Crash en Egypte : qui se cache derrière Wilayat Sinaï, ce groupe jihadiste qui affirme avoir détruit l'avion russe ?
La branche égyptienne du groupe Etat islamique affirme avoir détruit l'Airbus A321 qui transportait 224 personnes, samedi, au-dessus du Sinaï égyptien, en représailles aux bombardements russes en Syrie.
Le renseignement américain l'assure. "Pour l'instant", il n'y a "pas de signe" qu'une attaque terroriste soit bien à l'origine du crash, dans le Sinaï (Egypte), d'un Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet, samedi 31 octobre, avec 224 personnes à son bord. Il est "improbable" que des jihadistes aient les moyens d'abattre un avion de ligne en plein vol, estime le directeur national du renseignement américain. Une hypothèse que Washington ne peut cependant pas complètement "exclure".
Trois jours après la catastrophe aérienne, mardi 3 novembre, le doute plane toujours. Et il profite à un groupe jusque-là peu connu au sein de la nébuleuse jihadiste : Wilayat Sinaï. Car cette organisation, branche du groupe Etat islamique (EI) en Egypte, a revendiqué, dès samedi, la destruction de l'appareil, en représailles aux bombardements russes en Syrie. Voici son histoire.
Un groupe passé d'Al-Qaïda à l'Etat islamique
Le groupe jihadiste Wilayat Sinaï a officiellement vu le jour en novembre 2014. Auparavant, l'organisation s'appelait Ansar Beït Al-Maqdis, et proclamait son appartenance à Al-Qaïda. Elle a décidé de changer de nom pour marquer sa nouvelle allégeance à l'EI.
Wilayat Sinaï signifie "province du Sinaï". Un nom qui symbolise à lui seul la volonté d'internationalisation de l'EI. En arabe, un "wilayat" est une province. L'EI en revendique 25, réparties dans 9 pays : Syrie, Irak, Libye, Yémen, Algérie, Arabie saoudite, Afghanistan, Pakistan et Egypte.
Le bastion de Wilayat Sinaï se situe dans le Nord-Sinaï, région septentrionale de cette vaste péninsule semi-désertique d'environ 60 000 km2, située dans l'est de l'Egypte. Une région prise en tenaille entre le canal de Suez à l'ouest, Israël et la bande de Gaza à l'est, la mer Rouge au sud et la Méditerranée au nord.
Une organisation dotée de plusieurs milliers de combattants et d'armes lourdes...
Les effectifs de Wilayat Sinaï sont à peine mieux documentés que son organigramme et son fonctionnement, observe le JDD. Selon les experts cités par l'hebdomadaire, l'organisation disposerait de 1 000 à 2 000 combattants. Dans Le Figaro, une source diplomatique avance, elle, une fourchette bien plus conséquente de 6 000 à 8 000 jihadistes. "C'est un groupe en véritable expansion, qui compte aujourd'hui 5 000 combattants contre seulement 300 il y a quatre ans", évalue pour sa part Mathieu Guidère, spécialiste des mouvements jihadistes, dans Challenges.
Wilayat Sinaï compterait peu de combattants étrangers. Ses troupes seraient essentiellement composées d'Egyptiens, de bédouins habitant le Sinaï ou venant de la vallée du Nil. Certains seraient également déjà partis faire le jihad en Syrie et en Irak. "La répression menée par le maréchal Al-Sissi [au pouvoir en Egypte] contre les islamistes les a renforcés. Beaucoup d'opposants islamistes à Al-Sissi les ont rejoints", ajoute Mathieu Guidère.
Quant à son arsenal, il est équivalent à celui des autres organisations jihadistes voisines : des véhicules tout terrain, des armes légères comme des kalachnikovs, mais aussi des armes lourdes, notamment des missiles antichars et antiaériens en provenance de Libye. Les jihadistes "se fournissent en attaquant des casernes, en pillant l'armée" égyptienne, explique Mathieu Guidère.
... implantée dans un territoire propice pour les jihadistes
Des groupes jihadistes se sont implantés dans le Sinaï dès la fin des années 2000. Ce désert de montagnes est un terrain fertile pour eux : cette région pauvre et enclavée est depuis des décennies ostracisée par le régime égyptien. Et les bédouins qui la peuplent en majorité n'ont de cesse d'être en butte au pouvoir central. Ils ont toujours considéré le traité de paix signé en 1979 entre Israël et l'Egypte, après la guerre des six jours de 1967, comme "une trahison", rappelle Le Figaro. De quoi en faire un soutien non négligeable pour les jihadistes, soulignent nos confrères de Géopolis.
Coincée entre l'Afrique et l'Orient, la péninsule est aussi une zone de passage pour tous les réseaux de trafiquants d'armes, de drogues ou d'êtres humains. La contrebande s'y est encore un peu plus développée via les tunnels sous la frontière entre l'Egypte et la bande de Gaza au cours des années 2000 avec la deuxième intifada, puis l'arrivée au pouvoir des islamistes du Hamas dans l'enclave palestinienne et son blocus par Israël.
Le nom initial de l'organisation faisait d'ailleurs référence à ce combat. Ansar Beït Al-Maqdis peut se traduire par les "Partisans de Jérusalem". Une appellation qui fait référence à la lutte des jihadistes au côté des Palestiniens contre les Israéliens. Dans le Nord-Sinaï, les pipelines qui alimentent Israël en hydrocarbures égyptiens sont d'ailleurs régulièrement sabotés.
Des terroristes opposés au pouvoir central
Avant même la création d'Ansar Beït Al-Maqdis, des jihadistes commettent leurs premiers attentats meurtriers dans le Sinaï entre 2004 et 2006. Ils visent alors l'industrie égyptienne du tourisme et les stations balnéaires de la région : Charm el-Cheikh, Dahab et Taba. Mais ce n'est qu'à partir de 2011, profitant du flottement provoqué par la révolution égyptienne et la chute d'Hosni Moubarak, que les jihadistes, rassemblés au sein d'Ansar Beït Al-Maqdis, intensifient réellement leurs attaques, en particulier contre les symboles du pouvoir.
La situation se dégrade un peu plus en 2013, lorsque le président islamiste égyptien élu, Mohamed Morsi, est destitué par l'armée. En réaction au tour de vis sécuritaire décidé par le maréchal Al-Sissi, désormais au pouvoir, les jihadistes multiplient les attaques ciblées contre des soldats, exécutent des policiers et organisent des attentats contre des installations militaires. Au Caire, le ministre de l'Intérieur égyptien échappe même, en septembre 2013, à une tentative d'assassinat.
Opération Aigle en 2011, Sinaï en 2012, Tempête du désert en 2013, état d'urgence en 2014... En quatre ans, les offensives lancées par l'armée égyptienne contre les jihadistes dans le Sinaï se sont soldées par des centaines de morts dans les deux camps. Pas de quoi stopper les attentats-suicides, les attaques à la voiture piégée, les prises d'otages et décapitations. Si l'implication de Wilayat Sinaï dans le crash de l'Airbus A321 russe dans le Sinaï était confirmée, cet attentat marquerait alors une nouvelle étape dans leur insurrection.
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