Peine de mort : les Etats-Unis englués dans le mythe des exécutions sans douleur
L'Utah envisage de rétablir les pelotons d'exécution, et l'Oklahoma étudie l'option des chambres à gaz.
Alors que les injections létales font l'objet de vifs débats aux Etats-Unis, certains Etats ressortent les vieilles méthodes du XIXe siècle et du début du XXe. Tandis que l'Oklahoma envisage de rétablir les chambres à gaz, les sénateurs de l'Utah ont adopté un projet de loi, mardi 10 mars, pour rétablir les pelotons d'exécution. Au grand dam des abolitionnistes, les promoteurs de cette dernière option vantent une méthode rapide et humaine.
Après des décennies de débats, la question technique n'est donc toujours pas réglée. Les autorités du pays savent-elles réellement exécuter un condamné à mort ?
Le peloton d'exécution : Far West ou méthode humaine ?
Dix des dix-huit sénateurs que compte l'Utah sont en tout cas convaincus par le peloton d'exécution. Le texte prévoit que les condamnés à mort soient tués par balles quand les produits nécessaires aux injections létales font défaut. La méthode a déjà fait ses preuves. En 2010, dans le même Etat, le détenu Ronnie Lee Gardner est exécuté, à sa demande, par un peloton d'officiers. Lors de ces mises à mort, le condamné est généralement lié à une chaise entourée de sacs de sable pour absorber le sang. Une cible est collée au niveau du cœur. Six tireurs sont postés face à lui, dont l'un est équipé d'une arme chargée à blanc.
Selon le républicain Paul Ray, cette méthode est une alternative humaine et rapide aux injections létales. En 1993, le chercheur Harold Hillman estimait qu'il s'agissait d'une méthode moins douloureuse que le gaz, la pendaison ou l'électricité. A condition, bien sûr, que le cœur soit touché, comme le mentionnait Slate en 2010. Mais l'argument ne convainc pas les opposants à la peine capitale. “C'est un pas gigantesque en arrière", estime par exemple Ralph Dellapiana, directeur de Utahns for Alternatives to the Death Penalty (en anglais). "Les pelotons d'exécution sont les reliques d'un passé barbare." Qu'importe. L'idée fait son chemin, et l'Etat du Wyoming songe lui aussi à les rétablir.
L'Oklahoma, lui, souhaite renouer avec les chambres à gaz, une méthode très douloureuse utilisée dans la première moitié du XXe siècle, avec une diffusion d'acide cyanhydrique, explique le Centre d'information sur la peine de mort (en anglais). Cette fois, le condamné inhalerait de l'azote sans oxygène, une technique déjà utilisée pour le bétail, mais jamais testée sur les humains.
Les injections létales sont de plus en plus critiquées
Ces velléités de retour en arrière restent toutefois minoritaires. Aujourd'hui, dans la plupart des trente-deux Etats concernés, les exécutions sont réalisées par injection létale, une technique issue des euthanasies vétérinaires, et expérimentée pour la première fois au Texas, en 1982. "En France, la guillotine a été conservée de la Révolution à la dernière exécution, en 1978. Mais aux Etats-Unis, il y a toujours eu cette recherche constante de la modernité, avec pour idéal une mort digne et sans douleur", résume Simon Grivet, historien spécialiste de la question, contacté par francetv info.
Le recours à la technique de l'injection progresse rapidement d'Etat en Etat, d'autant que les méthodes traditionnelles sont parfois déclarées inconstitutionnelles, comme la chambre à gaz en Californie, en 1994, ou la chaise électrique en Georgie en 2001. Mais en 2005, des chercheurs étudient des autopsies de condamnés à mort par injection, et constatent de faibles taux de produit anesthésiant. La revue Lancet est formelle : les condamnés à mort ne sont pas assez endormis quand leur sont injectés le curare et le potassium.
Des actions en justice contestent alors l'efficacité du premier produit, et donc, la méthode tout entière. La justice dénonce les conditions dans lesquelles ont été réalisées les exécutions californiennes entre 1996 et 2006, en raison de produits mal préparés. "C'est une chose très compliquée, résume Simon Grivet. Il faut avoir de fortes compétences médicales pour préparer le produit, et insérer l'intraveineuse. Mais les bourreaux ne sont pas préparés à ça, car les médecins refusent de les former ou de participer à une exécution, en vertu du serment d'Hippocrate. Ces derniers se contentent de constater la mort."
L'administration fait face à des pénuries de produit
En 2008, la Cour suprême américaine valide les injections létales, mais elle invite les administrations pénitentiaires à revoir leurs protocoles. Un certain nombre d'Etats choisissent alors d'utiliser un seul produit, issu des barbituriques. L'exécution prend désormais 45 minutes, contre 10 auparavant. Les laboratoires qui produisent ces drogues sont aussitôt ciblés par les abolitionnistes. En 2011, pour préserver son image, l'entreprise danoise Lundbeck – seul fournisseur européen agréé aux Etats-Unis – fait marche arrière face aux ONG Reprieve et Amnesty International.
Depuis, les administrations pénitentiaires font régulièrement face à des pénuries. Les avocats d'une condamnée à mort dénoncent notamment l'utilisation "de produits non testés et obtenus de manière illégale" pour satisfaire les besoins. Avant l'exécution de leur cliente, Kelly Gissendaner, un laboratoire indépendant a constaté que le produit prévu – du pentobarbital – était "trouble". L'Etat de Georgie a donc reporté sine die toutes les exécutions au programme, à commencer par celle de Kelly Gissendaner, prévue le 10 mars 2015.
Cette suspension fait suite à une série de cas très médiatisés. En janvier 2014, un condamné agonise pendant 24 minutes dans l'Ohio, après une injection inédite de sédatif midazolam et d'antalgique hydromorphone. Au mois de juillet, un autre grogne et halète pendant deux heures dans l'Arizona, après avoir reçu les mêmes produits. Entre-temps, un détenu de l'Oklahoma souffre durant 43 minutes, cette fois après une injection de chlorure de potassium.
Une décision attendue de la Cour Suprême en avril
Le huitième amendement de la Constitution américaine défend au gouvernement fédéral d'infliger "des peines cruelles ou inhabituelles", mais les exécutions capitales n'ont jamais été reconnues comme telles. Les discussions sur les injections létales relancent une nouvelle fois le débat sur la constitutionnalité de ces exécutions, estime Simon Gravet. "Un certain nombre de signes dessinent une trajectoire de déclin de la peine de mort, mais sur le long terme, à 20 ou 30 ans."
Au mois d'avril, la Cour suprême des Etats-Unis doit d'ailleurs se prononcer sur le caractère constitutionnel ou non des des injections létales. Selon Simon Grivet, aucune technique ne sera jamais satisfaisante. "Et puis, ne pas faire de mal, cela veut dire quoi ? Il y a la souffrance physique, certes, mais la souffrance morale est rarement évoquée. L'exécution sans douleur est un mythe."
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