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Bienvenue à Shijiazhuang, la ville la plus polluée de Chine

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Shijiazhuang,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'esplanade à la sortie de la gare de Shijiazhuang (Chine), le 18 janvier 2014. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Un an après l'airpocalypse de janvier 2013, francetv info s'est rendu dans la capitale de la province du Hebei, qui détient le titre peu enviable de ville la plus polluée du pays.

La France enregistre, vendredi 14 mars, un nouveau pic de pollution aux particules fines. Le seuil d'alerte maximal aux particules a été dépassé dans plus d'une trentaine de départements couvrant une large partie du Nord et de l'Est du pays. Le niveau de pollution à Paris a même dépassé celui de Pékin, pourtant habituée à ces épisodes. Comment la Chine fait-elle face ? Et à quoi ressemble la vie quotidienne dans la ville la plus polluée du pays ?

 

Cela ressemble à de la brume. La même couleur, le même voile qui recouvre au loin le décor et les silhouettes des passagers, valises et provisions à la main. Il est un peu plus de 9 heures ce samedi 18 janvier et un nuage de particules fines flotte dans les grands halls modernes de la gare de Shijiazhuang, capitale de la province du Hebei.

Bienvenue à Shijiazhuang ! (FRANCETV INFO)

Depuis trois jours, les instruments de mesure sont bloqués à 500, la valeur maximum de l'index de la qualité de l'air en Chine. Si on lève la tête, le ciel est bleu. Mais au sol, la ville est engluée dans un épais nuage de pollution. Shijiazhuang pue le charbon. Une odeur tellement entêtante qu'elle donne la nausée.

"Shijiazhuang ressemble à 'Silent Hill'"

Sur la route du centre commercial Yuhua Wanda, on devine à peine la tour de la télévision, qui culmine pourtant à plusieurs centaines de mètres. Le golf à ses pieds est invisible. "Hier, c'était pire", nous rassure Xiaoya, étudiante en journalisme. La jeune femme de 22 ans, qui étudie à Shenyang, vient de rentrer chez ses parents pour le Nouvel An. "Quand je suis revenue ici, j’ai senti que la poussière recouvrait mon visage et il y avait une odeur de brûlé", témoigne-t-elle, attablée dans le Pizza Hut du centre commercial. "Avec mes amis, on dit que Shijiazhuang ressemble au film d'horreur Silent Hill. Il y a tellement de brouillard que des monstres pourraient en sortir", plaisante-t-elle.

La gare de Shijiazhuang (Chine), le 18 janvier 2014. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)
 

La comparaison est à peine exagérée. En 2013, selon les statistiques compilées par l'application 全国空气质量指数, la capitale du Hebei est la ville la plus irrespirable de Chine. Shijiazhuang connaît des pics plus longs et plus importants que Pékin, comme le montrent les chiffres de décembre 2013.

Plus pauvre que sa voisine, la province accueille les industries polluantes dont Pékin ne veut plus pour rattraper son retard : acier, papier, ciment. Une plaisanterie raconte que la Chine est le premier pays producteur d'acier, juste devant le Hebei. En 2011, selon Greenpeace (en anglais), on y a brûlé 80% de la consommation totale de charbon de la région capitale (Pékin-Hebei-Tianjin).

"En 2013, je n'ai pas fait une seule fois du vélo"

Ces statistiques se lisent dans le paysage de Shijiazhuang. On aperçoit régulièrement, entre deux immeubles, de petites cheminées d'usines. A Chang'an, le district industriel, impossible de manquer l'immense usine qui se dresse au milieu des habitations. Cette tache noire, qui appartient au groupe Hebei Steel, troisième producteur mondial d'acier en 2012, est même visible sur les photos aériennes de la ville.

 

L'usine de Hebei Steel vue du ciel. (GOOGLE MAPS / FRANCETV INFO)

Shuihuise vient d'emménager juste en face. Par la fenêtre de sa cuisine, on voit l'usine. Enfin, pas toujours. "Hier soir, je ne voyais pas les bâtiments en face", confie-t-il, pas vraiment emballé par son nouvel appartement. "Il appartient à un ami. A l'approche du Nouvel An, c'est difficile de trouver un logement. Le bail de mon ancien appartement se termine demain, et je n'ai pas trouvé ailleurs", justifie ce publicitaire de 34 ans, qui préfère être nommé par son pseudonyme Twitter.

L'usine de Hebei Steel vue depuis l'appartement de Shuihuise, le 18 janvier 2014 à Shijiazhuang (Chine). (THOMAS BAIETTTO / FRANCETV INFO)

Depuis qu'il est arrivé, il y a une semaine, l'homme n'a pas ouvert une seule fois sa fenêtre. "Si j'ai acheté un purificateur d'air, c'est pour ne pas ouvrir les fenêtres", lance-t-il en montrant la machine qui trône dans le salon. Shuihuise s'intéresse au problème depuis fin 2012. Amateur de vélo, il lâche le guidon l'hiver, découragé par la pollution. Il ne le reprendra plus. "En 2013, je n'ai pas fait une seule fois du vélo", confie-t-il, désabusé.

Sage décision. Selon ses relevés, postés sur Twitter le 25 décembre, l'indice de qualité de l'air à "Damaizhuang", "la ville du grand brouillard" comme il la surnomme, n'est passé qu'une seule fois sous la barre des 50. C'était le 29 juillet.

 

"J'ai vu les montagnes deux fois l'an dernier"

"Il y a trop de jours où on dépasse les 500, c'est vraiment embêtant", ironise-t-il, avant de proposer de compter de 500 en 500. Sa proposition n'est pas si fantaisiste que cela : le 25 décembre, le taux de particules PM2,5 (les plus fines et les plus dangereuses) a atteint 1 139 µg/m³ dans certains quartiers de la ville, soit 45 fois la valeur-limite recommandée par l'Organisation mondiale de la santé. "On pouvait seulement voir les phares des voitures. Les feux rouges flottaient dans l'air, sans le poteau", raconte-t-il.

Yufu non plus n'a pas ouvert ses fenêtres depuis plusieurs semaines. Pourtant, "aujourd'hui, c'est plutôt une bonne journée pour Shijiazhuang", plaisante ce chômeur de 22 ans. Sans le faire exprès, il nous a donné rendez-vous en plein centre-ville, là où une autre source de pollution saute aux yeux : Shijiazhuang est un chantier permanent. On y construit un métro, des immeubles d'habitation là où se trouvaient il y a quelques années des villages.

Ces constructions produisent des particules fines et provoquent des embouteillages monstres, autre source de polluants. Le taxi en face de nous prévoit de mettre une demi-heure pour faire les 100 mètres qui le séparent du carrefour où l'on construit une station de métro.

Photo prise par un ami de Yufu à la fenêtre de son appartement fin décembre 2013. (YUFU)

Yufu porte un masque dès qu'il sort faire du skateboard et que l'indice dépasse 200, c'est-à-dire "tous les jours, en général". Heureusement que le filtre en plastique de l'engin est assorti au bleu de sa casquette. Il l'a acheté sur Taobao, l'Amazon chinois. "Les masques qui filtrent les PM2,5, on n'en trouve pas dans les magasins, il faut les acheter en ligne", justifie-t-il. Starbucks et Pizza Hut sont arrivés jusqu'ici, pas les rayons masques des Seven-Eleven de la capitale.

Il en a acheté pour toute la famille et a choisi le modèle du purificateur d'air de ses parents. "Ce sont eux qui ont le plus besoin d'être protégés", explique-t-il. Personne n'a encore de problème de santé chez lui, mais ils préfèrent prendre leurs précautions. "Ces derniers jours, mes grands-parents ne sont pas sortis, sauf pour aller au marché", raconte-t-il.

Normalement, depuis son appartement, Yufu peut voir les montagnes de Taihang, cette barrière qui se dresse à l'ouest de la ville et retient la pollution. "Je les ai vues deux fois l'an dernier, en été", se souvient-il.

"On a juste le droit de manifester contre le Japon"

Le jeune homme n'est pas vraiment optimiste pour l'avenir de sa ville. "Le gouvernement n'a pas pris suffisamment conscience du problème. A chaque fois, il ne prend que des mesures provisoires", regrette-t-il. Shuihuise est du même avis : "Sa priorité, c'est le développement économique. En Chine, la réussite se mesure au PIB…" Et Xiaoya a du mal à imaginer comment les habitants de Shijiazhuang pourraient faire bouger les choses. "Tu ne peux pas descendre dans la rue comme ça. On a juste le droit de manifester pour les îles Diaoyu ou contre le Japon", ironise la jeune femme.

Pourtant, aucun des trois n'envisage sérieusement de quitter la ville. Même Xiaoya, qui étudie ailleurs, compte revenir. Le manque d'argent et l'obligation sociale de prendre soin des parents sont autant de barrières à l'immigration. La sœur de Shuihuise a franchi le pas et travaille en Espagne. L'autre jour, il lui a demandé le taux de particules PM2,5 dans la ville où elle habite. "Je ne sais pas, ici, c'est toujours bien", a-t-elle répondu. Il n'a pas osé lui donner le chiffre de Shijiazhuang.

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