opposait des rebelles hutus à l'armée, constituée de tutsis. Car ce pays a une composition ethnique proche de celle du Rwanda voisin. Il a aussi connu dans son histoire post-coloniale de nombreux massacres ethniques. A l'issue de la guerre, en 2005, le Hutu Pierre Nkurunziza est devenu président.
C'est un problème entre Hutus et Tutsis, comme au Rwanda ?
Non, pas pour le moment. Les manifestants opposés au troisième mandat du président Nkurunziza sont de toutes les ethnies.
De plus, alors que les précédents coups d'Etat avaient tous été fomentés par des officiers tutsis, cette fois le président hutu est menacé par un général hutu et, qui plus est, issu des rangs de l'ex-rébellion (hutue). C'est le signe d'une alliance politique entre putschistes hutus et tutsis qui transcende les lignes ethniques.
Le général Niyombare est considéré comme un homme modéré et de dialogue. Depuis le début de la contestation, l'armée s'était montrée plus neutre que la police, accusée d'être inféodée au parti au pouvoir. Au cours des manifestations, les militaires se sont bien souvent interposés entre protestataires et policiers, évitant que la situation ne dégénère. L'armée burundaise est professionnelle, réputée (elle intervient ou est intervenue en Somalie, en Centrafrique, au Mali) et issue d'un processus d'intégration, c'est-à-dire qu'elle a été recomposée après la guerre civile pour intégrer dans ses rangs aussi bien des Tutsis que des Hutus. Autant de garanties de ne pas voir le conflit aboutir à une répression contre une ethnie en particulier.
Quel est le danger alors ?
D'abord, l'armée ne forme pas un tout homogène. Depuis mercredi, les militaires se partagent entre loyalistes, putschistes et ceux qui ne prennent pas publiquement position. Selon Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group (ICG), auteur d'un récent rapport sur le Burundi, "deux conceptions de la neutralité politique traversent l'armée" : "l'une signifie que les militaires n'ont pas à discuter les ordres du pouvoir politique. L'autre que les militaires ne doivent pas s'impliquer dans des combats politiques." Après la liesse populaire, au lendemain de la tentative de coup d'Etat, des combats secouent la capitale et l'inquiétude est maintenant vive parmi la population.
La situation pourrait encore s'envenimer. Ce n'est pas parce que la guerre est finie que le pays a résolu tous ses problèmes. La question de l'accès à la terre (rare en raison de la forte densité de population) est très sensible et peut être exploitée pour raviver les tensions ethniques. Or, si la tentative de coup d'Etat a suscité des mouvements de joie dans les rues de Bujumbura, les manifestations étaient essentiellement cantonnées à la capitale. Comment réagiront les zones rurales ?
Plusieurs dizaines de milliers de Burundais ont fui à l'étranger avant même la tentative de coup d'Etat, rappellent trois chercheuses dans le Washington Post (en anglais). Ils se disent menacés par les Imbonerakure, la milice des jeunes du parti du président. A Libération, un réfugié dit, par exemple, avoir été prévenu par des Imbonerakure que "tous ceux qui contestent le troisième mandat du président seront tués". A l'agence Reuters (en anglais), un autre réfugié affirme que les jeunes miliciens ont "peint des marques rouges sur les maisons des gens à viser". Les Imbonerakure pourraient se livrer à des représailles.
Et les pays voisins, ils en pensent quoi ?
Ils s'inquiètent. Car, comme l'écrit l'International Crisis Group dans son rapport, "le retour de la violence ne mettrait pas seulement fin à la paix civile progressivement rétablie (...) mais aurait des implications régionales déstabilisatrices". L'ONG souligne que la violence au Burundi "pourrait alimenter les dynamiques de crise régionales". De nouvelles vagues "de réfugiés pourraient déstabiliser la région des Grands Lacs", estime la directrice du programme Afrique de l'ICG, Comfort Ero.
Toute la sous-région est densément peuplée et les afflux de réfugiés sont difficiles à supporter pour les voisins. Ils facilitent aussi les mouvements de groupes armés. Libération évoque notamment la possibilité d'infiltrations des FDLR, forces hutues héritières des milices Interahamwe, principales responsables des massacres de Tutsis au Rwanda en 1994. Les FDLR sont présentes dans l'est de la République démocratique du Congo, toujours très instable. Si le conflit s'envenimait au Burundi, le Rwanda pourrait être tenté d'intervenir, estime Le Vif.
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un petit résumé ?
Depuis plusieurs semaines, manifestants, opposition et société civile réclament que le président burundais ne se présente pas à un troisième mandat. Le président ignorant ces revendications, un général a profité de son absence pour le destituer. L'armée est plutôt considérée comme vertueuse au Burundi, mais elle est divisée entre loyalistes et putschistes qui s'affrontent dans les rues de Bujumbura, la capitale. Pour le moment, le conflit est essentiellement politique, mais l'histoire post-coloniale du Burundi est marquée par des massacres ethniques et une longue guerre civile qui laissent craindre de graves violences. Si c'était le cas, toute la sous-région pourrait être déstabilisée.
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